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Rixheim 1886, p. 118.]

       Table des matières

      Mais ce n'étaient pas ces agitations, purement extérieures, qui préoccupaient le plus les dépositaires de l'autorité publique. La population strasbourgeoise n'a jamais montré beaucoup de goût pour les brutalités révolutionnaires, et même aux heures les plus troubles de notre histoire moderne, la guerre des rues n'y a point traduit en pratique, comme autre part, l'anarchie des esprits. Le danger de la situation semblait ailleurs; les chefs du parti constitutionnel le voyaient dans la tentative d'une organisation plus complète du parti catholique et contre-révolutionnaire, opposant club à club, tribune à tribune, et déchaînant sur Strasbourg et sur l'Alsace, si agités déjà, toutes les horreurs de la guerre civile, au moment précis où l'attitude des puissances étrangères commençait à inspirer des craintes sérieuses aux patriotes.

      Pour nous, qui étudions aujourd'hui les choses à distance, ces craintes peuvent paraître exagérées, quand nous considérons quels faits leur donnèrent naissance; mais il ne faut point oublier dans quel état d'excitation continuelle se trouvait alors l'esprit public. Voici donc ce qui avait motivé les inquiétudes et les soupçons du parti constitutionnel: Dans la journée du samedi, 15 janvier, quinze citoyens catholiques avaient fait au Bureau municipal la notification, exigée par le décret du 14 décembre 1789, sur les réunions publiques, de leur intention de s'assembler paisiblement et sans armes, le lendemain, dimanche, à deux heures de relevée, dans la chapelle du Séminaire. Ils avaient déclaré verbalement qu'on discuterait dans cette réunion la circonscription des paroisses, et qu'on rédigerait une adresse, soit au Roi, soit au Corps législatif, à ce sujet.

      Le lundi matin, le maire, qui n'avait encore reçu que des renseignements assez vagues sur la réunion de la veille, recevait une seconde notification de la part des mêmes citoyens, portant que ladite assemblée serait continuée le jour même, à une heure, au Séminaire, la pétition n'ayant pu être achevée. Le Bureau municipal enregistra cette déclaration, conformément à la loi, mais le maire fit observer en son nom aux commissaires de la réunion qu'ils étaient responsables des décisions qui seraient prises; qu'on avait le droit de réclamer communication de leurs procès-verbaux, et qu'on espérait d'ailleurs de leur attachement à leur devoir qu'ils ne délibéreraient pas sur des objets proscrits par la loi.

      Peu après le départ de ces délégués, deux dépositions furent faites, l'une au procureur de la commune, l'autre au secrétariat de la Mairie, constatant qu'une grande fermentation régnait dans la réunion du Séminaire et que les délibérations y avaient porté sur des matières directement contraires aux décrets de l'Assemblée Nationale. Sur le vu de ces pièces, M. de Dietrich fit convoquer immédiatement le Conseil général de la commune, pour lui faire part de ses appréhensions. On décida de mander immédiatement à la barre le président, Jean-François Mainoni, marchand-épicier dans la Grand'Rue, à l'enseigne de l'Aigle Noir, et le premier secrétaire, Jean-Nicolas Wilhelm, homme de loi, afin de les interroger à ce sujet. Au moment où ils arrivaient à l'Hôtel-de-Ville, le secrétaire du conseil donnait lecture d'une troisième notification, émanant de l'assemblée du Séminaire. Se disant „composée de la presque totalité des citoyens catholiques” de Strasbourg, elle avait arrêté „qu'elle aurait dorénavant des séances régulières, tous les dimanches et jeudis, à une heure”, assurant d'ailleurs qu'elle „s'occupait surtout à maintenir la paix, l'union et le bon ordre.” En d'autres termes, l'assemblée des catholiques du Séminaire, toute fortuite d'abord, entendait se transformer en club politique, comme il en existait alors des milliers dans le royaume.

      Le maire, ayant courtoisement fait prendre place au bureau aux personnages cités devant le conseil, demanda tout d'abord communication des procès-verbaux de la réunion, afin qu'on pût se rendre compte de l'esprit qui y avait régné. Mainoni répondit, non sans embarras, que celui de la première séance avait seul été rédigé, que celui de la seconde n'était pas encore mis au net. Le secrétaire Wilhelm dut partir alors pour produire au moins la pièce existante, mais il resta si longtemps absent qu'on envoya l'un des sergents de la municipalité à sa recherche pour le ramener avec son procès-verbal. Quand ce dernier fut lu, on constata qu'il ne mentionnait absolument que la nomination d'un président et de ses assesseurs. De l'objet des débats, pas un mot. Il était évident qu'on cachait quelque chose; il y avait donc quelque chose à cacher. Vivement interpellé, le président Mainoni dut avouer „qu'il y avait été question ensuite de laisser tout ce qui concerne la religion, notamment les paroisses et le culte, sur l'ancien pied”, et qu'à la séance de ce jour on avait arrêté de présenter à ces fins une adresse au Roi Très-Chrétien, un mémoire au Département, et une lettre au Pape, pour le prier de faire part aux catholiques de Strasbourg de sa manière de voir sur le serment imposé aux ecclésiastiques[22]. Il dit encore qu'on avait décidé de continuer les séances „pour délibérer sur des objets relatifs à la conservation de la religion.” Le secrétaire Wilhelm ajoutait, pour pacifier les esprits, que les séances seraient publiques et que les citoyens de tous les cultes pourraient y venir.

      [Note 22: La Lettre des citoyens catholiques de Strasbourg à N.S. Père le pape Pie VI (s. lieu ni date, 4 p. in-4°), signée Wilhelm, et datée du 19 janvier, fut imprimée à part et répandue dans les deux langues en nombreux exemplaires. Elle est d'ailleurs rédigée en termes nullement hostiles dans la forme au gouvernement. Mais c'était le fait même de la correspondance avec un souverain étranger que frappait la loi.]

      Après cet exposé des faits, qui ne s'était produit qu'avec quelque répugnance, le procureur de la Commune prit la parole. La loi du 26 décembre 1780 porte, dit-il en substance, que toutes les personnes ecclésiastiques ou laïques qui se coaliseront pour combiner un refus d'obéir aux décrets seront poursuivies comme perturbateurs du repos public. Il priait en conséquence le Conseil général de retirer aux membres de l'association du Séminaire le droit de s'assembler désormais, „sauf aux dits membres à se réunir pour délibérer sur tout autre objet non contraire à la loi.” Il proposait en outre d'envoyer un courrier à l'Assemblée Nationale pour lui faire part des faits qui venaient de se passer à Strasbourg. Après une courte discussion, le Conseil général de la Commune décidait en effet d'envoyer un exprès à Paris pour solliciter l'envoi de commissaires dans le Bas-Rhin, afin d'y faire mettre à exécution les décrets de l'Assemblée sur la Constitution civile du clergé; en attendant les instructions demandées à Paris, l'assemblée du Séminaire était autorisée provisoirement à continuer ses séances, à charge des particuliers qui la composent „d'être responsables des événements qui pourront résulter de leurs délibérations.” En même temps on décidait de demander à la Constituante que le nombre des paroisses de la ville et de la citadelle resterait le même; c'était montrer aux catholiques qu'on entendait protéger leurs droits dans la mesure du possible.

      Au moment où le Conseil général prenait ces décisions, que l'on ne saurait qualifier d'illibérales, un nouvel incident se produisit, qui devait singulièrement envenimer les choses. Un membre de la Société populaire, le négociant Michel Rivage, qui assistait à la séance, se présenta tout à coup à la barre, demandant à faire une communication d'importance, intéressant l'ordre et la tranquillité publique. „Vu les circonstances”, le maire lui donna la parole. Il raconta alors, pour employer ses propres expressions, „la démarche indécente que quelques habitantes de cette ville se sont permises ce matin, en allant porter un écrit de caserne en caserne”, et pria le Conseil général de mander par devers lui ces dames pour les interroger et connaître les instigateurs de cette étrange et coupable démarche. En même temps qu'il mettait sa dénonciation par écrit, on apportait en séance un exemplaire de la pièce dénoncée, expédiée par M. de Klinglin, commandant des troupes de ligne, à M. de Dietrich.

      Voici en effet ce qui s'était passé: Trois voitures chargées de dames appartenant à la bonne société catholique, et députées, disait la rumeur publique, par six cents autres, réunies à cet effet, étaient parties de l'hôtel du département; à la tête de ces dames se trouvaient Mme Poirot

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