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et qui montre bien la surexcitation des esprits à ce moment de notre histoire locale[16]. Une fois la glace rompue, les acquéreurs se présentèrent en plus grand nombre, surtout à Strasbourg, où, dès le 20 décembre, nous voyons MM. Charpentier et Nagel se rendre acquéreurs des maisons de deux chanoines de Saint-Pierre-le-Jeune, MM. de Régemorte et Jeanjean.

      [Note 16: Précaution parfaitement justifiée d'ailleurs, il faut l'avouer, par les infâmes excitations que ne cessaient de faire entendre alors certains pamphlétaires, comme par exemple l'auteur de l'écrit Lieber Herr Mayer und Mitbrüder, condamné par jugement du tribunal de Strasbourg, du 30 décembre 1790, et qui proposait „d'assommer en masse ceux qui achèteraient pour un florin de biens ecclésiastiques”. On trouvera des extraits de ce factum, sur lequel nous aurons à revenir, dans Heitz, Contre-Révolution en Alsace, p. 46 et suiv.]

      Mais la lutte allait éclater, plus violente encore, sur un terrain moins accessible à des considérations d'ordre matériel et plus favorable par suite à l'attitude intransigeante du clergé! Nous avons vu que l'Assemblée Nationale avait prescrit, depuis de longs mois, d'inventorier les biens des chapitres et collégiales et de réunir leurs archives à celles des districts. En vertu de cette loi, le transfert des dossiers et parchemins du chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune avait été fixé par les autorités compétentes au 3 janvier 1791. A peine cette mesure avait-elle été décidée, qu'on vit se répandre en ville des bruits de nature à exciter les alarmes de la population catholique du quartier. Des fauteurs de troubles y couraient les rues et les maisons, annonçant la suppression du culte, affirmant que les administrateurs du district avaient donné l'ordre d'enlever tous les vases sacrés et de procéder à la fermeture de l'église. De pareilles excitations devaient porter leurs fruits. Une foule de curieux, entremêlés de fanatiques, parmi lesquels les femmes du peuple se distinguaient par leurs intempérances de langage, accoururent vers quatre heures et demie du soir, se ruèrent dans le sanctuaire et quelques forcenés se mirent à sonner le tocsin. L'émoi fut grand par toute la ville; M. de Dietrich réunit à la hâte le corps municipal, fit prendre les armes à la garde nationale et la dirigea, renforcée par plusieurs pelotons de la garnison, vers le lieu du tumulte. Mais la présence des troupes ne fit qu'irriter encore la colère toute gratuite des émeutiers en jupon; elles se mirent à jeter du gravier et des pierres à la tête des soldats et l'on eut beaucoup de peine à dissiper l'attroupement à la tombée de la nuit et sans effusion de sang. Le transfert des archives ne put être opéré que le jour suivant, et se fit alors sans encombre.

      L'opinion publique avait été vivement frappée par cette prise d'armes, par ce „tumulte ourdi par les bonzes, avec le concours de la pire canaille”, comme l'écrivait le lendemain l'un des journaux de Strasbourg. La municipalité tâcha de prévenir le retour de pareils excès, en affichant, dès le 4 janvier, une proclamation chaleureuse à tous les habitants de la ville, les suppliant de ne pas prêter la main „à des desseins criminels, des erreurs bien graves ou des impostures bien coupables.” Elle s'adressait en particulier aux ecclésiastiques de tous les cultes pour leur demander leur concours: „Lorsque le peuple se trompe, c'est à eux à lui montrer les premiers chrétiens, sujets fidèles, n'oser tirer le glaive que pour la patrie, martyrs pour leur Dieu, quand il les appelait à ce sanglant hommage, mais toujours soumis à l'autorité. C'est à eux à sauver à la religion des horreurs qui effrayent et dégradent l'humanité.” M. de Dietrich promettait en terminant le plus entier respect pour les intérêts religieux de ses administrés: „Tous les membres (du corps municipal) sacrifieront leur vie avant de laisser outrager la religion ou violer les loix, qu'ils ont juré de respecter, la religion qui est chère à tous les bons citoyens, les loix dont l'observance est nécessaire pour le bonheur de celui-même qui croit qu'elles blessent ses intérêts, car leur mépris serait le commencement de l'anarchie la plus cruelle.” Il était malheureusement plus facile de réunir ainsi ces deux principes hostiles dans une même période que de les amener à coexister pacifiquement dans la vie politique; c'est parce qu'elle n'a pas su résoudre le problème posé par ce redoutable dilemme, que la Révolution française, après avoir donné de si magnifiques espérances, a fini par un avortement si tragique.

      Le lendemain, 5 janvier, le maire adressait encore une circulaire spéciale à tous les curés et pasteurs de la ville, au sujet de ces troubles regrettables, avec prière d'en donner lecture au prône du dimanche suivant. Mais ce n'étaient pas les circulaires patriotiques de quelques autorités municipales qui pouvaient arrêter l'essor des parties adverses, qui se croyaient dorénavant tout permis. Pendant qu'on enflammait le zèle contre-révolutionnaire des campagnes, dans les villes mêmes les garnisons étaient sollicitées, soit par leurs officiers nobles eux mêmes, soit par des émissaires clandestins subalternes, à faire cause commune avec les champions du trône et de l'autel. On distribuait à celle de Strasbourg de l'argent, des cocardes blanches, des brochures royalistes, cadeaux qui n'étaient pas toujours bien reçus, puisqu'on nous assure que les grenadiers de l'un des régiments de notre ville, après avoir bu l'argent offert à la santé de la Nation, avaient arboré ladite cocarde….au fond de leurs hauts-de-chausses[17].

      [Note 17: Geschichte der gegenw. Zeit, du 14 janvier 1791.]

      Quant à la population civile, on tâchait de la mettre également en émoi par les inventions les plus absurdes; témoin la pièce intitulée: Dénonciation; on veut donc encore nous désunir? qui répondait à ces bruits calomnieux et qui date de ces premiers jours de janvier. „Les bons citoyens de Strasbourg, y était-il dit, catholiques et protestants, viennent d'apprendre qu'on va de maison en maison pour insinuer aux hommes simples et crédules que les protestants sont prêts à s'emparer de la Cathédrale, des deux églises de Saint-Pierre et de celles des Capucins. Ils s'empressent de manifester l'indignation qu'excite dans toute âme honnête ces coupables intrigues et ces menées ténébreuses, que les ennemis de la paix et du bon ordre osent voiler du prétexte de la religion. Les protestants déclarent que jamais ils n'ont pu concevoir un semblable projet, et les catholiques dévoués à la chose publique protestent de leur côté….. qu'ils doivent à la justice de reconnaître que les protestants se sont toujours montrés incapables de pareilles actions, que le soupçon même serait une injure pour ceux-ci, et que ce bruit, que l'on cherche à accréditer, ne peut être que le fruit de l'imposture et de la calomnie.”

      Si une partie au moins de la population strasbourgeoise se laissait prendre à d'aussi ridicules mensonges, on devine quel accueil faisaient certains groupes, plus particulièrement intéressés, aux mesures nécessitées par la mise en pratique des articles de la Constitution civile du clergé. Le 4 janvier 1791, la Constituante avait enfin exigé de ses propres membres ecclésiastiques le serment prescrit par la loi nouvelle, sous peine d'être déclarés déchus des fonctions qu'ils avaient occupées jusque-là. On dut alors procéder également en province à la réalisation des décrets, toujours différée dans un esprit de modération peut-être excessive, puisqu'on avait laissé le temps à l'opinion contraire de s'aigrir par de longues polémiques et de se fortifier en même temps par le manque, au moins apparent, d'énergie gouvernementale. Mais on s'y prit maladroitement à Strasbourg. Le 14 de ce mois le procureur-général syndic du département, M. de Schauenbourg, adressait à Mgr. Lanz, évêque de Dora i.p. et suffragant du cardinal, ainsi qu'à MM. Donery et de Martigny, prévots des chapitres secondaires, une copie officielle des décrets de l'Assemblée Nationale, afin d'empêcher „que les ci-devant chapitres, ignorant la rigueur des lois, ne s'exposassent à quelques scènes scandaleuses en continuant leurs fonctions.” La lettre était quelque peu équivoque; elle avait l'air de viser toutes les fonctions ecclésiastiques en général, alors qu'elle ne devait que notifier la cessation des cérémonies canoniales, et nullement celle du culte public de ces trois églises. L'était-elle à dessein? Les chanoines se méprirent-ils, de propos délibéré, sur le sens de l'injonction que leur transmettait l'autorité civile? Beaucoup le crurent alors[18], et plusieurs, sachant de quelles petites perfidies sont capables les partis en temps de lutte, pencheront sans doute à le croire encore aujourd'hui. Toujours est-il que le résultat de cette démarche, dont la municipalité n'avait reçu aucune notification préalable, faillit être désastreux; les chanoines des trois chapitres, touchés de la notification, firent cesser brusquement tous les offices, tant à la Cathédrale qu'aux deux églises

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