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13: Dumoulin, mort de la fièvre à Moscou. (Note de l'auteur.)]

      Pendant notre séjour autour de cette ville, je fus visiter la cathédrale, où une grande partie des habitants s'étaient retirés, les maisons ayant été toutes écrasées.

      Le 21, nous partîmes de cette position. Le même jour, nous traversâmes le plateau de Valoutina où, deux jours avant, une affaire sanglante venait d'avoir lieu, et où le brave général Gudin avait été tué.

      Nous continuâmes notre route et nous arrivâmes à marches forcées, à une ville nommée Dorogobouï; nous en partîmes le 24, en poursuivant les Russes jusqu'à Viasma, qui, déjà, était toute en feu. Nous y trouvâmes de l'eau-de-vie et un peu de vivres. Nous continuâmes de marcher jusqu'à Ghjat, où nous arrivâmes le 1er de septembre. Nous y fîmes séjour. Ensuite, on fit, dans toute l'armée, la récapitulation des coups de canon et de fusil qu'il y avait à tirer pour le jour où une grande bataille aurait lieu. Le 4, nous nous remettions en marche; le 5, nous rencontrâmes l'armée russe en position. Le 61e de ligne lui enleva la première redoute.

      Le 6, nous nous préparâmes pour la grande bataille qui devait se donner le lendemain: l'un prépare ses armes, d'autres du linge en cas de blessure, d'autres font leur testament, et d'autres, insouciants, chantent ou dorment. Toute la Garde impériale eut l'ordre de se mettre en grande tenue.

      Le lendemain, à cinq heures du matin, nous étions sous les armes, en colonne serrée par bataillons. L'Empereur passa près de nous en parcourant toute la ligne, car déjà, depuis plus d'une demi-heure, il était à cheval.

      À sept heures, la bataille commença; il me serait impossible d'en donner le détail, mais ce fut, dans toute l'armée, une grande joie en entendant le bruit du canon, car l'on était certain que les Russes, comme les autres fois, n'avaient pas décampé, et qu'on allait se battre. La veille au soir et une partie de la nuit, il était tombé une pluie fine et froide, mais, pour ce grand jour, il faisait un temps et un soleil magnifiques.

      Cette bataille fut, comme toutes nos grandes batailles, à coups de canon, car, au dire de l'Empereur, cent vingt mille coups furent tirés par nous. Les Russes eurent au moins cinquante mille hommes, tant tués que blessés. Notre perte fut de dix-sept mille hommes; nous eûmes quarante-trois généraux hors de combat, dont huit, à ma connaissance, furent tués sur le coup. Ce sont: Montbrun, Huard, Caulaincourt (le frère du grand écuyer de l'Empereur), Compère, Maison, Plauzonne, Lepel et Anabert. Ce dernier était colonel d'un régiment de chasseurs à pied de la Garde, et comme, à chaque instant, l'on venait dire à l'Empereur: «Sire, un tel général est tué ou blessé», il fallait le remplacer de suite. Ce fut de cette manière que le colonel Anabert fut nommé général. Je m'en rappelle très bien, car j'étais, en ce moment, à quatre pas de l'Empereur qui lui dit: «Colonel, je vous nomme général; allez vous mettre à la tête de la division qui est devant la grande redoute, et enlevez-la!»

      Le général partit au galop, avec son adjudant-major, qui le suivit comme aide de camp.

      Un quart d'heure après, l'aide de camp était de retour, et annonçait à l'Empereur que la redoute était enlevée, mais que le général était blessé. Il mourut huit jours après, ainsi que plusieurs autres.

      L'on a assuré que les Russes avaient perdu cinquante généraux, tant tués que blessés.

      Pendant toute la bataille, nous fûmes en réserve, derrière la division commandée par le général Friant: les boulets tombaient dans nos rangs et autour de l'Empereur.

      La bataille finit avec le jour, et nous restâmes sur l'emplacement, pendant la nuit et la journée du 8, que j'employai à visiter le champ de bataille, triste et épouvantable tableau à voir. J'étais avec Grangier. Nous allâmes jusqu'au ravin, position qui avait été tant disputée pendant la bataille.

      Le roi Murat y avait fait dresser ses tentes. Au moment où nous arrivions, nous le vîmes faisant faire, par son chirurgien, l'amputation de la cuisse droite à deux canonniers de la Garde impériale russe.

      Lorsque l'opération fut terminée, il leur fit donner à chacun un verre de vin. Ensuite, il se promena sur le bord du ravin, en contemplant la plaine qui se trouve de l'autre côté, bornée par un bois. C'est là que, la veille, il avait fait mordre la poussière à plus d'un Moscovite, lorsqu'il chargea, avec sa cavalerie, l'ennemi qui était en retraite. C'est là qu'il était beau de le voir, se distinguant par sa bravoure, son sang-froid et sa belle tenue, donnant des ordres à ceux qu'il commandait et des coups de sabre à ceux qui le combattaient. On pouvait facilement le distinguer à sa toque, à son aigrette blanche et à son manteau flottant.

      Le 9 au matin, nous quittâmes le champ de bataille et nous arrivâmes, dans la journée, à Mojaïsk. L'arrière-garde des Russes était en bataille sur une hauteur, de l'autre côté de la ville occupée par les nôtres. Une compagnie de voltigeurs et de grenadiers, forte au plus de cent hommes du 33e de ligne, qui faisait partie de l'avant-garde, montait la côte sans s'inquiéter du nombre d'ennemis qui l'attendaient. Une partie de l'armée, qui était encore arrêtée dans la ville, les regardait avec surprise, quand plusieurs escadrons de cuirassiers et de cosaques s'avancent et enveloppent nos voltigeurs et nos grenadiers. Mais, sans s'étonner et comme s'ils avaient prévu cela, ils se réunissent, se forment par pelotons, ensuite en carré, et font feu des quatre faces sur les Russes qui les entourent.

      Vu la distance qui les sépare de l'armée, on les croit perdus, car l'on ne pouvait pas arriver jusqu'à eux pour les secourir. Un officier supérieur des Russes s'étant avancé pour leur dire de se rendre, l'officier qui commandait les Français répondit à cette sommation en tuant celui qui lui parlait. La cavalerie, épouvantée, se sauva et laissa les voltigeurs et grenadiers maîtres du champ de bataille[14].

      [Note 14: Un de mes amis, un vélite, le capitaine Sabatier, commandait les voltigeurs. (Note de l'auteur.)]

      Le 10, nous suivons l'ennemi jusqu'au soir, et, lorsque nous nous arrêtons, je suis commandé de garde près d'un château où est logé l'Empereur. Je venais d'établir mon poste sur un chemin qui conduisait au château, lorsqu'un domestique polonais, dont le maître était attaché à l'état-major de l'Empereur, passa près de mon poste, conduisant un cheval chargé de bagages. Ce cheval, fatigué, s'abattit et ne voulut plus se relever. Le domestique prit la charge et partit. À peine nous avait-il quittés, que les hommes du poste, qui avaient faim, tuèrent le cheval, de sorte que toute la nuit, nous nous occupâmes à en manger et à en faire cuire pour le lendemain.

      Un instant après, l'Empereur vint à passer à pied. Il était accompagné du roi Murat et d'un auditeur au conseil d'État. Ils allaient joindre la grand'route. Je fis prendre les armes à mon poste. L'Empereur s'arrêta devant nous et près du cheval qui barrait le chemin. Il me demanda si c'était nous qui l'avions mangé. Je lui répondis que oui. Il se mit à sourire, en nous disant: «Patience! Dans quatre jours nous serons à Moscou, où vous aurez du repos et de la bonne nourriture, quoique d'ailleurs le cheval soit bon.»

      La prédiction ne manqua pas de s'accomplir, car, quatre jours après, nous arrivions dans cette capitale.

      Le lendemain 11 et les jours suivants, nous marchâmes par un beau temps. Le 13, nous couchâmes où il y avait une grande abbaye et d'autres bâtiments d'une construction assez belle. On voyait bien que l'on était près d'une grande capitale.

      Le lendemain 14, nous partîmes de grand matin; nous passâmes près d'un ravin où les Russes avaient commencé des redoutes pour s'y défendre. Un instant après, nous entrâmes dans une grande forêt de sapins et de bouleaux, où se trouve une route très large (route royale). Nous n'étions plus loin de Moscou.

      Ce jour-là, j'étais d'avant-garde avec quinze hommes. Après une heure de marche, la colonne impériale fit halte. Dans ce moment, j'aperçus un militaire de la ligne ayant le bras gauche en écharpe. Il était appuyé sur son fusil et semblait attendre quelqu'un. Je le reconnus de suite pour un des enfants de Condé dont j'avais reçu la visite près de Witebsk. Il était là, espérant me voir. Je m'approchai de lui en lui demandant

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