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au pas de course: alors nous nous trouvâmes dans un endroit qui formait quatre coins, et quatre rues larges et longues, que nous apercevions tout en feu. Et quoique, pour le moment, il tombât de l'eau en abondance, l'incendie n'en allait pas moins son train, car à chaque instant l'on voyait des habitations et même des rues entières disparaître dans la fumée et dans les décombres.

      Il fallait cependant avancer et gagner au plus vite l'endroit où était le régiment, mais nous vîmes avec peine que la chose était impraticable, et qu'il fallait attendre que toute la rue fût réduite en cendres pour avoir un passage libre. Il fut décidé de retourner sur nos pas; c'est ce que nous fîmes de suite. Arrivés à l'endroit où nous avions passé, les Russes, cette fois, dans la crainte de recevoir une correction, n'hésitèrent pas à passer les premiers, mais, à peine ont-ils parcouru la moitié de l'espace qu'il fallait pour arriver au lieu de sûreté, et au moment où nous allions les suivre dans ce dangereux passage, qu'un bruit épouvantable se fait entendre: c'était le craquement des voûtes et la chute des poutres brûlantes et des toits de fer qui croulaient sur la voiture. En un instant, tout fut anéanti, jusqu'aux conducteurs que nous ne cherchâmes plus à revoir, mais nous regrettâmes nos provisions, surtout nos oeufs.

      Il me serait impossible de dépeindre la situation critique où nous nous trouvions. Nous étions bloqués par le feu et sans aucun moyen de retraite. Heureusement pour nous qu'à l'endroit où étaient les quatre coins des rues, il se trouvait une distance assez grande pour être à l'abri des flammes, de manière à pouvoir attendre qu'une rue fût entièrement brûlée pour nous ouvrir un passage.

      Pendant que nous attendions un moment propice pour nous échapper, nous remarquâmes qu'une des maisons qui faisaient le coin d'une rue était la boutique d'un confiseur italien, et, quoique sur le point d'être rôtis, nous pensâmes qu'il serait bon de sauver quelques pots des bonnes choses qui pouvaient s'y trouver, si toutefois il y avait possibilité: la porte était fermée; au premier étage, une croisée était ouverte; le hasard nous procura une échelle, mais elle était trop courte; on la posa sur un tonneau qui se trouvait contre la maison: alors elle fut longue assez pour que nos soldats pussent y arriver et entrer dedans.

      Quoiqu'une partie fût déjà en flammes, rien ne les arrêta. Ils ouvrirent la porte, et nous remarquâmes, à notre grande surprise et satisfaction, que rien n'avait été enlevé. Nous y trouvâmes toutes sortes de fruits confits et beaucoup de liqueurs, du sucre en quantité, mais ce qui nous fit le plus grand plaisir, et qui nous étonna le plus, fut trois grands sacs de farine. Notre surprise redoubla en trouvant des pots de moutarde de la rue Saint-André-des-Arts, n° 13, à Paris.

      Nous nous empressâmes de vider toute la boutique, et nous en fîmes un magasin au milieu de la place où nous étions, en attendant qu'il nous fût possible de faire transporter le tout où était notre compagnie.

      Comme il continuait toujours à tomber de l'eau, nous fîmes un abri avec les portes de la maison, et nous établîmes notre bivac, où nous restâmes plus de quatre heures, en attendant qu'un passage fût libre.

      Pendant ce temps, nous fîmes des beignets à la confiture, et, lorsque nous pûmes partir, nous emportâmes, sur nos épaules, tout ce qu'il fut possible de prendre. Nous laissâmes notre autre voiture et nos sacs de farine sous la garde de cinq hommes, pour venir ensuite, avec d'autres, les chercher.

      Pour la voiture, il était de toute impossibilité de s'en servir, vu que le milieu de la rue où il fallait passer était embarrassé par quantité de beaux meubles brisés et à demi brûlés, des pianos, des lustres en cristal et une infinité d'autres choses de la plus grande richesse.

      Enfin, après avoir passé la place des Pendus, nous arrivâmes où était la compagnie, à 10 heures du matin: nous en étions partis la veille à 10 heures. Aussitôt notre arrivée, nous ne perdîmes pas de temps pour envoyer chercher tout ce que nous avions laissé en arrière: dix hommes partirent de suite; ils revinrent, une heure après, avec chacun une charge, et malgré tous les obstacles, ils ramenèrent la voiture que nous y avions laissée. Ils nous contèrent qu'ils avaient été obligés de débarrasser la place où la première voiture avait été écrasée avec les Russes, et que ces derniers étaient tous brûlés, calcinés et raccourcis.

      Le même jour 18, nous fûmes relevés du service de la place, et nous fûmes prendre possession de nos logements, pas loin de la première enceinte du Kremlin, dans une belle rue dont une grande partie avait été préservée du feu. L'on désigna, pour notre compagnie, un grand café, car dans une des salles il y avait deux billards, et, pour nous autres sous-officiers, la maison d'un boyard tenant à la première. Nos soldats démontèrent les billards pour avoir plus de place; quelques-uns, avec le drap, se firent des capotes.

      Nous trouvâmes, dans les caves de l'habitation de la compagnie, une grande quantité de vin, de rhum de la Jamaïque, ainsi qu'une grande cave remplie de tonnes d'excellente bière recouvertes de glace pour la tenir fraîche pendant l'été. Chez notre boyard, quinze grandes caisses de vin de Champagne mousseux, et beaucoup de vin d'Espagne.

      Nos soldats, le même jour, découvrirent un grand magasin de sucre dont nous eûmes soin de faire une grande provision qui nous servit à faire du punch, pendant tout le temps que nous restâmes à Moscou, ce que nous n'avons jamais manqué un seul jour de faire en grande récréation. Tous les soirs, dans un grand vase en argent que le boyard russe avait oublié d'emporter, et qui contenait au moins six bouteilles, nous en faisions pour le moins trois ou quatre fois. Ajoutez à cela une belle collection de pipes dans lesquelles nous fumions d'excellent tabac.

      Le 19, nous passâmes la revue de l'Empereur, au Kremlin, et en face du palais. Le même jour, au soir, je fus encore commandé pour faire partie d'un détachement composé de fusiliers-chasseurs et grenadiers, et d'un escadron de lanciers polonais, en tout deux cents hommes; notre mission était de préserver de l'incendie le Palais d'été de l'Impératrice, situé à l'une des extrémités de Moscou. Ce détachement était commandé par un général que je pense être le général Kellermann.

      Nous partîmes à huit heures du soir; il en était neuf et demie lorsque nous y arrivâmes. Nous vîmes une habitation spacieuse, qui me parut aussi grande que le château des Tuileries, mais bâtie en bois et recouverte d'un stuc qui faisait le même effet que le marbre. Aussitôt, l'on disposa des gardes à l'extérieur, et l'on établit un grand poste en face du palais où se trouvait un grand corps de garde. L'on fit partir des patrouilles pour la plus grande sûreté. Je fus chargé, avec quelques hommes, de visiter l'intérieur, afin de voir s'il ne s'y trouvait personne de caché.

      Cette occasion me procura l'avantage de parcourir cette immense habitation, qui était meublée avec tout ce que l'Asie et l'Europe produisent de plus riche et de plus brillant. Il semblait que l'on avait tout prodigué pour l'embellir, et, cependant, en moins d'une heure, elle fut entièrement consumée, car à peine y avait-il un quart d'heure que tout était disposé pour empêcher que l'on y mette le feu, qu'un instant après il fut mis, malgré toutes les précautions que l'on avait prises, devant, derrière, à droite et à gauche, et sans voir qui le mettait; enfin, il se fit voir en plus de douze endroits à la fois. On le voyait sortir par toutes les fenêtres des greniers.

      Aussitôt, le général demande des sapeurs pour tâcher d'isoler le feu, mais c'était impossible: nous n'avions pas de pompes, ni même d'eau. Un instant après, nous vîmes sortir de dessous les grands escaliers, par un souterrain du château, et s'en aller tranquillement, plusieurs hommes dont quelques-uns avaient encore des torches en partie allumées; l'on courut sur eux et on les arrêta. C'étaient ceux qui venaient de mettre le feu au palais; ils étaient vingt et un. Onze autres furent arrêtés, d'un autre côté, mais qui ne paraissaient pas sortir du château. Ils n'avaient rien sur eux qui indiquât qu'ils aient participé à ce nouvel incendie; cependant, plus de la moitié furent reconnus pour des forçats.

      Tout ce que nous pûmes faire, fut de sauver quelques tableaux et d'autres objets précieux, parmi lesquels se trouvaient des ornements impériaux, comme manteaux en velours, doublés en peau d'hermine, ainsi que beaucoup d'autres choses non moins précieuses qu'il fallut ensuite abandonner.

      Il y avait peut-être

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