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maison de Dieu, «dont le vaisseau estoit si superbe en sa structure, dit le P. Albert, et si riche en ornemens et parures, qu'il ne s'en trouvoit pas de pareil en France.»

      Comme on le voit, le clergé nantais était riche. Nantes reprenait toute sa prospérité première, et un miracle accompli à ses portes l'avait consacrée en lui donnant un rang distingué parmi les villes chrétiennes.

      Un jour deux hommes se rendaient de compagnie au couvent de Vertou. Ces hommes étaient accompagnés d'un âne portant leurs bagages. L'un d'eux, nommé Martin, s'éloigna, recommandant à l'autre la garde de l'animal. Or, le compagnon, accablé de fatigue, s'endormit si bel et si bien, qu'il n'entendit pas, durant son sommeil, un ours gigantesque venir faire son déjeuner du pauvre âne, lequel dut cependant ne pas se laisser avaler sans essayer de pousser quelques plaintes. Mais, soit que le dormeur eût l'oreille dure, soit qu'il eût un sommeil semblable à celui de ce prince allemand qui ne se réveillait qu'au bruit d'une batterie d'artillerie tonnant à la porte de sa chambre, toujours fut-il qu'il n'ouvrit les yeux que pour voir l'ours s'en aller bien tranquillement faire sa digestion du côté du fleuve. Le malheureux, désespéré, ne savait que dire à son compagnon, lorsque Martin fut de retour. Heureusement l'ours avait respecté les bagages. Martin, sans plus s'embarrasser de la situation, appela l'ours, et lui commanda de porter les objets pesants qui gisaient sur le chemin. L'animal accourut, et se prêta de si bonne grâce à la circonstance, qu'il accompagna les deux amis, dont l'un tremblait de tous ses membres, jusqu'à la porte du couvent. Grandes furent la stupéfaction et l'admiration des moines qui, en voyant ce miracle, ne purent faire autrement que de reconnaître pour un saint l'homme qui possédait une telle puissance sur les bêtes féroces. Donc, Martin devint saint Martin, se vit fêté et vénéré dans la contrée, et transforma le couvent en abbaye.

      Grâce à ses évêques, qui la gouvernaient sagement, à sa situation éminemment favorable qui faisait d'elle un des marchés où les Francs rencontraient les Bas-Bretons, Nantes voyait s'accroître de jour en jour sa richesse, son commerce et sa population. Mais on eût dit qu'il était écrit au livre du Destin que la prospérité de la ville, ayant acquis une certaine limite, ne devait jamais la franchir, et que la ruine l'atteindrait de période en période.

      En comparant la vie de Nantes et la vie humaine, j'ai dit que sa jeunesse avait été maladive. Le première épidémie qui fondit sur elle et faillit la tuer, fut l'invasion des barbares. La seconde, qui la mit encore à deux doigts de sa perte, fut celle des Northmans. Un prétendant au comté de Nantes, nommé Lambert, évincé par Charles le Chauve, appela ses pirates, qui marquent une époque de deuil dans l'histoire de presque toutes nos provinces du littoral de l'Ouest. Trois fois les Northmans ravagèrent et saccagèrent la ville au temps de Nomenoë et d'Erispoë, rois de Bretagne, qui essayèrent en vain de les combattre. Salomon fit la paix avec eux et les laissa libres d'agir: si bien que ces sauvages, après avoir égorgé l'évêque Gohard et son clergé au pied des autels, chassèrent les habitants qui s'enfuirent.

      Pendant l'espace de trente années consécutives, la ville ne fut plus qu'un vaste et triste désert. Enfin le comte Alain Barbe-Torte résolut de mettre un terme à ces cruelles invasions. Rassemblant une armée imposante, il courut sus aux pirates qu'il rencontra dans la «prée d'Aniane» (aujourd'hui quartier Sainte-Catherine).

      Avant la bataille, les soldats du comte, privés d'eau depuis plusieurs heures, mouraient de soif. Alain invoqua la Vierge, et une fontaine jaillit, qui fut nommée la fontaine de Notre-Dame.

      Ce miracle, en portant l'épouvante dans le cœur des Northmans, augmenta l'ardeur de leurs ennemis, qui les massacrèrent impitoyablement. Alain voulut alors rentrer dans Nantes; mais telle avait été la calamité qui avait causé l'abandon de la ville, et telles en étaient les funestes conséquences que, pour aller rendre grâces à Dieu dans la superbe basilique érigée par Félix, il lui fallut de son sabre se frayer un passage à travers les ronces et les broussailles qui avaient poussé sur les ruines. Cependant, avec Alain, la vie rentra dans le cadavre: le cœur de la cité palpita, ses principales artères reprirent quelque animation, la population circula de nouveau, le commerce revint, et, grâce au comte médecin, la santé reprit rapidement force et vigueur, bien que durant le Xe, le XIe siècle et une partie du XIIe, des indispositions fréquentes entravassent la marche du rétablissement complet.

      Ces indispositions nombreuses furent causées d'abord par Conan le Tors, duc de Bretagne, qui s'empara violemment de la ville. Foulques d'Anjou la délivra et battit le duc à Conquereul en 992. Puis, annexée au trône ducal en 1084, ce fut la révolte contre ses ducs qui vint encore la désoler par de continuelles dissensions intestines.

      En dépit de ces guerres incessantes, de ces perpétuels déchirements, la ville, grâce à sa forte constitution, continuait sa marche ascendante vers le bien-être lorsqu'une rechute épouvantable vint la terrasser en 1118. A cette époque un incendie terrible la consuma, à ce point qu'il ne resta debout qu'un ou deux édifices. Pour la seconde fois, il fallut la rebâtir en entier. De là vient qu'aujourd'hui, à dix pieds au-dessous du pavé de la nouvelle ville, on retrouve la chaussée de l'ancienne.

      On voit que le destin se montrait cruel envers la malheureuse cité. Enfin, après l'assassinat d'Arthur en 1202, Nantes passa sous le protectorat de Philippe-Auguste, quoique demeurant toujours annexée au duché de Bretagne, et vit recommencer une troisième ère de prospérité.

      Alain Barbe-Torte avait jadis divisé la ville en trois parts: il en prit une, il avait donné la seconde aux seigneurs ses compagnons, et remis la troisième à l'évêque. Ce mode de partage, qui se maintint longtemps après la mort du destructeur des Northmans, fut une source de discordes. L'évêque, en souvenir de ses prédécesseurs qui avaient été maîtres absolus, se montra toujours jaloux de ses droits. Ses hommes ne prêtaient serment au duc que sous cette réserve: «Sauf la fidélité que nous devons à l'évêque.» Le tiers des revenus bruts de la ville revenait au prélat, qui percevait rigoureusement et régulièrement ses droits de «tierçage» et de «pasts nuptial». En temps de guerre, son armée, sous la bannière épiscopale, marchait distincte de l'armée ducale. De plus l'évêque prétendait à une juridiction tout à fait indépendante de celle du duc, et on le voit même, dans un acte du XIIIe siècle, affirmer que son église est un fief plus noble que comté ou baronnie, et ne relève ni de duc, ni de prince, mais du pape seul. Enfin, lorsqu'il entrait dans la ville de Nantes, les quatre plus puissants seigneurs du comté, les barons de Chateaubriand, d'Ancenis, de Retz et de Pontchâteau, étaient tenus, par une ancienne coutume, de le porter sur leurs épaules depuis le parvis de la cathédrale jusqu'au maître-autel. On vit un duc de Bretagne lui-même, Jean IV, comme baron de Retz et de Chateaubriand, placer sa noble épaule sous la chaise épiscopale.

      Cependant, par suite de concessions mutuelles, les Nantais se soudèrent de plus en plus aux Bretons bretonnants, et si la ville ne marqua pas d'une manière prononcée dans les guerres de parti dont la Bretagne fut le théâtre au XIVe siècle, elle se déclara pourtant avec énergie contre le roi Charles V, et, obligée d'ouvrir ses portes à Duguesclin, elle saisit la première occasion de revenir au duc.

      Jean V, reconnaissant, y établit sa résidence et en fit la capitale du duché. Profitant de tous les avantages attachés à ce nouveau titre, Nantes, plus forte, plus vivante et plus belle que jamais, traversa assez tranquillement la longue période qui aboutit à l'abolition du duché de Bretagne par le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII. Dès lors elle devint française; mais on conçoit l'attachement que les Bretons conservèrent pour leurs souverains nationaux, lorsqu'on remarque que l'époque d'abolition du duché fut précisément la plus brillante de la Bretagne indépendante.

      François II avait établi une université à Nantes; il avait achevé, en 1480, ce beau château fondé en 938 par Alain Barbe-Torte, et qui, plus tard, fit dire à Henri IV: «Ventre-saint-gris! les ducs de Bretagne n'étaient pas de petits compagnons.»

      Des traités de commerce passés avec l'Angleterre, l'Espagne et les puissances du Nord, assuraient la tranquillité de la marine. Alors aussi florissait le poète nantais Meschinot, dont Marot prisait fort les vers, et Michel Colomb, l'habile

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