Скачать книгу

acclamations modérées par de douces larmes, les routes jonchées de fleurs, les villageoises parées de leurs atours et de leur bonheur, auraient donné à ce spectacle l'aspect d'une fête de famille; et Marie-Louise n'eût point semblé la fille des Césars rentrant dans ses états, mais une mère bien aimée qui, après une longue et douloureuse absence, est enfin rendue aux voeux de ses enfans.

      Son fils, sur la tête duquel reposaient alors de si hautes destinées, aurait excité des transports non moins vifs, non moins touchans. Arraché, dès le berceau, à son trône, à sa patrie, il n'avait point cessé de reporter ses souvenirs et ses regards vers le sol qui l'avait vu naître; une foule de mots hardis et ingénieux avait révélé ses regrets, ses espérances; et ces mots répétés et appris par coeur, rendaient cet auguste enfant l'objet des pensées et des affections les plus chères.

      Par une contradiction étrange, les Français avaient déploré le caractère impérieux et l'humeur belliqueuse de Napoléon; et précisément ils chérissaient le fils, parce qu'il promettait d'avoir l'audace et le génie de son père, et qu'ils espéraient qu'il rendrait un jour à la France le lustre des victoires et le langage du maître[12].

      L'Empereur fut profondément affligé de la détention arbitraire de sa femme et de son fils. Il en sentait toute l'importance; plusieurs fois on lui offrit de les enlever; moi-même je fus chargé, par un très-grand personnage, de l'entretenir d'une offre de cette nature. Mais il persista obstinément à ne vouloir accueillir aucune proposition. Peut-être répugnait-il à sa tendresse ou à sa fierté, de confier, aux hasards d'une semblable entreprise, des personnes aussi chères, et qu'il était assuré d'obtenir plus dignement de la victoire ou de la paix. Peut-être craignait-il de compromettre leurs destinées, s'il succombait dans la lutte qui allait s'engager entre l'Europe et lui; car, malheureusement, cette lutte si long-tems incertaine, n'était plus douteuse, même à ses yeux.

      Les ouvertures indirectes faites aux cabinets étrangers, et celles renouvelées sous toutes les formes par l'Empereur, par le duc de Vicence, avaient échoué complétement.

      Les efforts tentés, en faveur de la France, dans le parlement britannique, par les généreux défenseurs des droits et de l'indépendance des nations, étaient demeurés sans succès.

      M. de Saint-L… et M. de Mont…, revenus de Vienne, avaient annoncé que les alliés ne se départiraient jamais des principes manifestés dans leurs déclaration et traité des 13 et 25 mars.

      M. de Talleyrand, sur lequel on comptait, convaincu du triomphe des

       Bourbons, avait refusé de les trahir ou de les abandonner.

      M. de Stassard avait été arrêté à Lintz et forcé de revenir sur ses pas. Ses dépêches, saisies et envoyées à l'empereur d'Autriche, avaient été mises sous les yeux des monarques étrangers; et ces monarques avaient arrêté unanimement qu'elles ne seraient point prises en considération, et qu'ils adhéraient de nouveau, et plus formellement que jamais, à leur déclaration.

      La princesse Hortense avait reçu, de la part de l'empereur de Russie, cette réponse laconique: Point de paix, point de trêve avec cet homme: tout, excepté lui[13].

      Les agens que l'Empereur entretenait à l'étranger l'avaient instruit que les troupes de toutes les puissances étaient sous les armes, et que l'on n'attendait que l'arrivée des Russes pour entrer en campagne[14].

      Tout espoir de conciliation était donc anéanti; les amis de Napoléon commençaient à douter de son salut: lui seul contemplait, avec une imperturbable fermeté, les dangers dont il était menacé.

      Les événemens de 1814 lui avaient révélé l'importance de la capitale, et l'on pense bien qu'il ne négligea point les moyens de la mettre en état de défense. Quand le moment fut venu d'arrêter définitivement les travaux de fortifications qu'il avait déjà fait ébaucher, M. Fontaine, son architecte favori, était près de lui et voulut se retirer. «Non, lui dit l'Empereur, restez-là; vous allez m'aider à fortifier Paris.» Il se fit apporter la carte des chasses, examina les sinuosités du terrain, consulta M. Fontaine sur l'emplacement des redoutes, l'établissement des couronnes, triple-couronnes, lunettes, etc., etc., et en moins d'une demi-heure, il conçut et arrêta, sous le bon plaisir de son architecte, un plan définitif de défense qui obtint l'assentiment des ingénieurs les plus exercés.

      Une nuée d'ouvriers couvrit bientôt les alentours de Paris; mais, pour augmenter l'effet que devait produire en France et à l'étranger la fortification de cette ville, Napoléon fit insinuer à la garde nationale d'y travailler. Aussitôt, des détachemens de légions, accompagnés d'une foule de citoyens et de fédérés des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, se portèrent à Montmartre, à Vincennes, et procédèrent, en chantant, à l'ouverture des tranchées. Les grenadiers de la garde ne voulurent pas rester oisifs, et vinrent, leur musique en tête, prendre part aux travaux. L'Empereur, accompagné seulement de quelques officiers de sa maison, allait souvent encourager le zèle des travailleurs. Sa présence et ses paroles enflammaient leur imagination; ils croyaient voir les Thermopyles, dans chaque passage à fortifier; et, nouveaux Spartiates, ils juraient, avec enthousiasme, de les défendre jusqu'à la mort.

      Les fédérés ne s'en tinrent point à ces démonstrations si souvent stériles; ils demandèrent des armes, et s'offensèrent du retard qu'on apportait à leur en donner. Ils se plaignirent non moins vivement, de n'avoir point encore été passés en revue par l'Empereur.

      L'Empereur, pour les apaiser, s'empressa de leur annoncer qu'il les admettrait avec plaisir à défiler devant lui le premier jour de parade.

      Le 24 mai, ils se présentèrent aux Tuileries: leurs bataillons se composaient en grande partie d'anciens soldats et de laborieux ouvriers; mais il s'était glissé à leur suite quelques-uns de ces vagabonds qui affluent dans les grandes villes; et ces derniers, par leurs figures patibulaires et le désordre de leurs vêtemens, ne rappelaient que trop les bandes homicides qui ensanglantèrent autrefois la demeure de l'infortuné Louis XVI.

      Lorsque Louis XIII et le superbe Richelieu invoquèrent les secours des communautés d'arts et métiers, ils accordèrent à leurs députés une audience solennelle, leur prirent les mains, et les embrassèrent tous, dit l'histoire, jusqu'aux savetiers. Napoléon, quoique placé dans une position éminemment plus critique, ne voulut point s'humilier devant la nécessité; il conserva sa dignité, et laissa pénétrer, malgré lui, combien il souffrait d'être forcé, par les circonstances, d'accepter de semblables secours.

      Les chefs de la confédération lui adressèrent un discours, où l'on remarqua principalement les passages suivans:

      Vous êtes, Sire, l'homme de la nation, le défenseur de la patrie; nous attendons de vous une glorieuse indépendance et une sage liberté. Vous nous assurerez ces deux biens précieux; vous consacrerez à jamais les droits du peuple; vous régnerez par la constitution et les lois: nous venons vous offrir nos bras, notre courage, et notre sang pour le salut de la capitale.

      Ah! Sire, que n'avions-nous des armes au moment où les rois étrangers, enhardis par la trahison, s'avancèrent jusques sous les murs de Paris!… nous versions des larmes de rage en voyant nos bras inutiles à la cause commune;… nous sommes presque tous d'anciens défenseurs de la patrie: la patrie doit remettre avec confiance des armes à ceux qui ont versé leur sang pour elle. Donnez-nous des armes en son nom… Nous ne sommes les instrumens d'aucun parti, les agens d'aucune faction… Citoyens, nous obéissons à nos magistrats et aux lois; soldats, nous obéissons à nos chefs…

       Vive la nation! vive la liberté! vive l'Empereur!

      L'Empereur leur répondit en ces termes:

      Soldats, fédérés des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau: Je suis revenu seul, parce que je comptais sur le peuple des villes, les habitans des campagnes et les soldats de l'armée, dont je connaissais l'attachement à l'honneur national. Vous avez tous justifié ma confiance. J'accepte votre offre. Je vous donnerai des armes, je vous donnerai pour vous guider des officiers couverts d'honorables blessures, et accoutumés à voir fuir

Скачать книгу