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s'il n'avait point été disposé sincèrement à rendre au peuple ses droits et à renfermer les siens dans de justes limites, il ne se serait point empressé de publier l'acte additionnel; il aurait gagné du tems, dans l'espoir que la victoire ou la paix, en consolidant le sceptre dans ses mains, lui permettrait de dicter des lois au lieu de s'y soumettre.

      On reprochait enfin à l'acte additionnel d'avoir rétabli les confiscations abolies par la Charte.

      La plupart des conseillers d'état et des ministres, et M. de Bassano plus spécialement, s'élevèrent avec force contre cette disposition renouvelée de nos lois révolutionnaires. Mais l'Empereur regardait la confiscation des biens, comme le moyen le plus efficace de contenir les royalistes; et il persista opiniâtrement à ne point s'en dessaisir, sauf à y renoncer, lorsque les circonstances le permettraient.

      En résumé, l'acte additionnel n'était point sans taches; mais ces taches, faciles à faire disparaître, n'altéraient en rien la beauté et la bonté de ses bases. Il reconnaissait le principe de la souveraineté du peuple. Il assurait, aux trois pouvoirs de l'état, la force et l'indépendance nécessaires pour que leur action fût libre et efficace. L'indépendance des représentans était garantie par leur nombre et le mode de leur élection. L'indépendance des pairs, par l'hérédité. L'indépendance du souverain, par le veto impérial, et l'heureuse combinaison des deux autres pouvoirs qui lui servaient mutuellement de sauve-garde. Les libertés publiques solidement fondées, étaient dotées libéralement de toutes les concessions accordées par la Charte, et de toutes celles réclamées depuis. Le jugement par jurés des délits de la presse protégeait et assurait la liberté des opinions. Il préservait les écrivains patriotes de la colère du prince et de la complaisance de ses agens. Il leur assurait même l'impunité, toutes les fois que leurs écrits seraient en harmonie avec les voeux ou les sentimens secrets de la nation. La liberté individuelle était garantie non-seulement par les anciennes lois et l'inamovibilité des juges, mais aussi par deux dispositions nouvelles: l'une, la responsabilité des ministres; l'autre, l'abolition prochaine de l'inviolabilité dont les fonctionnaires de toutes classes avaient été revêtus par la constitution de l'an VIII, et après elle, par le gouvernement royal. Elle l'était encore par la barrière insurmontable opposée à l'abus du droit d'exil, par la réduction dans ses limites naturelles de la jurisdiction des commissions militaires, et par la restriction du pouvoir de déclarer en état de siége une portion quelconque du territoire: pouvoir jusqu'alors arbitraire, et à l'aide duquel le souverain suspendait à son gré l'empire de la constitution, et mettait, de fait, les citoyens hors la loi. L'acte additionnel, enfin, par les obstacles qu'il apportait aux usurpations du pouvoir suprême, et les garanties sans nombre qu'il assurait à la nation, affermissait sur des fondemens inébranlables les libertés politiques et particulières: et cependant, par la plus bizarre des contradictions, il fut considéré comme l'oeuvre du despotisme, et fit perdre à Napoléon sa popularité.

      Les écrivains les plus renommés par leurs lumières et leur patriotisme, prirent la défense de Napoléon; mais ils eurent beau citer Delolme, Blackstone, Montesquieu, et démontrer que jamais aucun état moderne, aucune république n'avait possédé des lois aussi bienfaisantes, aussi libérales, leur éloquence et leur érudition furent sans succès. Les contempteurs de l'acte additionnel, sourds à la voix de la raison, ne voulaient le juger que d'après son titre; et comme ce titre leur déplaisait et les inquiétait, ils persistèrent à dénigrer l'ouvrage et à le condamner, comme on le dit vulgairement, sur l'étiquette du sac.

      Napoléon, loin de prévoir ce funeste résultat, s'était persuadé au contraire qu'on lui saurait gré d'avoir accompli si promptement et si généreusement, les espérances de la nation; et il avait préparé de sa main une longue proclamation aux Français, dans laquelle il se félicitait sincèrement avec eux du bonheur dont la France allait jouir sous l'empire de ses nouvelles lois.

      Cette proclamation, on le devine facilement, n'eut point de suite[10]: elle fut remplacée par un décret de convocation des colléges électoraux, dans lequel Napoléon, averti des rumeurs publiques, s'excusa sur la gravité des circonstances, d'avoir abrégé les formes qu'il avait promis de suivre pour la rédaction de l'acte constitutionnel, et annonça que cet acte, contenant en lui-même le principe de toute amélioration, pourrait être modifié conformément aux voeux de la nation. Aux termes de ce décret, les colléges électoraux étaient appelés à nommer les membres de la prochaine assemblée des représentans; et Napoléon s'excusait derechef d'être forcé, par la position de l'état, de faire procéder à la nomination des députés avant l'acceptation de la constitution.

      C'était au Champ de Mai que les électeurs de tous les départemens devaient se réunir, pour procéder au recensement des votes de rejet ou d'adoption.

      L'idée de renouveler les antiques assemblées de la nation, telle que l'Empereur l'avait d'abord conçue, était sans contredit une idée grande, généreuses, et singulièrement propre à redonner au patriotisme de l'éclat et de l'énergie; mais, il faut l'avouer aussi, elle était marquée au coin de l'audace et de l'imprudence, et pouvait porter à Napoléon un coup irréparable. N'était-il pas à craindre, dans la position équivoque où il se trouvait placé, que les électeurs ayant tout à redouter des Bourbons et des étrangers, ne voulussent point accepter une mission aussi périlleuse, et que l'assemblée ne fût déserte? N'était-il point probable encore, que personne ne briguerait le dangereux honneur de faire partie de la nouvelle représentation nationale, dont le premier acte serait nécessairement de proscrire à jamais la dynastie des Bourbons, et de reconnaître Napoléon, en dépit des étrangers, seul et légitime souverain de la France?

      Cependant, tant il est vrai que l'événement avec Napoléon démentait toujours les plus sages conjectures, les électeurs accoururent en foule à Paris; et les hommes les plus recommandables par leur caractère ou leur fortune, se mirent sur les rangs pour être députés, et sollicitèrent les suffrages avec autant d'ardeur que si la France eût été tranquille et heureuse[11].

      Et pourquoi? c'est qu'il s'agissait moins, aux yeux des électeurs et des députés, de la cause d'un homme, que du sort de la patrie: c'est que la crise où se trouvait la France, loin d'intimider les partisans de la révolution, réveilla dans leurs coeurs les sentimens du plus courageux patriotisme.

      Et ce que j'appelle ici les partisans de la révolution, n'étaient point, comme certaines personnes cherchent à le persuader, ces êtres sanguinaires flétris du titre de jacobin, mais cette masse énorme de Français qui, depuis 1789, ont concouru plus ou moins à la destruction du régime féodal, de ses priviléges et de ses abus; de ces Français enfin, qui connaissent le prix de la liberté et de la dignité de l'homme.

      Mais l'assemblée du Champ de Mai devait être privée de son plus bel ornement, de l'Impératrice et de son fils! L'Empereur n'ignorait point que cette princesse était soigneusement surveillée, et qu'on lui avait arraché, par surprise et par menaces, le serment de communiquer toutes les lettres qu'elle pourrait recevoir. Il savait aussi qu'elle était mal entourée; mais il pensa qu'il se devait à lui-même et à son attachement pour l'Impératrice, d'épuiser tous les moyens de faire cesser sa captivité. Il tenta d'abord, par plusieurs lettres pleines de sentimens et de dignité, d'émouvoir la justice et la sensibilité de l'Empereur d'Autriche. Les réclamations, les prières étant restées sans effet, il résolut de charger un officier de la couronne de se rendre à Vienne, pour négocier ou requérir publiquement, au nom de la nature et du droit des gens, la délivrance de l'Impératrice et de son fils. Il confia cette mission à M. le comte de Flahaut, l'un de ses aides-de-camp. Personne n'était plus en état que cet officier, de la remplir dignement. C'était un véritable Français: spirituel, aimable et brave, il était aussi brillant sur un champ de bataille, que dans une conférence diplomatique ou dans un salon, et savait plaire en tous lieux par l'agrément et la fermeté de son caractère.

      M. de Flahaut partit, et ne put dépasser Stuttgard. Cette disgrâce convertit en regret douloureux la joie qu'avait déjà fait naître l'espérance de revoir le jeune prince et son auguste mère.

      Les peuples qui se trouvaient répandus sur leur passage, avaient d'avance préparé les moyens de faire

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