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place.

      De forme ovale, cette place qui va en montant est enserrée par deux colonnades composées de quatre rangs de colonnes: au centre se dresse un obélisque; de chaque côté deux fontaines lancent une haute gerbe d'eau qui se termine en un panache d'écume; enfin à son extrémité commence un vaste escalier qui par trois rampes, conduit à un immense monument au-dessus duquel s'élève un dôme colossal;—ce monument, c'est la basilique de Saint-Pierre.

      Si Aurélien avait pu passer avec indifférence devant le Panthéon qui est un monument païen, il ne pouvait pas ne pas paraître ému en s'approchant de Saint-Pierre, qui est le monument chrétien par excellence—sinon par le sentiment et le style, au moins par la tradition.

      C'était le moment de s'attendrir et d'éprouver des sentiments de vénération et de componction: Saint-Pierre! le Vatican! c'est avec les yeux de l'âme qu'un catholique les regarde.

      Il n'y manqua pas; pas plus qu'il ne manqua d'aller baiser dévotement le pied de la statue de saint Pierre usé par les lèvres ardentes des pèlerins qui depuis des siècles sont venus le polir les unes après les autres.

      —Tu reviendras, disait M. de Vaunoise.

      Mais Aurélien n'avait pas besoin de cette parole pour hâter sa visite: s'il ne parlait plus de madame de la Roche-Odon, il ne l'oubliait pas, et il était curieux de reprendre l'entretien au point où il avait été interrompu.

      Bientôt ils remontèrent dans leur voiture, et par le Janicule, l'île du Tibre et l'Aventin ils se dirigèrent vers Saint-Paul.

      Comme beaucoup d'étrangers établis à Rome, Vaunoise avait une peur effroyable de la fièvre, et à chaque instant il s'interrompait pour dire:

      —Tu sais, là règne la fièvre.

      Mais Aurélien ne voulait pas entendre parler de fièvre: madame de la Roche-Odon toujours, et la seule madame de la Roche-Odon.

      Seulement, comme il importait de ne pas éveiller la défiance de Vaunoise, c'était avec des précautions et des détours qu'il revenait sans cesse à ce sujet.

      —Tu sais que je rêve de ce que tu m'as raconté de madame de la Roche-Odon; est-ce possible?

      —Probablement, puisque c'est vrai.

      —Vrai?

      —Dame, tout le monde le dit; et si tu vas à l'Apollo un de ces soirs, quand Cerda chantera, tu verras comment il se comporte en scène: il paraît qu'il lui est défendu de regarder qui que ce soit dans la salle; de là un jeu tout à fait étrange, je t'assure, et qui t'amusera.

      —Mais lord Harley?

      —Un mari, seul à ignorer ce que tout le monde sait; et puis il l'adore, car elle a toujours su se faire adorer, à preuve la naissance de Michel Berceau.

      —Qu'est-ce que c'est que Michel Berceau?

      —Le fils aîné de madame de la Roche-Odon.

      —Le prince Michel Sobolewski?

      —Lui-même.

      —Pourquoi l'appelles-tu Michel Berceau?

      —Je ne l'appellerais certes pas ainsi en lui parlant, mais c'est de ce nom que nous le désignons souvent entre nous.

      —Est-ce qu'il y a eu un M. Berceau dans l'histoire de madame de la Roche-Odon?

      —Ce n'est pas un M. Berceau qui a rempli un rôle dans l'histoire de madame de la Roche-Odon, ce sont trois berceaux, trois lits d'enfant. Madame de la Roche-Odon avait vingt ans de moins qu'aujourd'hui, et elle était dans toute la splendeur de sa beauté; elle habitait Paris, et son mari, le prince Sobolewski voyageait quelque part, n'importe où; enfin, il était depuis longtemps séparé de sa femme avec laquelle il avait vécu en fort mauvaise intelligence. Crois-tu que madame de la Roche-Odon se désespérait de cet abandon?

      —Ce n'est pas probable.

      —En tous cas elle avait trouvé des consolateurs, et comme elle allait devenir mère, son enfant lui ferait oublier son mari. Ce grand jour arriva et elle mit au monde un fils.

      —Michel.

      —Michel Berceau. Tu vas voir d'où vient ce nom de Berceau. Il n'y avait pas trois heures que la princesse Sobolewska était accouchée—c'est-à-dire madame de la Roche-Odon—qu'on apporte un berceau, mais un amour de berceau parisien, ce qui se fait de plus élégant, de plus coquet, de plus luxueux; attachée à la dentelle se montre une carte: c'est celle d'un des consolateurs de la princesse, un homme du monde parisien, jeune, charmant, etc. La princesse est ravie de cette attention; le berceau lui paraît la chose la plus délicieuse du monde, et elle donne l'ordre de coucher son fils dans ce merveilleux berceau, qu'elle fait placer auprès de son lit.

      —Je comprends.

      —Ne va pas si vite, nous n'y sommes pas encore. L'enfant est à peine couché qu'on apporte un second berceau. Celui-là est beaucoup moins élégant, et de plus il est d'assez mauvais goût. Mais on y a joint un écrin renfermant une parure en diamants et une carte. La princesse regarde peu le berceau, mais elle regarde tendrement les diamants, qui valent une centaine de mille francs. Elle regarde aussi la carte, qui porte le nom d'un de ses autres consolateurs: un financier allemand pas beau, pas jeune, pas spirituel, mais riche. Évidemment, il faut faire honneur à l'écrin. On retire l'enfant du charmant berceau dans lequel on venait de le coucher et on le place dans celui qui était accompagné de l'écrin. Puis cela fait, on met ce second berceau auprès du lit de la mère, et l'on emporte le premier pour le cacher dans quelque cabinet, attendu que les dentelles n'ont jamais pu lutter contre les diamants. Tu vois que tu allais trop vite tout à l'heure.

      —Alors c'est donc l'enfant aux deux berceaux.

      —Encore trop de hâte, attends un peu avant de les numéroter ainsi, l'histoire n'est pas finie. Voilà l'enfant couché dans le berceau n° 2, et il va s'endormir, lorsque la porte de la chambre de l'accouchée s'ouvre de nouveau devant un troisième berceau. Celui-là est horrible, et tel qu'une bourgeoise du Marais n'en voudrait pas. En le voyant la princesse laisse échapper un geste d'horreur. Coucher son enfant dans une pareille boîte, jamais, jamais. Cependant sa femme de chambre, sa confidente lui présente une enveloppe cachetée d'un large cachet de cire rouge, et qui vient d'être remise en même temps que le berceau, avec recommandation expresse de la porter immédiatement à la princesse. Celle-ci ouvre l'enveloppe. Pas de carte. Pas de lettre. Un simple chèque d'un million, signé du prince Sératoff.—Vite, vite, s'écria la princesse, couchez mon fils dans ce berceau et emportez l'autre.—Puis pendant qu'on opère ce nouveau changement, elle relit le billet doux qu'elle vient de recevoir et elle murmure:—C'est lui le père, il s'est reconnu.—Et voilà, mon cher, pourquoi nous appelons le prince Michel Sobolewski, ou Sératoff si tu aimes mieux, Michel Berceau qui est son vrai nom sans erreur possible, car nous n'avons pas les mêmes raisons que sa mère pour savoir s'il est Russe, Allemand ou Français. Pour achever l'histoire il faut te dire que le million offert à la mère n'est pas venu entre les mains du fils, et comme le prince Sératoff n'a point conservé l'enthousiasme paternel de la première heure, Michel serait aujourd'hui dans une assez lamentable position si lord Harley n'était pas là: il est joueur, le jeune Michel et il ne gagne pas toujours. Mais nous voici à Saint-Paul. Assez de madame de la Roche-Odon. Si tu prononces encore son nom, je ne te réponds pas.

       Table des matières

      La mère et le fils se retrouvèrent le soir pour dîner.

      Et après dîner ils montèrent dans leur appartement.

      Pour son fils, non pour elle, insensible aux exigences du bien-être, madame Prétavoine fit allumer du feu.

      Et au coin de la cheminée, l'un vis-à-vis de l'autre, à mi-voix, bien que les

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