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dire, et dévouée aux intérêts du Saint-Père, compatissante à ses malheurs. Que demander encore? Tout de suite on voyait à qui on avait affaire et quelle foi on devait accorder à ses paroles.

      Elle poursuivit:

      —Quand M. Filsac, votre avoué, apprit que le choix de notre comité s'était porté sur moi, il vint me faire une visite et me demanda de vous voir dans ce voyage. M. Filsac est un homme de bien, pour qui nous avons tous une grande estime, je n'avais rien à lui refuser. Mais, d'autre part, j'avais des raisons particulières pour accepter avec empressement la mission qu'il voulait bien me confier. En effet, j'ai le plaisir de connaître mademoiselle Bérengère, avec laquelle je dîne tous les jeudis à la table de son grand-père.

      Dire à madame de la Roche-Odon qu'on était reçu dans l'intimité du comte qu'elle détestait, était assez hardi, mais si cette révélation pouvait affaiblir la bienveillance de la vicomtesse, elle devait par contre provoquer son estime; mieux que personne elle savait que tout le monde n'était pas admis à l'honneur de s'asseoir à la table de son beau-père.

      —Ayant reçu la visite de M. Filsac, continua madame Prétavoine, j'ai hésité sur la question de savoir si je dirais à mademoiselle votre fille que je vous verrais dans mon voyage à Rome. Mais il m'a semblé que c'était jusqu'à un certain point intervenir dans des querelles de famille qui doivent toujours rester fermées aux étrangers, et avant de partir je n'ai rien dit à mademoiselle Bérengère.

      —Ma fille m'écrit.

      —Assurément, aussi n'aurais-je rien pu vous rapporter de particulier, tandis que je puis vous parler d'elle et cela sans que ma démarche puisse blesser M. le comte de la Roche-Odon, quand, de retour à Condé, je la lui raconterai.

      —M. de la Roche-Odon se blesse facilement.

      —Il ne peut pas trouver mauvais qu'une mère ait pensé à apporter des consolations à une mère qui, depuis plusieurs années, est séparée de son enfant. C'est dans ce sens que j'ai accepté la lettre de M. Filsac; c'est uniquement pour vous parler de mademoiselle Bérengère.

      Et longuement, abondamment, elle parla de Bérengère.

      De sa beauté, de sa grâce, de son esprit, de sa bonté, de sa charité, de sa piété.

      Ce fut un portrait complet, avec des petites anecdotes caractéristiques habilement choisies et souvent même habilement inventées; en ce sens au moins qu'avec un rien insignifiant elle faisait quelque chose d'important.

      Madame de la Roche-Odon écoutait attentivement, mais elle questionnait fort peu, encore le faisait-elle sans se livrer et sans qu'on pût conclure de ses paroles quels étaient ses sentiments pour sa fille.

      Dans son impatience, madame Prétavoine risqua une attaque qui pouvait amener madame de la Roche-Odon à se prononcer.

      —M. Filsac voulait encore me charger de paroles que, par déférence pour M. le comte de la Roche-Odon, je n'ai pas cru devoir accepter.

      —Ah! dit madame de la Roche-Odon sans montrer la moindre curiosité à l'égard de ces paroles.

      —Il voulait, continua madame Prétavoine, que je fisse valoir auprès de vous les raisons qui, selon lui, devraient vous amener à provoquer l'émancipation de mademoiselle Bérengère, qui deviendrait libre ainsi d'habiter près de qui elle voudrait.

      —M. Filsac va un peu loin dans son zèle.

      —C'est justement la réponse que je lui ai faite pour moi; car enfin, en ce qui me touche, je ne pouvais me charger de cette cause à plaider qu'en prenant parti dans la querelle qui vous divise, vous et M. votre beau-père, et c'eût été une inconvenance de ma part.

      Madame de la Roche-Odon ne répondit pas un mot, et madame Prétavoine ne tira de cette tentative qu'un doute de plus. Était-ce seulement parce qu'il lui déplaisait de recommencer des procès, que madame de la Roche-Odon ne voulait pas émanciper sa fille? Était-ce au contraire parce qu'elle attendait la mort prochaine du comte de la Roche-Odon, si bien qu'elle aurait pendant un certain temps l'administration de la fortune, que sa fille non émancipée, recueillerait dans cet héritage?

      Comme madame Prétavoine, décidée à en rester là pour cette première visite, s'était levée et allait prendre congé de Madame de la Roche-Odon, un jeune homme entra dans le salon.

      Il pouvait avoir vingt ans environ; il était de haute taille, avec une grosse tête blonde sur de larges épaules; le visage était imberbe, sans même un léger duvet; le nez écrasé, l'oeil petit, rond, mais brillant, la bouche largement fendue, avec des dents blanches et pointues; en tout un être baroque et qui à première vue était loin d'inspirer la sympathie.

      —Mon fils le prince Michel Sobolewski, dit madame de la Roche-Odon.

      Puis se tournant vers madame Prétavoine:

      —Madame Prétavoine de Condé-le-Châtel, qui veut bien nous apporter des nouvelles de Bérengère.

      Tout d'abord le prince Michel avait regardé cette vieille femme vêtue de noir, d'un coup d'oeil indifférent qu'on accorde à une domestique ou à une fournisseuse.

      Cette présentation amena un sourire sur ses lèvres pâles.

      —Et comment est-elle, la petite soeur?

      Ce fut madame de la Roche-Odon qui répondit à cette question en résumant en quelques mots tout ce que madame Prétavoine venait de lui dire.

      —Ah bah! si jolie que cela. Quel âge a-t-elle donc maintenant?

      —Seize ans, répondit madame Prétavoine.

      —Seize ans et jolie. Alors j'espère qu'elle traîne toute une troupe de soupirants derrière elle; mais qu'elle ne fasse pas la bêtise de choisir un mari. Je lui écrirai. Il ne faut pas qu'elle se marie avant d'avoir vu le monde. Et nous le lui montrerons, n'est-ce pas, mère? Son mari doit avoir un grand nom ou une grande situation et être un peu bêta, afin qu'elle le mène par le bout du nez: je lui trouverai ça.

       Table des matières

      Après avoir déposé sa mère à la porte de madame de la Roche-Odon, Aurélien, achevant d'user son heure de voiture, s'était fait conduire au palais Colonna, à l'ambassade de France.

      Mais c'est l'ambassadeur qui occupe le palais Colonna; quant aux bureaux, on les a installés dans des communs, anciennes écuries, remises ou cuisines, qui ouvrent leur porte borgne sur une ruelle appelée la via della Pilotta.

      Aurélien trouva son ancien camarade M. de Vaunoise dans une salle basse, enfoncé dans un grand fauteuil, et lisant un numéro du Sport, derrière lequel il disparaissait si bien, qu'on ne voyait de sa personne que deux pieds posés sur le dossier d'une chaise qui lui servait d'appui.

      Il fallut qu'Aurélien fit le tour de cette chaise pour découvrir son ami derrière le Sport.

      —Tiens, Prête-Avoine! s'écria le jeune attaché en lâchant son journal et en posant brusquement ses pieds par terre, Prête-Avoine à Rome!

      C'était ainsi que M. de Vaunoise avait l'habitude de prononcer ce nom roturier de Prétavoine, et il le faisait avec une désinvolture tout aristocratique.

      Si Aurélien avait été encore à l'Université et s'il n'avait point eu besoin de lui, il lui aurait répondu comme il lui répondait autrefois:

      —Oui, mon cher Balour-Eau.

      Mais ce n'était pas le moment de blesser celui dont il venait réclamer les services, et assurément ce nom de Balour-Eau ainsi prononcé n'eût point resserré les liens de leur camaraderie.

      En effet, M. le vicomte de Vaunoise se nommait, de son nom patronymique Baloureau,

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