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      L'évêque fit un signe à son domestique et celui-ci s'étant penché, il lui dit un mot à l'oreille.

      Aussitôt le domestique sortit et au bout de deux minutes à peine il revint, rapportant un petit carré sur lequel un nom était écrit: «Madame Prétavoine.»

      Cependant l'évêque avait achevé son déjeuner, il se leva, et avant de se retirer il adressa un salut à madame Prétavoine et à Aurélien.

      Et après lui toutes les personnes qui quittèrent la table saluèrent aussi la mère et le fils.

      De la fin de leur déjeuner à l'heure à laquelle ils pouvaient faire leurs visites, madame Prétavoine et Aurélien avaient du temps à eux.

      En regardant par sa fenêtre madame Prétavoine vit qu'elle avait une église devant elle, elle se dit que son temps ne pouvait pas être mieux employé qu'à faire une station dans cette église.

      C'était la première fois qu'elle pénétrait dans une église romaine; mais si elle voyait tout ce qui se passait autour d'elle elle ne prêtait guère d'attention aux monuments. Pour elle cela n'avait pas d'utilité immédiate et pratique, et une église quelle qu'elle fût n'était qu'une église.

      Cependant elle avait remarqué ces lourdes portières en cuir, qu'un mendiant vous soulève pour vous permettre d'entrer et de sortir; en sortant elle donna à celui qui lui souleva cette portière une pièce d'argent assez grosse, le mendiant, ébloui de cette générosité, se confondit en bruyantes bénédictions.

      —Pendant que vous vous faites conduire chez madame de la Roche-Odon, dit Aurélien, je vais aller chez Vaunoise.

      —Conduisez-moi plutôt chez madame de la Roche-Odon, dit-elle, et vous irez ensuite chez M. de Vaunoise; cela nous fera une heure de voiture au lieu de deux courses.

      Si Aurélien n'avait pas connu sa mère comme il la connaissait, il aurait été assurément surpris de la voir donner une grosse pièce à un mendiant et en économiser une petite sur une course de voiture; mais, s'il ne devinait pas la cause de cette prodigalité apparente, il savait qu'elle était voulue et calculée: à coup sûr c'était un placement.

       Table des matières

      Le quartier de Rome habité par les étrangers, par les forestiers, comme on dit, est celui de la place d'Espagne, avec ses rues environnantes, via Sistina, via Gregoriana. En effet, il n'y a guère que là qu'on trouve un peu de confort dans le logement et dans son ameublement; ailleurs, les appartements sont généralement distribués et meublés à la romaine, c'est-à-dire d'une façon un peu trop primitive pour qui veut faire un long séjour à Rome. Et puis, raison meilleure encore, ce quartier est à la mode.

      C'était rue Gregoriana que demeurait madame la vicomtesse de la Roche-Odon, dans une maison neuve et de belle apparence.

      Ce fut à la porte de cette maison qu'Aurélien déposa sa mère.

      Au coup de sonnette discret de madame Prétavoine, un petit domestique italien de treize à quatorze ans vint ouvrir la porte.

      —Madame la vicomtesse de la Roche-Odon?

      Il parut hésitant, mais il y avait cela de particulier dans son hésitation qu'il se montrait beaucoup plus disposé à rejeter la porte sur le nez de la personne qui se tenait devant lui, qu'à la lui ouvrir.

      Mais madame Prétavoine ne lui permit pas d'accomplir son dessein, car se glissant vivement et adroitement par la porte entre-bâillée, elle était dans le vestibule avant qu'il se fût décidé.

      Il la regarda un moment interloqué, puis lui tournant le dos, il alla à une porte et il appela avec son accent italien:

      —Mademoiselle Emma.

      Presque aussitôt arriva une personne de tournure imposante, âgée de quarante ans environ, parée, attifée avec prétention, et qui devait être une femme de chambre maîtresse ou une dame de compagnie.

      Madame Prétavoine lui exposa son désir, qui était de voir madame la vicomtesse de la Roche-Odon.

      Pendant qu'elle parlait, mademoiselle Emma la toisait des pieds à la tête et la dévisageait.

      Cet examen ne fut sans doute pas favorable, car mademoiselle Emma répondit que sa maîtresse ne pouvait pas recevoir.

      Madame Prétavoine reprit ses explications, d'une voix douce, et elle entra dans des détails qui devaient faire comprendre à cette femme de chambre l'importance qu'elle lui reconnaissait.

      —Elle venait de Condé-le-Châtel, le pays de M. le comte de la Roche-Odon, beau-père de madame la vicomtesse.

      —Il y a longtemps que je suis avec madame; je connais M. de la Roche-Odon, dit la femme de chambre d'un ton qui montrait que le moyen pour se mettre bien avec elle, n'était pas de lui parler «du beau-père de la vicomtesse.»

      —Alors, poursuivit madame Prétavoine sans s'émouvoir, vous devez connaître M. Filsac, avoué à Condé, et qui s'est occupé des affaires de madame la vicomtesse; c'est de sa part que je me présente avec une lettre de lui.

      Disant cela, elle tira en effet une lettre de sa poche.

      —C'est différent, je vais alors prévenir madame; mais en tous cas, elle est occupée en ce moment.

      —J'attendrai.

      Mademoiselle Emma la fit entrer dans un tout petit salon qui communiquait avec le vestibule; puis elle se retira pour aller prévenir sa maîtresse, et en s'en allant elle tira la porte de ce vestibule, mais néanmoins sans la fermer complétement.

      Madame Prétavoine s'était tout d'abord assise, et elle avait tiré de sa poche un petit livre relié en chagrin noir qui devait être un livre d'heures ou de prières, qu'elle avait ouvert; mais la femme de chambre partie, au lieu de se mettre à lire dans son livre, elle le posa tout ouvert sur une table qui était devant elle, et se levant vivement, en marchant avec précaution sur le tapis, elle commença à examiner curieusement les choses qui l'entouraient, meubles, tentures et gravures de la calcographie accrochées aux murs.

      Mais ce qui provoqua surtout son attention, ce furent des cartes de visite jetées pêle-mêle dans une coupe de bronze.

      Elle les prit et commença à les lire, mais les noms qu'elles portaient étant pour la plupart étrangers et par suite assez difficiles à retenir; elle tira un carnet de sa poche et se mit à les copier rapidement.

      Pour ce qu'elle se proposait, il pouvait lui être utile de savoir avec qui madame de la Roche-Odon était en relations, et puisqu'une sotte habitude permet qu'on fasse ostentation des cartes qu'on reçoit, elle eût été bien simple de ne pas profiter de cette bonne occasion.

      Un coup de sonnette vint l'interrompre dans son travail; rapidement elle abandonna les cartes et reprit son livre, de peur d'être surprise par un nouvel arrivant.

      En reculant d'un pas, il se trouva que par la porte entre-bâillée elle pouvait voir dans le vestibule.

      Son livre à sa main, elle glissa ses yeux jusque-là.

      Le petit domestique qui l'avait reçue venait d'ouvrir la porte, mais en reconnaissant celui qui se présentait, il lui avait fait signe qu'on ne pouvait entrer, en l'arrêtant d'une main et en mettant l'autre sur ses lèvres.

      Ce nouvel arrivant était un jeune homme vêtu avec élégance, portant au cou une cravate voyante et aux mains des pierreries qui jetaient des feux; son visage était rasé comme celui d'un prêtre ou d'un comédien, ses cheveux noirs étaient frisés.

      Comme le dialogue qui s'était engagé entre lui et le petit groom, avait lieu à voix basse et en italien, madame Prétavoine n'entendait pas les paroles qu'ils

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