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que Charles X, ou plus justement M. de Polignac, voulant récompenser le zèle monarchique et religieux des Baloureau, en avait fait des comtes de Vaunoise. Tout le monde connaissait l'origine et la date de ces lettres de noblesse, et personne n'avait oublié le nom de Baloureau, personne excepté ceux qui le portaient, bien entendu.

      C'était même pour que son petit-fils fût digne de son titre que le vieux père Baloureau avait voulu en faire un diplomate. Et par un bienheureux hasard qui ne se rencontre pas souvent, il s'était trouvé que le jeune héritier des ardoisiers avait quelques-unes des qualités de la profession qu'on lui imposait; de la finesse, de la politesse, du bon sens, beaucoup d'entregent, une affabilité qui le faisait tout à tous, de l'esprit, une extrême curiosité de tout savoir, l'amour de l'intrigue pour le plaisir de l'intrigue, de la réserve sous une apparence de légèreté; et, certainement cette réserve lui eût interdit le Prête-Avoine si ce n'avait été une plaisanterie d'école dont l'habitude était prise depuis longtemps.

      —Oui, mon cher Vaunoise, répondit Aurélien, avalant sans grimace le Prête-Avoine; à Rome depuis ce matin, et ma première visite est pour toi.

      —Bonne idée; je vais te faire faire ta première promenade; comme cela tu associeras mon souvenir à celui de Rome et tu ne m'oublieras plus. Nous prendrons une voiture à la place de Venise; viens.

      Ils n'eurent pas besoin d'aller jusqu'à la place de Venise; sur la place des Saints-Apôtres, ils trouvèrent une voiture découverte dans laquelle ils montèrent.

      —Tu es à moi, n'est-ce pas? demanda Vaunoise.

      —Certes.

      —Alors je te conduis.

      Et s'adressant au cocher, il lui dit de les mener à Saint-Pierre, en passant par le Panthéon.

      Puis se tournant vers Aurélien:

      —Il y a quatre choses principales, capitales, à voir à Rome, lui dit-il: le Panthéon, Saint-Pierre avec le Vatican, Saint-Paul et le Colisée avec le Forum et le Palais des Césars; je vais te les montrer, après tu te débrouilleras tout seul.

      Puis, comme il ne tenait pas essentiellement à faire étalage de son érudition, qui d'ailleurs était de fraîche date, il changea de sujet:

      —Tu es seul à Rome? demanda-t-il.

      —Non, je suis avec ma mère.

      L'occasion de parler de madame de la Roche-Odon se présentait, Aurélien la saisit avec empressement.

      —Mais ma mère ayant une visite à faire à la vicomtesse de la Roche-Odon, cela m'a permis de venir te voir.

      —Tu la connais, madame de la Roche-Odon?

      —Nous sommes liés avec son beau-père le vieux comte de la Roche-Odon; mais je n'ai jamais vu la vicomtesse.

      —Tu la verras ici, et elle vaut la peine qu'on se dérange pour elle, tu aurais dû accompagner ta mère; qui sait?

      —Comment?

      —Avec madame de la Roche-Odon tout peut arriver, et c'est l'improbable qui a le plus de chances.

      —Elle a au moins quarante ans.

      —On a l'âge qu'on paraît avoir, et quand tu auras vu madame de la Roche-Odon, tu ne diras pas qu'elle a quarante ans; vingt-cinq, vingt-huit au plus. Une merveille! Si tu habites Rome pendant un certain temps, tu entendras discuter plus d'une fois la question de savoir comment madame de la Roche-Odon est restée belle, et l'on te racontera les choses les plus invraisemblables.

      —Lesquelles?

      —Tu sais que nous sommes dans le Corso, si tu regardais un peu autour de toi au lieu de bavarder. Voilà le palais Doria.

      —T'écouter ne m'empêche pas de regarder: tu me disais qu'on racontait les choses les plus invraisemblables sur madame de la Roche-Odon...

      —C'est-à-dire sur les moyens qu'elle emploie pour conserver sa beauté: les uns prétendent que du commencement de l'année à la fin, elle prend un bain froid tous les matins; les autres, que ce n'est pas le froid physique qui la conserve, mais la froideur morale, autrement dit qu'elle ne s'émeut de rien et ne prend des passions que tout juste ce qu'il en faut pour se bien porter en donnant de l'activité à la circulation du sang; enfin mille explications. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'aujourd'hui elle est assez belle pour...

      Il s'interrompit.

      —Nous voilà au Panthéon, il faut descendre.

      Mais Aurélien refusa; puisqu'il logeait à la Minerve, il viendrait le lendemain visiter le Panthéon.

      —Et puis, ajouta-t-il dévotement, j'aime mieux que ma première visite soit pour Saint-Pierre.

      —Ça, c'est une raison respectable; cependant il serait curieux pour toi de voir comment Bramante a pris la coupole du Panthéon pour la poser sur son église.

      Mais Aurélien n'avait pas en ce moment des curiosités de ce genre.

      —Pourquoi, ou pour qui madame de la Roche-Odon est-elle assez belle? dit-il, pendant que la voiture roulait à travers des rues infectées par l'odeur de la friture et des guenilles qui séchaient au soleil.

      —Assez belle à quarante ans pour avoir un amant de vingt-huit ans, qui est fou d'amour, lord Harley. Connais-tu lord Harley?

      —Non.

      —Eh bien! quand tu l'auras vu, tu comprendras quelle puissance exerce madame de la Roche-Odon; car lord Harley n'est pas le premier venu; il a tout pour lui: élégance, distinction, fortune, savoir, et cependant il est l'esclave d'une femme plus âgée que lui de douze ou quinze ans. Elle le domine si bien que, pour avoir sa liberté à Rome, elle lui a soufflé le goût des fouilles; il passe son temps à Ardea, tu sais la fameuse Ardée de Turnus, la capitale des Rutules, où il est en train, dit-on, de faire des découvertes extraordinaires. Des fouilles dans la voie Apienne ou sur le Palatin, cela est à la portée de tous, mais à Ardea, en plein Latium, au milieu de la Malaria, voilà qui est original. Madame de la Roche-Odon lui a soufflé la passion des fouilles. Il publie sur ses découvertes un ouvrage fort curieux, qui paraît par livraisons, de temps en temps, avec des planches superbes que je te montrerai, et on raconte que naïvement il rapporte tout l'honneur de son travail à sa maîtresse: «C'est à elle, dit-il, qu'Ardea devra sa résurrection.» N'est-ce pas admirable? Tu te demandes peut-être pourquoi, au lieu de garder son amant près d'elle, et de lui faire faire des fouilles dans la voie Apienne ou sur le Palatin, elle l'a envoyé à Ardea.

      —Justement.

      —C'est qu'Ardea possède un avantage important pour madame de la Roche-Odon, qui est son éloignement, trente-cinq ou quarante kilomètres de Rome, si bien que quand lord Harley est parti pour surveiller ses fouilles, madame de la Roche-Odon est tranquille, elle sait qu'il ne rentrera pas à l'improviste.

      —Elle a donc à craindre que lord Harley rentre à l'improviste?

      —Je crois bien qu'elle a à craindre, demande à Cerda s'il lui serait agréable d'être surpris par lord Harley.

      —Qu'est-ce que c'est que Cerda?

      —Cerda est le ténor qui chante en ce moment au théâtre Apollo; un Sicilien que les femmes trouvent charmant et que madame de la Roche-Odon a enlevé à ses rivales. Tu vois par là si elle a quarante ans. Pour moi, je crois volontiers qu'elle ne les aura jamais et qu'elle continuera longtemps encore ses études. Car ce sont, paraît-il, des études que fait madame de la Roche-Odon: elle cherche un homme qui la comprenne ou qu'elle comprenne, je ne sais trop, mais enfin avec lequel il y ait accord parfait, et comme elle ne l'a pas encore trouvé, paraît-il, elle continue ses recherches sans se désespérer aucunement, convaincue qu'elle a encore de longues années devant elle. Présentement c'est Cerda qui est le sujet; et il est probable quelle le gardera tant qu'il ne sera pas réduit à l'état de caput-mortuum, comme disaient les alchimistes.

      Cependant,

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