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que ces montagnes là-bas, tout au loin, ne sont pas les montagnes des Abruzzes? dit-il.

      —Je le pense, dit Aurélien.

      Il se fit un silence; puis bientôt le prêtre reprit:

      —Cette longue galerie qui paraît se diriger vers le château Saint-Ange, c'est le corridor d'Alexandre VI, n'est-ce pas?

      —Je le crois, dit Aurélien.

      —C'était là une utile précaution.

      Mais Aurélien ne répondit pas et colla son nez contre la vitre.

      Après avoir regardé un moment la ville et la campagne, comme s'il les voyait pour la première fois, le prêtre tourna de nouveau sur ses talons et rejoignit ses deux compagnons.

      Alors Aurélien abandonna sa contemplation pour se rapprocher un peu plus de Michel, il avait trouvé son entrée en matière, et il pouvait l'aborder. Mais Michel qui s'était levé, le prévint.

      —Pardon, monsieur, dit-il à voix basse, est-ce que cet abbé ne vous demandait pas si cette galerie n'était pas le corridor d'Alexandre VI?

      —Oui, monsieur.

      —Ah! elle est bien bonne!

      —Pourquoi donc?

      —Parce que ce monsieur, qui paraît ne pas connaître Rome, est un chanoine de Saint-Pierre.

      Et Michel se mit à rire à mi-voix.

      —Mais vous n'avez pas répondu, et il en a été pour ses frais d'amabilité.

      Puis, riant toujours, il allait regagner son siége, lorsque Aurélien l'arrêta.

      —Voulez-vous me permettre, prince, d'aller au devant d'une formalité qui s'accomplirait dans quelques jours?

      —Vous me connaissez, monsieur.

      —Et je vous demande la permission de me faire connaître moi-même: ma mère a eu l'honneur de vous rencontrer dernièrement chez madame votre mère: Aurélien Prétavoine.

      —Ah! oui, dit Michel après avoir cherché un moment; madame Prétavoine, de Condé-le-Châtel; je me rappelle parfaitement. Alors, monsieur, vous êtes un ami de ma petite soeur?

      —J'ai cet honneur.

      —Enchanté de faire votre connaissance, monsieur.

      Et il tendit la main à Aurélien.

       Table des matières

      Enfin la connaissance était faite.

      Mais cette banale poignée de main n'était pas pour Aurélien un engagement suffisant, et il importait qu'en cette première rencontre des relations plus solides s'établissent entre lui et le frère de Bérengère.

      —Est-ce que le Saint-Père reçoit à l'heure précise fixée par la lettre d'audience? demanda-t-il.

      —Ma foi, je n'en sais rien, c'est la première fois que je viens ici.

      —Ah! vraiment.

      —Cela vous paraît drôle que je n'aie pas encore vu le pape; cela est, cependant. D'ailleurs, il me semble que c'est souvent ainsi que les choses se passent; les habitants d'une ville n'ont jamais vu les curiosités de leur pays que tous les étrangers connaissent. Enfin ça devenait ridicule de n'être pas encore venu au Vatican. J'ai fini par faire demander une lettre d'audience, et me voilà.

      —Alors vous ne connaissez pas les habitudes pontificales?

      —Pas plus que vous; seulement il me semble que l'exactitude est la politesse des souverains; c'est comme cela qu'on dit, n'est-ce pas? Et pour le moment je voudrais bien qu'il en fût ainsi, car je n'ai pas déjeuné.

      Aurélien arrêta ce mot au passage.

      —Il est de fait que moi aussi je commence à avoir faim.

      Cela n'était peut-être pas très-exact, car il avait déjeuné avant de monter en voiture; mais c'était un jalon qu'il pouvait être utile de planter dès maintenant.

      —Enfin, continua Michel, espérons que le pape va bientôt nous recevoir.

      Aurélien ne répondit pas, mais tout bas il fit des voeux pour que ce moment n'arrivât pas de si tôt.

      Tout en parlant, Michel avait atteint sa lettre d'audience pour voir de nouveau l'heure qu'elle fixait.

      —Elle porte bien onze heures, dit-il.

      Puis, du corps de la lettre, ses yeux allèrent à une note imprimée en marge.

      Alors, montrant cette note à Aurélien, il lut en traduisant:

      «Les dames seront reçues en robe noire, avec un voile sur la tête, et les hommes en uniforme ou en frac noir et en cravate blanche.»

      Et se mettant à rire:

      —Est-ce que ces exigences ne sont pas étranges chez le vicaire de celui qui a voulu naître dans une étable? dit-il.

      Avec tout autre, Aurélien aurait vertement relevé cette observation inconvenante, mais avec Michel, il garda un silence prudent; à quoi bon engager une discussion qu'il n'aurait pas la liberté de mener à bonne fin?

      —Pendant qu'on prenait ces précautions d'étiquette, continua Michel, on aurait bien dû parler des gants: voilà deux Français, là-bas, qui vont s'attirer des observations de quelque majordome, parce qu'ils sont irréprochablement gantés; pourquoi n'avoir pas dit qu'on ne paraît plus ganté devant le Saint-Père depuis que Colonna mit sa main gantée sur la joue d'un pape, lequel gant, au lieu d'être en chevreau, était en fer.

      Cette fois Aurélien ne fut pas maître de retenir sa langue.

      —Vous savez que c'est une fable, dit-il; jamais Sciarra Colonna n'a donné de soufflet à Boniface VIII.

      —Vous croyez? je le veux bien; en réalité, cela m'est égal.

      Ils parlaient dans l'embrasure de la fenêtre, tournés vers la ville, et devant eux, dans la prairie qui s'étend au bas des jardins du Vatican et va jusqu'au château Saint-Ange, des fantassins et des cavaliers de l'armée italienne faisaient l'exercice; de temps en temps, quand la bise soufflait, les roulements du tambour et les éclats du clairon faisaient résonner les vitres.

      —Vous voyez, dit Michel en étendant la main dans la direction de cette prairie, qu'on peut en tout temps manquer de respect ou d'égard envers un pape. Ces soldats, ce bruit du tambour et du clairon vous le prouvent. J'aimerais mieux avoir reçu un soufflet comme Boniface VIII, que d'entendre tous les jours, comme Pie IX, ces clairons et ces tambours.

      —C'est une infamie.

      —Je ne sais pas, mais à coup sûr c'est une maladresse; il y a à Rome d'autres places que cette prairie pour faire l'exercice du clairon et du tambour; on ne parade pas sous les yeux de ceux qu'on a vaincus. Le chanoine ne vous a pas parlé de ces soldats?

      —Nullement.

      —Pourtant l'occasion était bonne pour vous faire causer.

      —Ne vous trompez-vous pas? êtes-vous bien sûr que cet ecclésiastique soit un chanoine de Saint-Pierre?

      —Oh! parfaitement sûr; je ne sais pas son nom, mais je l'ai vu il y a deux ou trois jours dans sa stalle de la chapelle Clémentine, et je l'ai remarqué tout particulièrement, à cause de sa désinvolture et de sa façon de tourner sur les talons, quand il venait saluer l'autel. Je n'ai pas des habitudes de dévotion, mais je vais quelquefois, quand je n'ai rien de mieux à faire, assister aux offices dans Saint-Pierre: on est certain de rencontrer là des étrangères plus ou

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