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qui parlez-vous donc? C'est l'histoire du rat que j'attends de votre complaisance.

      —Mais non, soyez tranquille: ce qui m'occupe n'est pas du tout étranger à mon sujet.

      —Voyez ce petit vieillard courbé, cassé, au regard béat, à la mise hétéroclite, il marche en se dandinant et porte sous son bras un humble bissac qu'il cherche à dissimuler le plus adroitement possible. Si vous êtes physionomiste, je vous laisse le soin de deviner quelle est sa profession.

      —Ma foi, il ne faut pas avoir pâli longtemps sur les Lavater, les Gall, les Spurzheim et altri doctores ejusdem farinæ pour reconnaître de suite que c'est un vieil emb... mais quant à vous dire à l'instant même sa profession, s'il ne présente pas le goupillon à l'entrée d'une des trois églises de cette ville, je jette ma langue aux chiens.

      —Vous n'y êtes pas, mon cher, c'est un artiste.

      —Un artiste! ah! par exemple vous voulez rire! Je n'en ai jamais vu de taillé sur ce modèle.

      —Entendons-nous, mon cher monsieur, il y a artiste, et artiste, comme il y a fagots et fagots: celui-ci est un artiste de la catégorie la plus modeste, quoique ce soit grâce à son art que nos parquets jouissent d'un certain éclat.

      —Diable? c'est là un procureur du roi? Ma foi c'est bien le cas de dire avec le poëte:

      Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.

      —Mais je ne vous dis pas non plus que ce soit vrai ni même vraisemblable, ce vieux bonhomme est tout simplement un artiste frotteur, chargé, ainsi que plusieurs autres de ses confrères, de donner du lustre aux parquets de la Conversation-hauss.

      —Eh bien! qu'y a-t-il de commun entre ce vieux frotteur et le rat sur le compte duquel vous m'avez promis une anecdote?

      —Ce qu'il y a de commun? mille choses. Mais permettez-moi avant que j'entre en matière, de vous citer quelques jolis vers d'un de nos vieux poëtes.

      —Citez, je vous écoute.

      ...Auteurs qui ne médisent

       N'ont les rieurs souvent de leur côté:

       Voilà le siècle et le train qu'il veut suivre.

       Dit-on du mal, c'est jubilation;

       Dit-on du bien, des mains tombe le livre

       Qui vous endort comme bel opium.

      Ces vers sont de Sénecé.

      Laissez-moi encore me retrancher derrière quelque puissante autorité qui justifie mon incursion dans la vie privée de ces deux personnages. D'abord, et pour commencer par celui des deux qui paraît vous inspirer le plus d'intérêt, je vous dirai avec Démosthène, que les Grecs avaient trois sortes de femmes: les unes pour leurs plaisirs, c'étaient les courtisanes; les autres pour soigner leur personne, c'étaient les concubines; les troisièmes, les épouses, étaient destinées à perpétuer la famille et à gouverner avec sagesse l'intérieur de la maison.

      Je suis trop poli pour vous dire en propres termes à laquelle de ces trois catégories appartient la jolie personne dont nous nous occupons; je puis cependant affirmer qu'elle n'appartient pas à la dernière.

      Si maintenant vous voulez me permettre mes investigations à travers les profondeurs de l'histoire, je vous apprendrai si vous ne le savez déjà que chez les Grecs, les femmes de la première catégorie que je viens d'indiquer, devenaient les compagnes des hommes d'Etat, des poètes et des philosophes; qu'elles vivaient et conversaient avec ceux qui décernaient l'immortalité; qu'ainsi et tandis que l'honnête mère de famille tombait dans l'oubli, celles dont il s'agit figuraient dans l'histoire; que l'époque de leur naissance était un sujet de recherches; qu'on rapportait avec soin et détail leurs aventures; que leurs bons mots et leurs saillies étaient scrupuleusement enregistrés, et qu'après avoir porté souvent un diadème pendant leur vie, elles étaient ensevelies dans un tombeau dont la magnificence pouvait faire croire à celui qui était étranger aux mœurs d'Athènes, que c'était un monument consacré au plus grand des héros, des philosophes ou des magistrats de la Grèce.

      —Bon Dieu! cher poëte, combien vous êtes fécond en précautions oratoires! Est-ce que par hasard j'aurais l'honneur de confabuler avec un professeur d'histoire ou un membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres?

      —Pardon de mon pédantisme, cher monsieur; je ne suis pas coutumier du fait, mais pour faire circuler certains cancans qui rappellent les mœurs d'un autre âge, il fallait bien, comme le disent les sommités politiques de notre époque, m'étayer sur des précédents. Ainsi, à cette question que vous m'avez adressée: Qu'y a-t-il de commun entre ce vieux frotteur et le raton que nous venons de voir passer, je puis maintenant répondre:

      Que l'un est la cause et l'autre l'effet;

      Ou, si vous l'aimez mieux, que l'un est l'arbre et l'autre le bouton;

      Ou, si je veux être plus galant, que l'un est le rosier et l'autre la rose;

      Ou bien encore, que l'un est le cocotier et l'autre le coco.

      —M'avez-vous compris?

      J'ajoute que c'est le vieux bonhomme qui le premier développa l'intelligence de la jeune personne; elle n'avait pas encore deux ans que déjà elle comprenait parfaitement cette phrase si célèbre: Tirez le cordon s'il vous plaît!

      —Comment, c'est là le père de la jeune et brillante dame que nous venons de voir passer dans ce galant équipage, et elle est fille d'un portier devenu frotteur! Il faut donc qu'elle ait eu un grand nombre d'amants pour laisser son père à cette distance?

      —Pas encore tout à fait autant que la fille de ce roi d'Egypte qui ne demandait qu'une pierre à chacun de ceux qui se mesuraient avec elle, et qui en amassa assez pour faire ériger la plus célèbre des pyramides; mais patience, elle pourra bientôt lui rendre des points!

      —Diable! diable! il faut qu'elle soit bien belle pour avoir mis tant d'esclaves dans ses fers? Elle a donc bien des talents?

      —Belle! vous m'adressez là une question à laquelle il est difficile de répondre. Savez-vous bien qu'il faut l'assemblage de trente choses pour qu'une femme soit belle; témoin ces vers d'un de nos vieux auteurs:

      Celle qui veut paroir des femmes la plus belle,

       C'est dix fois trois beautés, trois longs, trois courts, trois blancs,

       Trois rouges et trois noirs, trois petits et trois grands,

       Trois étroits et trois gros, trois menus soient en elle.

      Vous seriez peut-être curieux de connaître toutes ces choses par leur nom; mais je ne puis vous les dire que dans une langue morte, car comme l'a dit Boileau:

      Le latin dans les mots brave l'honnêteté.

      Voici donc la description d'une belle accomplie telle que je la trouve dans une pièce de vers fort ancienne et fort rare.

      Ici le poëte chevelu se pencha vers Roman, et pendant quelques minutes il lui parla à l'oreille.

      —Maintenant, continua-t-il, je vois à votre œil interrogateur, que vous voulez savoir si ce portrait s'applique de point en point à la personne en question; pas absolument. Ainsi partout où l'auteur a mis nigra, il faut mettre flava, et là où il y a stricta, ampla; du reste on assure que c'est la femme la mieux faite qu'il soit possible de voir, et que le costume qui lui sied le mieux est celui que portait jadis la reine Pomaré, et qui n'était composé, dit-on, que d'un collier de grains rouges.

      Quant à ses talents, il se formulent en deux mots: séduire et plaire. Comme vous le voyez son lot n'est pas trop mauvais.

      J'en viens à mon histoire; car j'espère que vous n'avez plus de questions à m'adresser?

      —Je n'y renonce pas, mais pour le moment trêve aux digressions.

      —Je vous disais donc que Joséphine ou plutôt Maxime (car

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