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vous voyez, mon cher monsieur, qu'il est possible de rencontrer à Baden-Baden, quelques-uns des mystères de Paris.

      —Tron de l'air! je crois que vous avez raison.

      —Est-ce la première fois que vous venez à Baden-Baden?

      —Oui, cher poëte; mais j'y reviendrai, car je m'y amuse beaucoup.

      Il est en effet difficile de s'y ennuyer, car on rencontre ici les gens les plus nobles, les plus distingués et les plus riches de l'Europe; et des lions de tous les pays, qui sont au moins aussi ridicules et aussi amusants que nos lions parisiens. Ici, le républicain, le carliste et le milieu juste, ils vivent ensemble en bonne intelligence: chacun d'eux, en entrant dans la ville, a laissé ses opinions politiques à la porte, comme un bagage inutile; ils ont vraiment bien d'autres choses à faire et de plus importantes que de discuter! Ne faut-il pas qu'ils luttent d'excentricité les uns contre les autres; que le luxe de celui-ci fasse pâlir celui de son voisin? Et puis les bals, les réunions, les dîners princiers donnés par le fermier des jeux à l'aristocratie des baigneurs, et surtout le jeu qui occupe si bien tous les instants des habitués de Baden-Baden, qu'ils paraissent, hommes et femmes, jeunes et vieux, appliquer toutes les facultés qu'ils possèdent à l'étude des combinaisons aléatoires de la rouge et de la noire.

      Parmi ces nobles et riches étrangers, bourdonne un essaim de parasites et de fripons, qui ne viennent aux eaux que pour y pêcher de nouvelles dupes...

      —Vraiment, il y a ici des parasites et des fripons? dit Roman au poëte chevelu qui s'était fait si bénévolement son cicerone; je ne le crois que parce que vous me le dites.

      —Il y en a autant qu'au dîner où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, et ce n'est pas peu dire. Nous sommes enfin dans une véritable forêt de Bondy.

      A ce nom de la forêt de Bondy qui lui rappelait le crime dont Alexis de Pourrières avait été la victime, Roman ne put réprimer un mouvement convulsif, et il devint si affreusement pâle que son compagnon remarqua l'altération de ses traits.

      —Qu'avez-vous donc? dit-il, vous êtes aussi pâle qu'un des malheureux ouvriers de la fabrique de blanc de céruse de Clichy.

      Roman avait cent fois rappelé à son complice le crime qu'ils avaient commis ensemble, sans éprouver le moindre remords, et cette fois le nom seul d'un lieu voisin de celui où la victime avait rendu le dernier soupir venait d'éveiller toutes les voix de sa conscience, il faut le dire, et c'est une vérité consolante, la conscience n'est jamais muette[238].

      —Rassurez-vous, continua le poëte! Nous ne sommes pas il est vrai, dans la forêt de Bondy, mais nous sommes proches voisins de la Forêt-Noire, et sa réputation n'est pas meilleure que celle de la forêt que je viens de nommer. Mais rassurez-vous, les bandits que vous rencontrerez à la Conversation-hauss, à l'Ursprung[239], à l'abbaye de Lichtental, au Geroldsane, à l'Angle-Vert, au Fremersberg et à Alte-Schloss, ne vous voleront ni votre bourse, ni votre montre; et parmi eux, il en est plusieurs qui sont de très-honnêtes gens dans toute l'acception du mot, qui apportent dans toutes leurs relations une extrême délicatesse, et qui cependant deviennent des fripons aussitôt qu'ils ont pris place devant une table de jeu.

      Ces individus sont, pour la plupart, connus des habitués des eaux; mais ceux-ci, qui ont été leurs tributaires, se gardent bien de les faire connaître aux nouveaux venus; ils sont au contraire bien aise de voir ces derniers tomber entre les griffes de ces industriels qui jouent tous les jeux avec perfection. Ajoutez à cette science leur adresse, les cartes biseautées, et tout ce qui s'en suit, et vous pouvez facilement deviner ce qui arrive au nouveau débarqué.

      Ce qui se passe à Baden-Baden, se passe aussi dans tous les lieux où l'on joue; les gens du grand monde ont fondé des cercles dans lesquels ils se réunissent pour se livrer aux plaisirs de la conversation, sabler des vins généreux, faire bonne chère, et jouer lorsque l'occasion s'en présente. Pour devenir membre de ces sortes d'établissements, il faut que le candidat soit présenté par plusieurs parrains et qu'il consente à ce que son nom soit affiché pendant un certain laps de temps, dans la salle principale du cercle, afin que s'il se trouvait par hasard des opposants à l'admission, ils pussent faire connaître à un comité ad hoc, les raisons qu'ils voudraient alléguer contre elle. Cette mesure est sage, et si elle était rigoureusement observée, les cercles seraient des lieux de réunion fort agréables; malheureusement il n'en est rien. Comme chacun de nous se croit toujours assez fort pour ne rien devoir craindre, et que généralement on ne se soucie pas de se faire des ennemis sans aucune utilité; presque toujours, si la réputation du candidat n'est que douteuse on se contente d'opiner du bonnet, si elle est tout à fait mauvaise, on s'abstient. Si le candidat est riche, s'il porte un nom aristocratique, s'il est viveur, joueur surtout, il est reçu avec acclamations. De ce que je viens de vous dire de la manière dont se font les admissions, vous pouvez conclure que les exploiteurs trouvent facilement les moyens de se glisser parmi les habitués des cercles les mieux famés, dans lesquels on ne devrait cependant rencontrer que des gens estimables; aussi peut-on dire, sans crainte d'être démenti, que l'on trouvera dans tous, quelle que soit l'heure à laquelle on s'y présente, des individus toujours prêts à coucher votre bourse en joue; il faut pourtant en convenir, ce n'est jamais là qu'ils travaillent; trop de regards expérimentés seraient à même d'y surveiller leurs opérations; mais lorsque arrive un débutant dans la carrière du dandysme et des belles manières, ils jettent de suite sur lui leur dévolu, et tôt ou tard il faut qu'il succombe. Ils trouveront mille moyens de le circonvenir, de capter sa bienveillance; l'un lui proposera de lui faire admirer des chevaux pur sang où des chiens de race, un autre lui vantera les charmes de tel rat à la mode et le résumé de toutes ces avances, est ordinairement une invitation à un dîner qui viendra d'être perdu, invitation qu'il ne pourra se dispenser d'accepter.

      Après le repas, lorsque les fumées du vin de Champagne auront échauffé le cerveau de la victime, les parties seront engagées, et quel que soit le jeu choisi que ce soit la bouillotte, l'écarté, le creps où la roulette (ces messieurs ont des roulettes fabriquées en Angleterre, dont les cases sont si adroitement arrangées, qu'un léger mouvement fait à propos, rend celles qui seraient favorables au ponte, inaccessibles à la boule), elle perd toutes les sommes qu'elle pose sur le tapis.

      Lorsque je vous disais, il n'y a qu'un instant, que de très-honnêtes gens, dans les relations ordinaires de la vie, étaient des fripons au jeu, vous avez secoué la tête d'un air de doute. Parce que vous êtes honnête, mon cher monsieur, et que vous ne connaissez pas encore toutes les misères de la vie parisienne; vous ne pouvez croire que l'homme qui vient de serrer affectueusement votre main dans les siennes, vous dépouillera sans scrupule, si vous vous asseyez devant lui à une table de jeu; cette incrédulité fait votre éloge; mais si vous voulez me croire, ne jouez jamais autre part que dans des établissements semblables à celui-ci, où plutôt ne jouez pas du tout, ce sera beaucoup plus sage.

      Deux individus qui se placent l'un vis-à-vis de l'autre pour se disputer, les cartes ou les dés à la main, une somme plus ou moins forte, sont, tant que dure la partie, deux ennemis qui cherchent à se vaincre... Eh bien! supposez au plus honnête homme du monde le pouvoir de changer ses cartes au moment où il va perdre la partie, croyez-vous qu'il n'en usera pas?

      —Eh! eh!

      —C'est l'histoire du mandarin dont parle Rousseau dans je ne sais plus quel ouvrage. Beaucoup de gens qui, lorsqu'ils ont appris ce qu'ils savent, ne voulaient d'abord que se mettre en état de ne pas redouter les ruses des fripons, sont devenus les plus intrépides et les plus dangereux des exploiteurs, et cela se conçoit: si vous mettez une arme entre les mains d'un individu, il s'en servira lorsqu'il se trouvera dans la nécessité de se défendre.

      Aussi, des hommes haut placés dans la hiérarchie sociale, des grands seigneurs fidèles à la religion du serment, des notaires dévots, des avocats patriotes, des négociants, auxquels la Bourse accorde une certaine considération, trouvent dans le jeu des ressources précieuses, une somme de bénéfices souvent plus importants que ceux que leur procure l'exercice de leur profession.

      Ce sont ceux-là qui sont ordinairement chargés d'organiser les

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