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avec celle de ses adorateurs. C'est ainsi qu'il y a quelque temps et pour tirer parti de ce surabondant, elle avait pris en affection une chienne épagneule d'une force et d'une taille énorme, nommée Miss. Maxime et sa chère Miss étaient inséparables, c'était à en faire crever saint Roch de dépit! En voiture, au théâtre, à table, au lit, à la promenade, Miss était partout; quand on voyait Maxime conduire en laisse cette énorme bête, on se rappelait involontairement cette question de Cicéron à son gendre qui, étant petit, affectait de porter une grande épée: «Mon Dieu! mon gendre, qui donc vous a attaché à votre épée?» De même, on pouvait demander à Maxime: «Qui donc vous a condamnée à être attachée à la chaîne de cette vilaine bête?»

      Bref, on pense bien qu'une passion si extraordinaire pour un animal dut amener plus d'une scène bizarre entre Maxime et ceux de ses adorateurs qui voulaient régner sans partage dans son cœur. Il n'entre pas dans mon sujet d'en faire le récit; mais pour trancher court, je dirai que tous ceux qui déplurent à Miss furent promptement congédiés.

      C'est vraiment un problème à jamais insoluble pour moi, qu'une femme qui ne connaît d'autre divinité que l'inconstance, ait placé toutes ses affections sur le symbole de la fidélité.

      Quoi qu'il en soit, historien fidèle de la catastrophe qui a mis fin aux jours de l'infortunée Miss, je vous dirai que les précautions et les soins que prenait sa maîtresse pour conserver une existence si précieuse, amenèrent son trépas bien avant l'heure marquée par la fatale Parque. Gorgée de bonbons, de biscuits, de macarons, de champagne, de café, de punch, au sortir d'un petit souper fait en tiers avec sa maîtresse et une personne que par discrétion je ne nommerai pas, l'infortunée Miss fut frappée d'apoplexie et ne tarda pas à rendre le dernier soupir. Nuit effroyable où retentit tout à coup et comme un éclat de tonnerre cette sinistre nouvelle: Miss se meurt! Miss est morte!!!.....

      O Gresset! que n'ai-je la plume avec laquelle tu traças la mort de Vert-Vert! Ou plutôt, Muse de l'épopée, redis-moi les douleurs, les larmes et les cris de la triste Maxime! Non, jamais Andromaque ne versa tant de larmes sur son Hector; non, jamais la sensible Didon ne regretta tant le fils d'Anchise!

      Hélas! Cet objet de tant d'amour, de tant de larmes, n'est plus en ce moment qu'un froid et insensible cadavre! La voix, les caresses de l'inconsolable Maxime resteront désormais sans écho, dans ce cœur glacé par la mort.

      Une sombre tristesse s'empare de ses sens. Elle veut que des signes publics et ostensibles témoignent des regrets qu'elle éprouve d'une perte aussi cruelle. Pendant trois jours! Oui, pendant trois mortels jours, elle fuit tout regard masculin, elle se plonge dans le deuil le plus profond; et pour qu'il ne soit ignoré de personne, ô infandum, elle attache le crêpe funèbre à sa jarretière!... A cet aspect, les Amours épouvantés, fuient à tire d'ailes.

      Mais que va faire l'infortunée Maxime? Quelle sépulture va-t-elle donner à sa chère Miss? Celle qui régnait si puissante dans son cœur, maintenant objet infime, sera-t-elle, comme le vulgaire des êtres de son espèce, abandonnée à ces barbares qui n'aiment des chiens que leur enveloppe?...

      Non! mille fois non!...

      Nouvelle Mausole; il faut que le tombeau de sa chienne favorite, dépose éternellement de sa douleur et de ses larmes! Elle s'occupe donc, en sanglotant, de régler les funèbres apprêts de ses funérailles. Une boîte en cœur de chêne est ordonnée; on la garnit d'ouate, on la parfume des plus fines essences, puis on procède à la dernière toilette de Miss; on la peigne, on la bichonne, on lui met dans la gueule un mouchoir de fine batiste imprégné d'eau de Cologne et de patchouli, son corps a pour première enveloppe, une des plus belles robes de sa maîtresse, viennent ensuite une chemise, des draps, des serviettes, des nappes. Enfin, la boîte est refermée sur ces tristes restes au moyen de vis d'argent.

      Ici, nouvel embarras de Maxime! Quelle terre sera digne de recevoir la dépouille mortelle de Miss, de la célèbre Miss?

      Dans cette perplexité, Maxime se fait apporter l'atlas de Lapie; elle en interroge tous les feuillets; mais dans sa douleur, est-il possible qu'elle fasse un choix? Tout à coup, cependant un trait de lumière se fait jour à travers les ténèbres profondes où son âme est plongée. Miss, la fidèle Miss, ne peut-être inhumée d'une manière digne et convenable, que dans la terre classique de la fidélité! C'est donc la Picardie, qui aura la gloire de conserver ses dépouilles.

      La suivante de Maxime est appelée; c'est à elle qu'est confiée la triste mission de procéder aux dernières cérémonies.

      La poésie, l'éloquence, jettent à profusion des fleurs sur la tombe de Miss.

       Consummatum est!...

      —Dieu de Dieu! s'écria Roman, j'ai presque envie de pleurer.

      Excusez ma douleur, cette image cruelle

       Sera pour moi de pleurs une source éternelle!

      Quel bon cœur! Quelle sensibilité! Quel bon caractère! Cette Maxime, est vraiment la perle des femmes; je l'aime, j'en suis fou... Eh, mais! et ce pauvre vieux qui est, dites-vous, son père; vous ne m'en avez plus reparlé? J'espère que sa fille a pour lui, des soins et des égards qui témoignent que, chez elle, le père est infiniment au-dessus de la bête?

      —Avant que je ne réponde à cette question, dit le poëte chevelu, examinez, je vous prie, la femme qui descend de cette voiture dont la portière vient d'être ouverte par une espèce de commissionnaire dont les jambes vacillantes et le regard hébété, annoncent qu'il a déjà absorbé une quantité plus que raisonnable de petits verres.

      L'équipage est au moins aussi élégant que celui du rat dont je viens de vous parler; cependant la femme qui vient d'en descendre n'est pas aussi attrayante que la belle Maxime, aussi elle emploie des moyens tout différents pour soutenir le luxe dont elle s'environne; ce que la première demande aux charmes de sa personne, la seconde le trouve dans les finesses de son esprit.

      Cette femme a vu s'écouler son dixième lustre; elle n'a pas cependant renoncé à l'espoir de paraître jeune; mais ses manières enfantines, ses petites minauderies, s'accordent mal avec un extérieur qui n'a rien de distingué; elle est d'une taille au-dessous de la moyenne, ses formes, d'une ampleur prononcée, rappellent celles de la Vénus Hottentote; et si son visage fortement coloré n'est pas parsemé de marbrures violacées, indices certains d'un tempérament sanguin, c'est grâce à un usage souvent répété de la pommade de concombre.

      Si j'étais forcé de vous énumérer toutes les friponneries, toutes les escroqueries qu'elle a commises et que vous soyez forcé de m'écouter, nous devrions nous résigner à rester ici jusqu'à demain matin; aussi je pense qu'il vous suffira de savoir qu'elle ne recule devant rien, que tous les moyens lui sont bons lorsqu'elle veut se procurer de l'argent; elle sait à propos prendre tous les masques; toutes les ruses lui sont familières. Elle trouva même le moyen de dépouiller, de tout ce qu'elle possédait, une vieille femme qui se croyait au moins aussi fine qu'elle; et qui se faisait, je ne sais pour quelle raison, appeler la reine de Hongrie.

      —En vérité, cher poëte, vous êtes un singulier conteur; depuis plus d'une heure vous me tenez le bec dans l'eau; me direz-vous enfin quels rapports existent entre Maxime et le vieux frotteur, entre la femme dont vous me parlez maintenant, et ce commissionnaire à demi ivre?

      Répondez-donc enfin, ou bien je me retire.

       —Ah, de grâce! Un moment souffrez que je respire.

      Maxime et la baronne *** (je ne vous dirai pas le nom de cette femme qui, du reste, est la même que celui d'un homme qui occupe la place la plus haute dans la hiérarchie directoriale des théâtres), roulent toutes deux sur l'or et les billets de banque; elles ont toutes deux de somptueux appartements, de riches parures, et comme vous avez pu le voir, des équipages et une livrée dignes d'être enviés par une duchesse. Maxime, sans compter le fils d'un pair de France, a ruiné déjà un bon nombre de jeunes gens de famille; la baronne ***, a escroqué l'univers entier. Cependant on pourrait peut-être trouver quelques excuses à leur conduite, si elles avaient conservé quelques-uns des bons sentiments qui

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