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      —Tu as joué?

      —Oui.

      —Et tu as sans doute beaucoup perdu?

      —C'est ta faute autant que la mienne, pourquoi m'as-tu quitté? Lorsque je suis seul je m'ennuie et alors je joue pour me distraire, mais ce qui vient de m'arriver me servira de leçon.

      —Voilà plusieurs fois déjà, que tu me tiens le même langage... Voyons, combien as-tu perdu?

      —Vingt-deux mille francs.

      —Vingt-deux mille francs! s'écria Salvador; mais bourreau, ajouta-t-il, tu as donc promis au diable de nous ruiner?

      —J'en conviens, la saignée est un peu forte; mais tu le sais, mon ami, au jeu comme à la guerre, on peut en un instant, réparer les pertes d'une année.

      —Ainsi, tu ne veux pas cesser de jouer?

      —Pourquoi n'essayerais-je pas de regagner ce que j'ai perdu?

      —Ah! je voudrais que tous les joueurs fussent au fond des enfers!

      —Le souhait est charitable, mais veux-tu me permettre une petite observation?

      —Je t'écoute.

      —Il a été dit, si je m'en souviens bien, que la fortune du marquis de Pourrières nous appartiendrait à tous deux?

      —Sans doute.

      —Depuis que nous sommes ici, j'ai perdu deux cents mille francs environ... Eh! bien, crois-tu que tu n'as pas dépensé davantage en objets de luxe, en chevaux, en équipages, sans compter ce que t'a coûté l'organisation et la musique de ton bataillon de garde nationale.

      —Mais, mon ami, ce n'est pas tant l'argent que tu as perdu que je regrette, que le mauvais effet que ta conduite peut produire dans le monde, on doit difficilement comprendre qu'un intendant puisse perdre des sommes considérables; et l'on peut penser que tu es un fripon et que je suis un imbécile.

      —Ce que tu dis est vrai; mais indique-moi, je t'en prie, le moyen de vaincre une passion aussi impérieuse que la passion du jeu?

      —Ecoute! Roman, notre position est délicate, le plus léger accident peut déchirer le voile épais qui couvre nos crimes. Les lieux que tu fréquentes sont le rendez-vous de tout ce que la société renferme de plus vicieux, et tu peux y rencontrer quelqu'un qui te reconnaisse.

      —Tu parles aussi bien que feu saint Jean bouche d'or, et je te promets de suivre à l'avenir tous tes conseils.

      —Je désire que cette fois tu tiennes tes promesses. Ainsi c'est convenu tu ne joueras plus?

      —Laisse-moi seulement regagner ce que je viens de perdre, et après je dis un éternel adieu aux tapis verts, aux cartes et aux dés.

      —Mon cher ami, ne nourris pas plus longtemps une espérance qui conduit au suicide tous les joueurs qui ne veulent pas mourir de faim.

      Silvia, que Salvador avait menée près de la noble châtelaine chez laquelle elle habitait lorsque Roman l'avait abordé, avait quitté cette dame après une conversation de quelques minutes, et ayant suivi une assez longue avenue en se cachant derrière chaque arbre, elle était arrivée dans le fourré épais où se trouvaient Salvador et Roman.

      Elle venait à ce moment de se placer assez près d'eux pour pouvoir entendre tout ce qu'ils disaient.

      —Mon cher Roman, ajouta Salvador après quelques instants de silence, cela ne peut durer. Depuis que nous sommes ici, voilà plus de deux cent mille francs que tu perds; encore quelques années de cette vie et nous serons ruinés, et forcés peut-être de reprendre, notre ancien métier. Séparons-nous, c'est le parti le plus sage que nous puissions prendre.

      —Ingrat! répondit Roman, tu veux me quitter?

      —C'est de ma part un parti pris, si tu ne veux pas changer de conduite. Comme, ainsi que je te l'ai dit, j'ai l'intention de me fixer à Paris, je vais emprunter sur toutes les propriétés de la seigneurie de Pourrières la somme qu'il me faut pour monter maison dans la capitale: si tu le veux, je te remettrai une somme équivalente à celle qui te revient sur ce qui nous reste.

      —Ne me remets rien et restons comme nous sommes: tu sais bien que je ne puis pas me séparer de toi.

      —Restons ensemble puisque cela te plaît; mais je prends, à partir de ce jour, la clé du coffre, et lorsque tu voudras jouer ne viens pas me demander de l'argent, car je te le jure, je ne t'en donnerai pas.

      —Eh! qu'est-ce que cela me fait? Crois-tu par hasard, que si j'en voulais absolument il ne me serait plus possible de m'en procurer?

      —Ne va pas au moins remettre la main à la pâte!

      —C'est bon, c'est bon, le temps est un grand maître! Du reste je suis décidé à ne plus jouer.

      —S'il en est ainsi, tout est oublié. Mais il faut que je te quitte pour m'occuper un peu de mes invités, tu m'attendras dans mon appartement, n'est-ce pas?

      Silvia cachée derrière un arbre avait écouté la fin de la conversation du marquis de Pourrières et de son intendant, et cette conversation venait de lui apprendre qu'il existait un secret entre ces deux hommes; mais de quelle nature était ce secret? C'était là ce qu'elle aurait voulu savoir, et ce que peut-être elle aurait appris si un de ces éternuements, que malgré les plus violents efforts il est impossible de comprimer, n'était pas venu tout à coup, révéler aux deux amis la présence d'un tiers.

      —Quelqu'un nous écoute dit Roman à voix basse en montrant du doigt la place où se tenait Silvia.

      —Nous n'avons heureusement rien dit qui puisse nous compromettre, répondit de même Salvador.

      Silvia, aux mouvements du marquis et de son intendant, qui depuis son malencontreux éternuement ne parlaient plus qu'à voix basse, avait deviné qu'elle venait d'être découverte, craignant d'avoir été reconnue et ne voulant pas laisser supposer à son amant qu'elle n'était venue que pour l'épier dans cette partie du parc, elle quitta la place qu'elle occupait et se dirigea vers lui.

      Hé quoi! c'est vous, monsieur le marquis? dit-elle en l'abordant, je n'espérais pas, je vous l'assure, avoir le bonheur de vous rencontrer dans cette partie déserte du parc.

      —Ah! vipère, pensa Salvador, en se mordant les lèvres, tu nous épiais! Croyez, madame la marquise, dit-il en offrant son bras à Silvia, que le bonheur est tout de mon côté. C'est bien, continua-t-il d'un ton bref et impératif en s'adressant à Roman qui, ignorant encore la liaison qui existait entre son complice et la femme qu'il avait devant les yeux, était redevenu le plus humble et le plus poli des intendants, c'est bien, vous pouvez vous retirer.

      Roman s'inclina et laissa seuls Silvia et Salvador.

      —Vous nous écoutiez! dit ce dernier à sa maîtresse.

      —Je crois que vous vous trompez, répondit-elle.

      —Pourquoi dissimuler? Je vous ai vue, vous étiez là.

      Et Salvador montrait à Silvia l'arbre derrière lequel elle s'était tenue cachée.

      —Et, quand cela serait! répondit-elle, quels reproches auriez-vous le droit de me faire? Grâce à l'emploi de je ne sais quels moyens, vous êtes parvenu à savoir plus de choses qui me concernent que je n'en sais moi-même. Pourquoi ne me serait-il pas permis de faire, pour savoir ce qui vous regarde, l'équivalent de ce que vous avez fait vous-même? Du reste ne soyez pas inquiet, je ne sais rien, je n'ai rien entendu.

      Salvador regarda fixement Silvia; il voulait deviner sa pensée dans ses yeux: elle soutint sans changer de visage les regards qu'il attachait sur elle, puis elle lui dit en souriant avec grâce:

      —Et quand bien même je saurais quelque chose! Quel mal pourrait-il en résulter pour vous? n'avons-nous pas fait ensemble une espèce de pacte? observez-en les conditions avec

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