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dit-elle.

      Salvador était venu sur le terrain avec le dessein d'attaquer, et c'était l'ennemi qui lui présentait la bataille. Cette interversion des rôles, qu'il n'avait pas prévue, le dérouta siége; aussi il hésita quelques instants avant de se déterminer à répondre.

      —Eh! bien, reprit Silvia, m'aimez-vous?

      —Je le crois, répondit Salvador.

      —Je ne serai pas moins franche que vous, je n'ai encore aimé personne, pas même mon mari, ajouta-t-elle en souriant, et j'ai cru jusqu'à ce jour que ce serait toujours ainsi: il paraît que je me suis trompée.

      —Ah! madame, est-ce un aveu et dois-je l'interpréter en ma faveur?

      —Vous faites beaucoup trop de chemin en peu de temps, monsieur le marquis, je ne veux pas dire que je vous aime, mais seulement qu'il est possible que je finisse par vous aimer; mais si vous voulez me croire, nous en resterons là.

      —Ah! madame, ce que vous me demandez est impossible.

      —Je ne sais si je me trompe, monsieur le marquis, mais quelque chose me dit que d'une liaison entre vous et moi il ne doit rien résulter de bon.

      —Croyez, madame, que si mes espérances se réalisent, de mon côté du moins, vos prévisions seront trompées.

      La conversation continua quelques instants encore sur ce ton, et Salvador ne quitta la belle marquise de Roselly qu'après avoir obtenu la permission d'aller chez elle lui présenter ses hommages.

      L'amour, ce sentiment si pur, par lequel deux âmes se fondent en une seule, peut-il donc être éprouvé par des créatures aussi perverses que celles qui nous occupent en ce moment; et le sentiment qui les engage à se rapprocher l'une de l'autre, est-il bien le même que celui dont nous avons tous plus ou moins ressenti les atteintes; hélas! oui, les tigres aussi bien que les colombes recherchent les individus de leur espèce, lorsqu'arrive la saison des amours.

      L'amour, lorsqu'il a lié l'un à l'autre deux individus dont la vie a été une suite continuelle de débordements et de crimes, est peut-être plus violent, plus constant, plus capable de dévouement que celui qui a pris naissance dans le cœur d'un individu de trempe ordinaire; cette vérité une fois admise, les événements qui doivent être le résultat de la rencontre de Salvador et de Silvia, ne seront plus que les effets naturels d'une cause prévue.

      Il nous eût été facile, pour justifier ceux des événements de ce livre qui peuvent au premier aspect paraître extraordinaire, de rapporter une foule de faits empruntés à la vie réelle; nous n'avons usé de cette faculté qu'avec une extrême réserve, car nous savions que ce n'est pas sans courir le risque d'ennuyer ses lecteurs, qu'un auteur étale les trésors de son érudition; cependant le nouvel aspect sous lequel nous sommes forcé de présenter Salvador et la fille de la mère Sans-Refus, nous engage à rappeler au souvenir de nos lecteurs, quelques faits récents qui se rattachent à un célèbre criminel.

      Les malfaiteurs, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, voleurs ou assassins de profession (il existe des assassins de profession et nous aurons occasion de peindre quelques-unes de ces hideuses individualités), sont comme tous les autres hommes, plus peut-être que tous les autres hommes, dominés par l'amour-propre; mais comme ils ne peuvent se glorifier des vertus qu'ils ne possèdent pas, ils se glorifient de leurs crimes: ainsi que nous l'avons déjà dit, ils méprisent ceux d'entre eux qui ne volent que des bagatelles ou qui, après avoir volé, manifestent l'intention de se repentir; la publicité que les journaux donnent à leurs méfaits les flatte au lieu de les chagriner, et bien souvent ils arrivent au bagne ou dans la prison ayant dans leur poche le numéro de la feuille dans laquelle se trouve le compte-rendu des débats qui ont amené leur condamnation. Aussi, depuis que les journaux judiciaires élèvent un piédestal à chaque grand criminel, et que les dames du meilleur monde assistent parées comme pour le bal aux audiences de la cour d'assises, lorsque l'acte d'accusation promet des détails sanglants ou érotiques, tous ceux que l'on amène sur le banc des accusés, cherchent à prendre une attitude dramatique et pour eux, l'instant du triomphe est celui où l'auditoire paraît glacé d'épouvante.

      Poulmann est peut-être de tous les assassins qui depuis quelques années ont comparu devant la cour d'assises de la Seine, celui qui a affiché le plus révoltant cynisme et la plus effroyable immoralité: Eh bien! cet homme qui énumérait avec une certaine complaisance toutes les phases de son crime, qui décrivait sans sourciller l'horrible agonie de sa victime, se rattachait cependant à l'humanité par l'affection qu'il portait à la femme Simonnet, surnommée Louise aux yeux de chat, qui, de son côté était folle de lui. Ces deux individus, pendant leur détention à la Conciergerie, se donnaient à chaque instant les preuves d'un attachement sans bornes. Poulmann, auquel Louise avait donné toute sa chevelure, la contemplait avec ravissement, à tous les instants du jour, et la portait constamment sur son cœur; il adressait à sa maîtresse des lettres dans lesquelles il lui peignait son amour en traits de feu, et lorsqu'il la rencontrait à l'avant-greffe, il la serrait entre ses bras avec une force extraordinaire. Louise aux yeux de chat, de son côté, avait renfermé dans on petit sachet qu'elle portait sur sa poitrine toutes les lettres qu'elle avait reçues de Poulmann. Elle les lisait dix fois par jour, et souvent l'auteur de ce livre lui entendit adresser à ses compagnes de captivité, ces singulières paroles: «Que je suis malheureuse: mon mari était un homme de mauvaises mœurs, qui me rendit la vie insupportable et me battait sans cesse; je le quitte, j'ai la chance de tomber entre les mains d'un honnête homme qui me rend le bonheur et la tranquillité, et il faut que l'on vienne l'arrêter: quelle fatalité!»

      Ce qui précède a surabondamment prouvé, que les femmes les plus criminelles sont, aussi bien que les personnes les plus vertueuses, susceptibles d'attachement. Aussi nos lecteurs ne seront pas étonnés lorsque nous dirons que, moins d'un mois après s'être rencontrés pour la première fois, Salvador et Silvia éprouvaient l'un pour l'autre un amour (doit-il être permis de conserver ce nom à un sentiment éprouvé par des individus de semblable nature?) aussi violent que celui qui unissait Poulmann à la femme Simonnet.

      Nous devons, avant d'aller plus loin, donner à ceux de nos lecteurs qui ont bien voulu nous suivre jusqu'ici quelques explications qu'ils voudront bien, nous l'espérons, accueillir avec indulgence.

      Ce n'est point seulement pour satisfaire la vaine curiosité des gens du monde et des oisifs que nous nous sommes déterminé à écrire ce livre. Bien que nous ne soyons pas très-expert en matière littéraire, nous savons cependant qu'il ne suffit pas de grouper un certain nombre de personnages plus ou moins excentriques autour d'une donnée plus ou moins originale, et de saupoudrer le tout de quelques tableaux de mœurs plus ou moins exacts, pour avoir fait un livre utile; nous savons aussi que les livres utiles sont les seuls qui soient destinés à fournir une longue carrière.

      Nous avons voulu faire un livre utile.

      Nos forces ne sont peut-être pas en harmonie avec la tâche que nous nous sommes imposée; mais à défaut d'autre mérite, il nous restera celui de l'intention, mérite dont bien certainement les lecteurs de bonne foi voudront bien nous tenir compte.

      On va peut-être nous demander pourquoi, de toutes les formes littéraires, nous avons adopté la plus frivole, celle du roman. A cette question nous ferons une réponse bien ingénue.

      Nous avons voulu être lu.

      Le public liseur (que l'on nous pardonne cette comparaison), ressemble un peu à ces enfants qui ne se déterminent à boire la potion qui doit leur sauver la vie que lorsque les bords du vase qui contient ont été préalablement enduits de miel... Cherchez d'abord les moyens de l'intéresser ou de l'amuser, vous pourrez ensuite l'instruire et le moraliser tout à votre aise.

      Prouver que les fautes les plus légères ont presque toujours des suites déplorables; qu'il n'y a point de crime, quelque bien combiné qu'il soit, quelque épais que soient les voiles dont il s'enveloppe, qui échappe à la punition qui est due. Que souvent les crimes sont punis l'un par l'autre. Que les conséquences de toutes les liaisons qui ne sont pas fondées sur

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