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ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait un certain parallèle entre Darwin et lui. « Il avait presque mon âge lorsqu’on lui proposa de participer à un voyage plus fantastique que tout ce qu’il aurait pu imaginer. » Soudain les paroles, jamais amicales, d’un cocher qui dut faire une manœuvre pour éviter de l’écraser, firent sursauter Moreno et se rendre compte qu’il était arrivé devant la maison de John Coghlan. La maison en question n’était pas ostentatoire mais montrait sans aucun doute que Coghlan n’avait pas de problèmes d’argent. Il frappa à la porte. Une servante lui ouvrit et le guida jusqu’à une salle dans la pénombre. Elle chuchota quelques mots que Moreno ne réussit pas à comprendre mais il supposa que cela signifiait qu’il devait attendre ici et que le maître de maison allait le recevoir.

      En l’attendant, il s’intéressa à la quantité infinie d’os et de fossiles qui étaient exposés. En s’approchant pour mieux les voir, il remarqua sur le mur le portrait de Darwin dont Elizalde lui avait parlé. Celui-ci comportait une dédicace écrite de sa propre main : « To my dear friend John Coghlan, whose valuable effort supporting my work deserves more than just this remembrance. Charles Darwin ».

      Une voix rauque derrière lui énonça : « A mon cher ami… »

      Moreno l’interrompit : … John Coghlan, dont l’effort inestimable pour appuyer mon travail mérite bien plus que ce seul souvenir. Je parle et je lis l’anglais, monsieur…

      — Coghlan, John Coghlan. Je vous en prie, asseyez vous. — les deux hommes se serrèrent la main et s’assirent — Comment avez-vous appris l’anglais ? Cela n’est pas commun par ici- dit-il avec un fort accent britannique.

      — C’est ma mère qui me l’a enseigné, elle est d’origine irlandaise, son nom est Thwaite. Son père était soldat de l’armée anglaise pendant les invasions anglaises, et il décida de rester à Buenos Aires.

      — J’ai entendu plusieurs histoires similaires à celle de votre grand père. Les soldats irlandais se sentaient très bien ici non seulement parce que les filles de société leur portaient beaucoup d’intérêt mais aussi parce que, en tant que catholiques, ils cherchaient à fuir la pression anglicane afin de pratiquer leur religion librement. Plusieurs décidèrent de s’échapper des anglais dès qu’ils en eurent l’opportunité. Vous savez comment est la relation entre irlandais et anglais, mon ami Moreno. — Francisco fit une expression de celui qui attend qu’on l’éclaire — Et bien, ils sont comme un grand frère qui nous maltraite. A la maison, nous passons notre temps à nous battre mais lorsque nous sommes loin de notre terre, nous voyons que nous avons beaucoup de choses en commun ; j’ai une infinité d’amis anglais. D’une certaine manière, nous les irlandais, nous pensons que nous sommes assez grands et que nous devrions avoir notre propre maison, c’est-à-dire nous séparer de l’Empire Britannique, mais notre grand frère se refuse à nous laisser libre.

      Coghlan était un homme corpulent qui semblait avoir plus de cinquante ans. Ses cheveux clairsemés et grisonnants semblaient indiquer qu’il avait été roux par le passé. La peau rouge de son visage laissait voir de petites veines, très fréquent chez les habitants des îles britanniques.

      — Bien, mon ami Moreno, je vois que votre aspect ne trahit pas vos origines irlandaises mais de ce que je sais de vos voyages, le sang celte coule toujours dans vos veines puisque vous avez fait preuve de suffisamment d’entêtement pour atteindre vos objectifs, n’est-ce pas ?

      Le jeune homme sourit en interprétant ceci comme un compliment.

      — J’imagine que si vous êtes ici, c’est que vous avez rencontré le Docteur Elizalde et que vous avez accepté sa proposition, n’est-ce pas ?

      — En effet. Je dois dire qu’en plus de me sentir flatté par l’opportunité de servir mon pays en faisant quelque chose qui me fascine, je suis aussi surpris par un plan si détaillé pour protéger notre Patagonie. Le Docteur Elizalde m’a parlé de votre relation avec Darwin et le fait que vous lui avez écrit une lettre pour l’intéresser à cette expédition. Avez-vous reçu une réponse à cette lettre ?

      — Malheureusement oui je l’ai reçue et elle n’est pas excellente. Hier dans la matinée, le bateau anglais Arrow est arrivé au port et dans la soirée le courrier a été distribué. Dans sa lettre Darwin me dit que, étant donnée que plus de quarante années se sont écoulées, il se rappelle peu de choses du voyage le long du fleuve Santa Cruz. Il a relu ses carnets de notes et il y a très peu d’informations qui puissent nous être utiles. En définitif, il ne semble pas très intéressé.

      Soudain, il sembla à Moreno que le plan s’effondrait comme un château de cartes. Toute l’idée d’impliquer une importante figure anglaise s’effondrait à la première étape.

      — Comme c’est bizarre, j’avais cru que vous lui aviez proposé de lui envoyer des fossiles que j’aurais pu trouver pendant l’expédition — dit Moreno, avec une voix qui ne pouvait cacher sa déception.

      — C’est ce que j’ai fait. Mais dans sa réponse, il me dit que la vallée est composée principalement de pierre basaltique et de matériel d’alluvions, aucun des deux ne contient de fossiles. Et il mentionne également qu’en l’état actuel de son travail, il est seulement intéressé par des squelettes complets, pas par des pierres et qu’une expédition ne pourra vraisemblablement pas rapporter ce matériel.

      — Alors il n’y a rien à faire ? Le plan d’impliquer un anglais tombe à l’eau ?

      — Et bien… pas exactement. — dit Coghlan — Dans sa lettre, Darwin indique que l’information géographique et géodésique que dressa l’expédition du Beagle pourrait nous être utile. Cette information était sous la responsabilité de Fitz Roy mais comme celui-ci est décédé il y a quelques années, il pourra nous mettre en contact avec son assistant en cartographie de l’époque, John Lort Stokes.

      — Un contact de troisième catégorie n’est pas ce dont nous avons besoin, Mr Coghlan — dit Moreno avec le moral visiblement bas.

      Coghlan se leva, marcha vers sa bibliothèque, chercha quelques secondes et en extirpa un livre qu’il montra à Moreno. Celui-ci le prit sans beaucoup d’intérêt et lut le titre :

      « Discoveries In Australia ; With An Account Of The Coasts And Rivers Explored And Surveyed During The Voyage Of H.M.S. Beagle, In The Years 1837-38-39-40-41-42-43. By Command Of The Lords Commissioners Of The Admiralty ».

      « Découvertes en Australie : recueil des côtes et fleuves explorés et examinés pendant le voyage du bateau H.M.S. Beagle, dans les années —38-39-40-41-42-43. Sur ordre des Lords Commissaires de l’Amirauté anglaise ».

      Moreno regarda Coghlan d’un air interrogateur — Voyez l’auteur — dit Coghlan à Moreno qui regarda à nouveau le livre:

      Author: John Lort Stokes

      — Stokes. — dit Coghlan — Le Vice Amiral John Lort Stokes est une des personnes les plus importantes de l’Amirauté anglaise. Il est admiré comme un des explorateurs vivants les plus expérimentés de Grande Bretagne. Il fut capitaine du Beagle au cours de son troisième voyage d’exploration sur les côtes de l’Australie et de Nouvelle Zélande. Il est un peu une légende vivante. C’est notre homme. C’est à lui que nous devons écrire et que nous devons intéresser au sujet.

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      John Lort Stokes quand promu amiral, par Stephen Pearce.

      Il regarda Moreno qui semblait ne pas savoir comme faire cela. Coghlan ajouta avec orgueil. — Par chance, mon ami Darwin a déjà fait une partie de ce travail pour nous. Il m’a envoyé une copie de la lettre qu’il a lui-même écrite à Stokes, en lui expliquant l’objectif scientifique et exploratoire de l’expédition argentine et en lui demandant de nous aider dans la mesure du possible… Impossible d’imaginer meilleure lettre de présentation ! Ce que nous devons faire maintenant, c’est

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