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la zone !

      — Et pourquoi Darwin voudrait se mêler de tout ça ?

      — C’est très simple. L’irlandais John Coghlan (une fois dans un club, je l’ai malencontreusement appelé « anglais » et il a faillit m’écraser son cigare allumé dans les yeux) est ingénieur, il a fait plusieurs travaux pour le gouvernement. En faisant des routes ou des ponts, il trouva plusieurs fois des squelettes d’animaux éteints. Coghlan a un accord avec Darwin, il lui envoie une grande partie du matériel rencontré pour que le savant anglais l’examine, le catalogue et l’utilise pour ses travaux.

      Vous ne le connaissez peut être pas mais John est un « gentil fou ». Il obtint le diplôme d’ingénieur en France, il travailla dans la moitié des pays d’Europe avant de venir s’installer en Argentine où il arriva recommandé pas moins que par Baring Brothers. Il construisit les « depositos de las Catalinas », de nombreuses lignes de chemin de fer, il fit des systèmes d’égouts et des ponts presque dans toute la province de Buenos Aires. Un homme d’une énergie inépuisable, aussi amoureux de l’exploration, il en fit une très intéressante le long du fleuve Salado. Cependant, depuis la mort de femme, il est moins actif mais il continue d’échanger du courrier avec Darwin. Celui-ci a envoyé son portrait avec une dédicace amicale que John a encadré et accroché dans sa bibliothèque et qu’il montre avec orgueil à tous ses visiteurs.

      — J’ai aperçu plusieurs fois Coghlan, mais nous n’avons jamais été présentés. J’ignorais tout de sa correspondance avec Darwin. — dit Moreno très intéressé.

      — Mais ça n’est pas tout. Sur mes instructions, John a déjà écrit à Darwin au sujet de la future expédition, à l’endroit même où il se rendit il y a quarante ans. Bien sûr, nous ne lui avons pas dit qui serait en charge de cette expédition puisque cela nous ne l’avions pas encore défini. Dans sa lettre, il demande à Darwin quels sont les endroits où trouver des fossiles, en lui promettant de lui envoyer ce que nous pourrions rencontrer d’intéressant.

      — Et qu’a répondu Darwin ? — demanda anxieux Moreno.

      — La réponse ne nous est pas encore parvenue, mais elle devrait arriver d’un moment à l’autre. —Elizalde regarda sa montre et sursauta — Comme le temps passe vite ! Bien Francisco, je pensais que vous pourriez vous rendre directement chez Coghlan qui vit près d’ici au 25 de Mayo 135.

      Moreno le regarda d’un air un peu moqueur et dit : — je ne vous ai pas encore dit que j’acceptais.

      — Vous avez raison. — répondit Elizalde- Avant de répondre, sachez seulement qu’il est prévu de publier un livre sur l’expédition, en détaillant les lieux, faits et toutes les données possibles. Le livre sera publié par la Imprenta de la Nacion, il sera distribué dans tout le pays et aussi à l’étranger. Il est clair que, pour dissimuler le véritable objectif, le livre devra privilégier l’aspect scientifique de l’expédition… bien, maintenant Francisco, est-ce que vous acceptez ?

      — Bien sûr que oui ! — répondit Moreno — Je n’imaginais pas avoir la chance d’être chargé d’un projet que j’aurai tant envie de réaliser.

      — Bien. Alors avant que vous ne partiez, faisons un récapitulatif : vous devrez organiser une expédition qui atteigne non seulement la source du fleuve Santa Cruz mais qui inclue l’exploration de toute la zone de la cordillère. Vous devrez nommer des montagnes, des lacs, des fleuves… tout ce que vous trouvez, je veux beaucoup de descriptions. Une autre tâche est celle de chercher, trouver et ramener des fossiles, des peaux d’animaux (s’ils sont inconnus, c’est mieux), trouver des peintures indigènes sur les roches, prendre contact avec les indiens de la zone, etc, etc… Et finalement impliquer Darwin dans les résultats de l’expédition.

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      Robert FitzRoy portant son uniforme de vice-amiral, par Francis Lane.

      Elizalde regarda l’heure, but un peu d’eau et soudain s’exclama : J’oubliais ! Vous devez également trouver la borne que Feilberg dit avoir laissé à la source même du fleuve. Elle nous servira à « certifier » l’arrivée de Feilberg dans la zone et à démontrer qu’il y a de nombreuses années que nous l’explorons.

      — Comment était la borne ?- demanda Moreno.

      — Une bouteille renversée, une rame plantée dans le sol avec un drapeau argentin. — répondit Elizalde.

      — Quelle mauvaise manière de faire une borne qui perdure dans le temps — commenta Moreno — je doute qu’elle ait supporté les vents de la zone.

      — Bien sûr que non. La première tempête a dû emporter la bouteille, les rames et le drapeau au milieu de la steppe — il susurra- pour autant qu’ils aient bien été là-bas.

      Elizalde se leva, signe que l’entrevue était terminée. Moreno alla chercher son chapeau. A la porte, Moreno se retourna et lui dit :

      — Docteur, et si je ne trouve pas la borne de Feilberg ?

      Elizalde le regarda d’un air surpris. — C’est très simple, si vous ne trouvez pas la borne… vous la trouvez quand même.

      Devant l’air déconcerté de Moreno qui semblait ne rien comprendre, il ajouta —J’ai dans le tiroir de mon bureau, un drapeau argentin effiloché par le vent qui peut parfaitement convenir. Bonne soirée mon ami — ils se serrèrent la main et il ferma la porte.

      * * *

      Moreno, perdu dans ses pensées, se dirigeait vers la maison de John Coghlan. On venait de lui offrir un voyage qui pourrait changer sa vie. Quelque chose de semblable était arrivé à Charles Darwin, il y a plus de cinquante ans. Il avait dévoré les travaux du naturaliste anglais ; il avait lu minutieusement le livre que Darwin avait écrit au sujet du voyage sur le Beagle, sous les ordres du capitaine Fitz Roy, et qui relatait des deux années qu’il avait passées en territoire argentin. Il avait lu plusieurs fois le passage sur leur expédition de trois semaines le long du fleuve Santa Cruz dont ils ne parvinrent pas à atteindre la source. Ce récit fut un de ceux qui lui donnèrent, adolescent, le goût de l’exploration et de la collection et classification des fossiles et des animaux. S’il aimait dire qu’il était naturaliste, c’était parce qu’il avait appris ce mot en lisant l’œuvre de Charles Darwin et qu’il savait tout ce qu’elle signifiait.

      D’un autre côté, il avait également lu l’œuvre de Darwin qui révolutionna le monde, « L’origine des espèces ». Vingt ans après son voyage autour du monde sur le Beagle, le scientifique anglais avait utilisé les observations collectées pour exposer, et quasiment démontrer, que les animaux ne furent pas crées tels qu’ils sont aujourd’hui mais qu’ils se modifièrent tout au long de milliers, voire de millions d’années, à partir d’autres animaux aujourd’hui disparus. Le monde trembla devant cette théorie et la société fut divisée entre ceux qui soutenaient la théorie biblique sur la création, les « créationnistes », et ceux qui soutenaient la théorie de Darwin, connus comme les « évolutionnistes » ou les « darwinistes ». Combien d’amis de longue date s’étaient battus à mort au cours d’une discussion initialement amicale dans les clubs de la haute société, non seulement à Londres mais aussi dans les principales villes du monde, Buenos Aires y compris.

      La révolution que sa théorie causa dans la société anglaise n’intimida pas pour autant Darwin qui, quelques années plus tard, asséna un coup encore plus dur à la Bible. Il écrivit un livre qui traitait non plus des animaux mais de l’Homme directement, et qui disait que celui-ci était le produit de l’évolution et qu’il provenait des animaux inférieurs, comme les singes. Il n’y avait pas de place pour Adam et Eve dans le monde de Darwin.

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      Charles Darwin dans sa vieillesse.

      Au-delà de l’évolution des animaux,

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