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avec la ville de Punta Arenas, domine le détroit de Magellan. Il est déjà perdu pour nous et il n’y a pas moyen de le récupérer. Mais nous pouvons limiter la présence territoriale du Chili. C'est-à-dire entourer Punta Arenas de zones qui soient incontestablement argentines. Notre plan est d’ « argentiniser » ce territoire sous forme de pinces, avancer rapidement par le sud et par le nord. Par le Sud, nous fonderons une colonie sur l’île de Terre de Feu, ici — dit-il en pointant le sud de l’île- c’est le canal de Beagle. Le Chili détiendra le passage d’un océan à l’autre par le détroit de Magellan mais nous l’aurons également par le canal que découvrit Fitz Roy. Au nord du détroit de Magellan, sur le continent, nous avons déjà une population sur l’île Pavon, il nous reste à établir notre présence aux pieds des Andes. Si nous y parvenons, nous serons dans une très bonne position pour l’arbitrage et nous limiterons le territoire du Chili de ce côté des Andes à Punta Arenas et au détroit de Magellan seulement. Regardez ici — dit-il en désignant une zone de la carte avec un sourire aux lèvres — il reste toute la Patagonie jusqu’à l’Ouest de la Cordillère et tout, ou du moins une grande partie, de Terre de Feu pour l’Argentine.

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      Le jeune Francisco Moreno.

      Moreno était fasciné par ce plan si audacieux pour arracher au Chili, presque au dernier moment, la majeure partie de tout ce territoire inexploré. Il était enchanté à l’idée de faire partie de cette stratégie mais il ne comprenait toujours pas quel pourrait être son rôle et son apport.

      — Francisco, nous vous proposons d’être celui qui mènera l’expédition qui remontera le fleuve Santa Cruz et arrivera jusqu’aux montagnes.

      — Mais Docteur, cela a déjà été fait par l’expédition du sous-lieutenant Feilberg. Que puis je apporter de nouveau qui n’ait été déjà fait ?

      Elizalde se bascula en arrière contre le dossier du fauteuil. Il but une gorgée d’eau du verre qui était sur la table à côté du bras du fauteuil, prenant son temps pour répondre.

      — Mon cher Moreno, vous posez des questions pointues qui me poussent à aborder des sujets que je préférerais ne pas aborder, mais je comprends qu’une personne intelligente comme vous nécessite et mérite de savoir chaque détail. — Il se leva, marcha vers la fenêtre et, le regard perdu à l’horizon, reprit la parole.

      — Cela faisait partie de la stratégie du ministre de la guerre en 1873, d’envoyer la Marine réaliser une expédition le long du fleuve Santa Cruz. Celle-ci fut menée par le jeune Feilberg. Il réussit à atteindre la source du fleuve mais il ne put générer aucun acte de souveraineté, rien qui prouve qu’ils y parvinrent réellement. Ils ne firent aucune carte, ils ne découvrirent rien de nouveau… c’est comme s’ils ne s’y étaient jamais rendus. Ce n’est pas que je n’y crois pas mais il est possible qu’au cours de l’arbitrage, le Chili émette des doutes au sujet de l’existence même de cette expédition, et nous n’avons rien, absolument rien, pour le démontrer.

      Elizalde regarda vers Moreno et retourna au fauteuil.

      — Cela n’est pas la faute de Feilberg mais celle de la personne qui lui donna les instructions... les militaires sont presque aussi mauvais en exploration qu’en musique, ahah… C’est donc pour ça que le Dr Avellaneda remet maintenant cette affaire entre les mains du ministre des Affaires Etrangères. Nous avons décidé de changer totalement le style de l’expédition. Nous cherchons un naturaliste qui voyage et qui découvre des régions, qui fasse des découvertes, qui décrive ; en définitif quelqu’un qui puisse démontrer sans l’ombre d’un doute qu’il fut le premier à arriver là-bas et que notre pays connaît et domine la zone. Lorsque votre oncle m’a raconté votre voyage aux confins du fleuve Limay, j’ai réalisé que vous aviez exactement le profil dont nous avions besoin.

      Moreno craignit qu’Elizalde perçoive la vague d’orgueil qui l’envahissait. Pour la dissimuler, il but de l’eau et faillit s’étrangler. Il essaya de dire quelque chose d’intelligent mais il ne pensa qu’à demander — et quand est supposée avoir lieu cette expédition ?

      — Tout d’abord, il faudrait que ce soit en été puisque la zone est terriblement froide ; je pensais donc à novembre ou décembre de l’année 1876.

      — Je pourrais la mener beaucoup plus tôt, en mars ou en avril — en prononçant ces paroles, il se rendit compte qu’il avait l’air d’un idiot qui se vantait.

      — Sûrement mon bon ami, mais il y a d’abord quelques devoirs à faire, et à ce sujet je ne vous ai pas encore tout dit.

      Moreno le regarda et pensa : « Que va-t-il m’apprendre de plus ? »

      — Il faut tenir compte du fait que tout cela sera utilisé par une commission d’arbitrage composée sûrement de puissances européennes. Dites-moi, Francisco, quelle serait selon vous la nation à la tête de cette commission ?

      — Il y a un instant, vous me parlez de « faire les devoirs », et maintenant, j’ai un examen. On dirait que je suis retourné au collège. — plaisanta Moreno- Je dirais que la principale puissance de l’arbitrage serait l’Angleterre.

      — Très bien ! C’est pour ça que nous devons nous préparer à convaincre l’Angleterre. Ce qui se passe habituellement dans les arbitrages, c’est que les pays en litiges inventent des preuves au sujet de leurs droits et de leur souveraineté, c’est pour ça que la commission se méfiera de chaque élément de preuve. Vous devez savoir que les anglais sont très méfiants. Dites-moi Francisco, en qui auront confiance les anglais quand ils analyseront le rapport de chaque pays ?

      Moreno resta pensif, il n’avait pas de réponse — Je suppose qu’ils auraient plus confiance en nous qu’en les chiliens — risqua-t-il.

      — Faux, mon ami. Les anglais n’ont confiance qu’en les anglais. Pour renforcer notre position, nous devons inclure des anglais à notre plan.

      — Je suppose que vous y avez déjà pensé — dit Moreno.

      — En effet, en ce qui concerne la partie sud de notre tenaille sur Punta Arenas, nous sommes en négociation avec une petite mission anglicane pour qu’elle reconnaisse la souveraineté argentine.

      — La mission de Thomas Bridges, le curé des Malouines ?

      — Celui-là même, — répondit Elizalde — je vois que connaissez notre homme.

      — J’ai entendu parler de lui. Il y eut déjà d’autres tentatives d’évangélisation anglicane dans la région, mais elles finirent mal. La première de Fitz Roy et la seconde d’un certain Gardiner qui mourut tragiquement. Bridges est un peu leur successeur mais je n’aurais jamais imaginé qu’il était disposé à coopérer avec l’Argentine.

      — En fait, Francisco, nous essayons actuellement de saisir les opportunités qui se présentent à nous. Bridges a eu plusieurs altercations avec les chiliens, il pensera donc sûrement que nous sommes moins mauvais qu’eux. En plus, il s’est disputé avec les gens des Malouines et a perdu leur appui, il est donc seul. C’est une personne très spéciale, avec qui il est difficile de traiter, mais qui a besoin d’un parapluie protecteur et il sait que nous pouvons le lui fournir. Sa priorité numéro une est la protection des indiens. Dans ce sens, nous lui donnons toutes les garanties… enfin… ceci est le plan pour la partie sud de notre tenaille. La manière dont nous voulons impliquer des anglais dans la partie nord de notre tenaille est plus compliquée — Il regarda d’une manière de défi Moreno- Une idée ?

      Moreno se rendait compte qu’Elizalde était très fier d’avoir un plan si minutieusement élaboré, il ne perdit donc pas de temps à essayer de deviner.

      — Je ne sais pas pourquoi mais j’ai la sensation que vous devez avoir une idée à ce sujet.

      — En effet, — dit Elizalde — mais je vais vous donner une piste pour que vous tentiez une réponse. —

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