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un peu long pour l’intérêt qu’il comporte. »69 De la part de Madame Mayrisch, un tableau plus harmonieux, cette fois-ci, que la description d’Hugues comme « cornichon » à peu près à la même époque.

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      Des albums photo de l’épisode japonais, soigneusement tenus par Pisana et Hugues, l’on peut ressentir une grande quiétude et admiration pour un pays à la culture plusieurs fois millénaire. Des images de temples, de la nature splendide alternent avec des photos, parfois au format extrêmement réduit, de scènes champêtres ou de vues de la maison moderne, spacieuse, de style Bauhaus voire Art Déco que devaient habiter les Le Gallais. Ce fut une maison accueillante, une construction cubique avec un toit terrasse, située sur une colline, qui permettait de recevoir amis et connaissances. Les cartons et menus gardés de ces années témoignent en effet d’une vie sociale bien remplie. Quelques clichés d’hôtels divers laissent deviner quelque séjour prolongé à l’hôtel ou des voyages en dehors de la capitale. Hugues Le Gallais a aussi visité la Muraille de Chine et le Temple du Ciel à Pékin. Une escalade du mont Nantai de presque 2.500 mètres, situé sur l’île japonaise de Honshū, au nord de l’agglomération de Tokyo, semble aussi avoir figuré au programme. Toute cette vie assez unique pour un Luxembourgeois dans les années 1930, alternée d’illusions et de revers, permettait à Hugues de rayonner et de briser de vieilles habitudes et conventions. Ces années étaient ponctuées par des rencontres souvent sophistiquées avec des locaux ou des expatriés, des dîners en smoking et de longues soirées seul et en tête-à-tête avec sa jeune épouse. Pisana était en quelque sorte le double d’Hugues. Elle avait une personnalité forte, ce qui était bien nécessaire face à quelqu’un qui avait l’avantage d’avoir déjà vécu seul en Asie pendant six années, sept même si l’on compte le séjour de 1926, avant qu’elle ne le rejoigne. Vénitienne très chic, Pisana devait être perçue comme glamour voire emblématique dans un Japon formel et hiérarchisé à l’extrême. Une photo d’elle en robe longue et une de lui en smoking, prêts à recevoir ou à sortir, lascifs et philosophes à la fois, témoigne d’un art de vivre voire d’une maîtrise de cette vie mondaine qui avait tout pour plaire à un couple dynamique.

      Mariés le lundi 6 novembre 1933, le jeune couple quitta l’Italie à partir de Gênes le 15 novembre à bord du « Super Expresso Conte di Savoia » pour l’Asie lointaine et inconnue pour Pisana. Arrivés dans la capitale japonaise à l’ambiance toute particulière, Pisana attendait rapidement son premier enfant. Loin des siens, elle mit au monde à Tokyo, le 26 août 1934, un fils nommé Norbert Ludovico Marino Maria. L’enfant avait comme marraine Aline Mayrisch-de Saint-Hubert.

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      Lors de la naissance de leur fils, le couple Le Gallais était bien introduit au Japon, comme en témoignent les innombrables messages de félicitations reçus de locaux (Nantaisan, Junko Hagiwara), d’expatriés comme eux (Tony Rollman,70 qui travaillait également au Japon pour Columeta de 1926 à 1935, certains ambassadeurs et secrétaires d’ambassade, le ministre belge de Bassompierre, le comte et la comtesse de Rechteren-Limpurg) ou encore de parents ou amis en Europe (Madame Mayrisch, famille Mioni Carrara, Elena, Maria, Ludovico Barbara, Alice Grew, Dirksens, Mrs. Wilfried Fleischer, Mme Georges Stoïesco, M. et Mme Luigi Mariani). Il y avait aussi Katharini Sansom, professeur emeritus de japonais à l’université de Colombia, représentante britannique à Tokyo, Singapour, Washington et New York, probablement l’épouse de Sir George Bailey Samson qui a laissé des ouvrages de grande valeur sur le Japon, et de laquelle il y a une trace plusieurs années plus tard dans le « scrap book » organisé à l’ambassade à Washington. D’autres messages provenaient de personnes longtemps oubliées et impossibles à replacer dans le contexte de leur relation avec le jeune couple Le Gallais. Des télégrammes ou de simples cartes de visites avec un mot ou deux étaient envoyés à l’époque. Pisana les a collés dans un album avec des photos de leur séjour et des photos de leur bébé qui remplissait et changeait profondément leur vie. L’une ou l’autre « nanny » était à disposition pour permettre à Pisana de ne pas être trop absorbée par le nourrisson. Il y a des photos du tout jeune Norbert avec tantôt une « nanny » japonaise, tantôt une d’origine européenne.

      Durant ces années passées au Japon, un couple assez proche furent le baron et la baronne Albert de Bassompierre.71 Le baron belge était devenu en décembre 1920 envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Tokyo, où il est arrivé en mai 1921. Il est resté au Japon jusqu’en février 1939. Grâce au développement des relations entre la Belgique et le Japon, de Bassompierre est devenu le premier diplomate belge au Japon avec le rang d’ambassadeur plénipotentiaire extraordinaire en juin 1922. Le Gallais allait suivre cet exemple de changement de statut en 1955 à Washington. Le baron et la baronne avaient, par exemple, organisé un dîner avec les Le Gallais et les représentants diplomatiques portugais, allemand et français. Un couple luxembourgeois, Joseph Hackin et son épouse Marie dite Ria Parmentier,72 était en contact étroit avec Hugues Le Gallais. Hackin, originaire de Boevange-sur-Attert, était de 1930 jusqu’en 1933 directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo après avoir été conservateur du musée Guimet à Paris. Il s’est lié d’amitié avec Le Gallais, de dix ans son cadet, comme il allait le faire pendant la guerre avec le ministre Bech à Londres où il a rejoint de Gaulle et avant de mourir en héros pour la France, le 24 février 1941, en mer suite au torpillage de son bateau près des Îles Féroé. Hackin écrivit à Madame Mayrisch qu’il « a aiguillé Hugues sur la voie des études d’art. Il m’a donné sur ses paravents une étude qui aura, grâce à mon ami Espezel,73 les honneurs de la Gazette des Beaux-Arts. C’est du bon travail. J’espère que Le Gallais ne s’en tiendra pas là. »74 Il décrit Hugues comme « stoïque et flegmatique » face aux températures d’été insupportables à Tokyo.75 Le Luxembourgeois Tony Rollman, que Jean Monnet a qualifié plus tard dans ses mémoires de « sidérurgiste luxembourgeois précis dont la réputation dépassait les frontières de son pays »,76 travaillait au même moment que Le Gallais au Japon. Nous ignorons les liens privés exacts qui les unissaient. Ce compatriote eut trois enfants durant ces années. Il a œuvré sous la direction de Le Gallais qui restait à Tokyo. Rollman a déménagé douze fois en neuf ans et se déplaçait surtout à Osaka, le centre industriel où Columeta avait ouvert des bureaux en 1928, et à Kobé. Dans la capitale japonaise, Le Gallais avait ses bureaux dans le quartier d’affaires de Marunouchi77 situé dans l’arrondissement de Chiyoda entre la gare de Tokyo et le palais impérial. Alors que le quotidien était qualifié d’exotique, Rollman demanda, dès janvier 1935, de ne plus revenir au Japon pour un nouveau terme de trois ans au bout du congé prévu en Europe, ceci dans l’intérêt de sa famille et de sa santé. Le Gallais devait régler les dernières affaires avant de rentrer à son tour. En fait, le business de Columeta semble avoir connu des difficultés en raison de la chute du Yen et des employés japonais, à un moment donné plus d’une douzaine de personnes, qui ont quitté la représentation luxembourgeoise pour entrer chez des cartels japonais. Hugues Le Gallais a apparemment plaidé pour le recrutement d’Européens, les Japonais préférant négocier avec des représentants étrangers. Il s’est aussi engagé en faveur du versement d’un bonus annuel qui constituait une coutume indispensable au Japon. Un retour plus ou moins régulier au Luxembourg permettait à Le Gallais de rester en contact avec son pays natal, mais aussi de voyager via le canal de Suez et l’Inde ou par le chemin de fer transsibérien ou encore via l’Amérique du Nord et le Pacifique.78

      

      En 1936, c’est Pierre Ruppert qui prit la succession de Le Gallais au Japon. Ce dernier a emporté pas moins de 39 caisses au Grand-Duché, déménagement qualifié de considérable et prenant beaucoup de temps. Il emmenait de nombreuses antiquités et œuvres d’art acquises au fil des ans. En 1936, le 28 février pour être exact, le suicide du Lieutenant Aoshima Kenkichi au milieu d’une rébellion attira toute l’attention de Le Gallais qui avait gardé parmi ses souvenirs et photos un article

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