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était située au 3051 San Samuele et s’appelait Ca’ del Duca. Marino possédait encore un palais à Dolo dans la Vénétie.53 Le Ca’ del Duca, palais situé sur le Canal Grande, à quelques pas du Palazzo Grassi, doit son nom au Duc Sforza de Milan qui en confia la construction à l’architecte Filarete en 1453. Le projet s’avéra à la hauteur de l’ambition de son commanditaire puisque le palais était supposé devenir le plus grand de Venise. Or, la Sérénissime, toujours encline à ne laisser personne porter ombrage à son autorité, expropria le Duc et les travaux, à peine commencés, furent suspendus. Par la suite, l’édifice fut terminé par la République dans des dimensions plus modestes. Seules les fondations et l’angle du palais, avec sa colonne et son début de façade en « bugnato », témoignent encore de ce passé qui aurait dû en faire le premier exemple d’architecture Renaissance dans la lagune. Ca’ del Duca servit d’atelier au Titien lors de la réalisation des tableaux pour le Palais des Doges, avant d’entrer en possession de la famille Nani Mocenigo, et plus particulièrement de Marino Nani Mocenigo. Cet espace, longtemps ouvert au public, hébergea jusque dans les années 1960 les collections de porcelaine du comte Marino Nani Mocenigo et la collection d’objets d’art asiatique de Hugues Le Gallais, après sa retraite en tant qu’ambassadeur du Grand-Duché aux Etats-Unis. C’est en effet ce dernier qui en fit un musée, inauguré en 1963.54

      La mariée était née le 28 janvier 1900 (d’après une demande de passeport) à Venise dans une maison située sur le Campo de San Stefano entre l’église du même nom et celle de Vidal. La jeune femme a en fait changé sa date de naissance dans la mesure où, par vanité ou espièglerie, elle a ajouté un petit trait à l’année de sa naissance pour se rajeunir de 6 ans... Le fait que sur de nombreux documents officiels figure l’année 1906 a donné lieu à des complications administratives et des rectificatifs complexes. Seulement quatre années la séparaient de Hugues, et pas dix, comme parfois prétendu par la principale intéressée. Il se peut qu’elle ait quelque peu joué à la fois sur le jour et l’année de sa naissance pour cacher le fait qu’elle était restée célibataire plus longtemps que de coutume.

      La très belle femme de 33 ans (alors qu’elle prétendait n’en avoir que 27) avait les cheveux blonds bouclés qui la feraient un jour comparer à un tableau du Titien. En sus de sa physionomie éclatante, Pisana avait une grande prestance, savait s’habiller et avait une allure certaine doublée d’une classe folle. Elle mesurait 1,65 mètres, alors qu’Hugues, âgé de 37 ans, avait dix centimètres de plus, ce qui ne faisait pas de lui un géant, loin de là. La jeune femme était jugée de rang princier par certains des confrères de l’ambassadeur. Elle était d’une grande élégance et avait une présence indéniable, son mari restant un peu en retrait, tout en étant aussi calé intellectuellement. Les deux brillaient en société grâce à leur allure et leur ambition volontiers pardonnée.

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      Pisana était la fille de Francesco Velluti et de sa première épouse Elisabetta Carrara, décédée en 1918 à Naples, en pleine fleur de l’âge, des suites de la fièvre espagnole. Le père de Pisana est décédé en 195755 à plus de 80 ans. Deux filles étaient nées de cette union : Caterina dite Katy, née en 1898, et Pisana, née en 1900.

      La famille du père de Pisana était originaire du sud de l’Italie du côté de l’Adriatique. Le grand-père de Pisana avait ouvert une fabrique de faïences à Venise. Le père, ingénieur agronome, avait fait fortune en desséchant et irriguant les terrains marécageux pour en faire des domaines agricoles derrière le Lido de Jesolo. Les crédits pour ce faire avaient été mis en place par le gouvernement fasciste italien. Francesco Velluti avait d’ailleurs été un peu attiré par le fascisme et, malgré les lettres de sa fille qui l’avertissaient que Mussolini n’allait pas survivre à la guerre, croyait en une victoire italienne. Le père de Pisana s’était remarié avec une femme plus jeune, que ses deux filles n’appréciaient pas trop. De ce mariage avec Zemira de Lorenzi, aux origines vaguement arméniennes, sont nés trois enfants avec lesquels les contacts furent meilleurs que ceux avec leur mère: Francesca, mariée avec Alberto Baldissera d’une grande famille vénitienne et qui allait avoir deux enfants : Giuseppe et Jacomo. Venait ensuite Gianni-Luigi, le fils longuement espéré par son père, marié avec Anna-Luisa Cazorzi avec laquelle il allait engendrer quatre enfants. Et finalement Alberto, décédé jeune, marié avec Maria Padovan de laquelle il avait eu deux enfants.

      L’épouse d’Hugues portait le prénom de sa grand-mère maternelle, Pisana Carrara-Nani Mocenigo, qui appartenait à la prestigieuse et fortunée famille dans laquelle sa sœur aînée Catherine allait entrer aussi par mariage en épousant le comte Marino Nani Mocenigo. Il s’agit d’une des plus illustres et puissantes familles de la Sérénissime de laquelle sont issus sept doges. Sur les pas du Vénitien Marco Polo, qui révéla l’existence de ce qui allait devenir le Japon appelé Cipango, Pisana et Hugues allaient essayer, avec persévérance et ténacité, de se frayer un chemin rien qu’à eux avec au moins la satisfaction de tout devoir conquérir à partir de leur propre énergie et enthousiasme. Comme la tribu du fer luxembourgeois des Metz et les Le Gallais, les Velluti et plus encore les Nani Mocenigo avaient à leur disposition des demeures formidables. Madame Le Gallais et sa sœur, la comtesse Marino Nani Mocenigo, étaient en 1947 copropriétaires d’un immeuble désigné sous le nom « Palais Bellaviti » situé au Campo San Maurizio. Le bâtiment était occupé depuis la fin de la guerre par une organisation rattachée au gouvernement italien et désignée sous le nom « Ente Nazionale post-Bellica », qui n’avait plus payé de loyer depuis trois ans. En décembre 1947, le couple Le Gallais souhaitait occuper un des deux appartements du palazzo et entreprit des démarches assidues impliquant même le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Joseph Bech, et son homologue italien, Carlo Sforza. Le chef du protocole italien Taliani, l’ambassadeur d’Italie à Washington Tarchiani, le préfet de Venise Gargiulo, le gouverneur de la province de Venise et le consul luxembourgeois à Venise Bartolomé Bellati sont également intervenus dans ce dossier. Les Le Gallais comptaient désormais y faire des séjours prolongés chaque année. Le palais à Venise a finalement été restitué à la famille le 1er décembre 1950. En fait, les deux sœurs Velluti ont souhaité récupérer le Palazzo San Maurizio pour permettre aux Le Gallais de le vendre et d’acheter avec leur part le palais en face du Ca’ del Duca sur lequel nous allons revenir plus loin. Les deux couples et surtout les deux sœurs vivaient en bonne intelligence et l’unité régnait dans cette famille.

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      En attendant, pour la plus jeune des sœurs Velluti la vie à deux allait commencer loin de sa ville natale avec un quasi inconnu duquel elle ne connaissait pas grand-chose. Aimant être entourés et plutôt sociables, les Le Gallais constituaient un couple vivant en osmose et uni par une affection solide. Ils menaient une vie de famille paisible mais jamais monotone. De nombreuses photos témoignent de souvenirs passés, presque oubliés aujourd’hui, et toujours préservés soigneusement dans de nombreux albums photos à Venise. Hugues était apparemment formel et un peu exigeant voire dur à l’égard de sa femme, celle-ci le soutenant là où elle pouvait. C’était Pisana qui écrivait les invitations et les menus pour les grands dîners. Un mutuel sens de la division des tâches prévalait. Elle avait un caractère latin qu’on qualifierait de « fiery », alors que lui restait souvent silencieux, semblant avoir du mal à exprimer ses sentiments. Fort exigeant en matière d’étiquette et de protocole, Hugues semble avoir été susceptible s’il devait faire face à des critiques un tant soit peu injustes. Avec doigté et distinction, sans se perdre dans un verbiage inutile, il savait imposer sa vision des choses. Il s’exprimait toujours de manière réfléchie et se qualifiait de tolérant et de vaillant.

      De sa jeunesse, Hugues semble n’avoir gardé que peu d’amis qui l’ont accompagné tout au long de son parcours. Les liens familiaux dominaient quasiment toujours et conditionnaient, la plupart du temps, les connaissances et amitiés d’Hugues Le Gallais. Une relation amicale semble avoir duré, celle avec Georges Brasseur,

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