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      Hugues a étudié à l’Université de Liège et poursuivi des études à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich de 1914 à 1918, échappant ainsi en grande partie aux affres de la Première Guerre mondiale. Le pays fut occupé par l’armée impériale allemande et faisait l’objet d’instabilité gouvernementale après la disparition du ministre d’Etat Paul Eyschen en octobre 1915 avec six gouvernements en deux ans. Venait s’ajouter, après l’armistice de 1918, l’instabilité institutionnelle avec la mise en cause de la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde, menant jusqu’à son abdication et le référendum du 28 septembre 1919 sur le maintien de la monarchie et le ralliement économique à la Belgique ou à la France. L’année 1919 était aussi celle de l’introduction du suffrage universel au Grand-Duché. Du temps de guerre, Rozel a retenu une histoire concernant son frère, déjà très galant à l’approche de ses dix-neuf ans. Hugues devait rejoindre son père à Paris, mais avait eu des problèmes à la frontière en raison de lettres amoureuses qu’il aurait souhaité emporter en France. Norbert aurait dû intervenir pour faire libérer son fils qui a bénéficié d’une certaine renommée auprès des femmes suite à son geste qu’il estimait apparemment plein de bravoure. Le ministre Michel Welter décrit dans ses mémoires à la date du 25 avril 1915 comment Hugues avait été la victime d’un examen à la frontière, les autorités suisses souhaitant voir si les voyageurs n’introduisaient pas des lettres en contrebande : « Dernièrement le jeune Le Gallais se rendant en Suisse a été condamné à cinq jours de prison pour avoir (eu) des lettres sur lui. Ces lettres qu’on lui avait confiées étaient bien anodines; mais malgré cela, le jeune homme a été condamné à cinq jours de prison et n’a été mis en liberté que contre une caution de 10.000 francs, après avoir passé plusieurs jours en prison préventive. Il paraît qu’on lui comptait cela pour la purge de la peine. »32

      

      Le jeune Le Gallais parlait toujours lentement et de manière réfléchie, s’exprimant en luxembourgeois avec un accent prononcé. Le français était sa langue maternelle, comme elle le fut d’une certaine bourgeoisie luxembourgeoise. Il s’exprimait couramment en anglais. Avec ses « nannies » il avait appris la langue de ses ancêtres paternels qu’il a pu perfectionner à l’américaine plus tard. Sur le tard, une fois marié, Hugues apprenait l’italien sans jamais s’exprimer de manière à pouvoir vraiment s’intégrer dans la très bonne société vénitienne, pointilleuse à cet égard.

      Depuis son enfance, Hugues était appelé par certains intimes « Doody ». Sa sœur Rozel mentionne ce surnom dans ses mémoires. L’origine de ce sobriquet est inconnue. Le Gallais signait surtout sa correspondance avec la famille italienne de sa femme de ce surnom familier.

      30 Raphaël Petrucci (1872-1917), sociologue, historien de l’art, orientaliste.

      31 Correspondance Aline Mayrisch ; Centre national de littérature.

      32 Goetzinger, Germaine : La Grande Guerre au Luxembourg. Le journal de Michel Welter (3 août 1914 – 3 mars 1916) ; éd. annotée et commentée par Germaine Goetzinger ; 2015 ; Centre national de littérature ; p. 360.

      LIENS AVEC LES MAYRISCH-DE SAINT-HUBERT

      Les mères de Norbert Le Gallais et d’Emile Mayrisch étaient cousines germaines. Les Mayrisch-de Saint-Hubert, habitant initialement à Dudelange, se sont installés au château de Colpach en 1920 où ils ont œuvré pour combler le fossé entre la France et l’Allemagne, lui dans le domaine des industries de l’acier, elle dans le domaine des idées. Autour de cette période, les Mayrisch ont acquis pour Elisabeth van Rysselberghe33 une bastide dans le sud de la France. Cette acquisition d’une maison de campagne en Provence pour la fille de la grande amie de Madame Mayrisch fait l’objet d’une lettre34 d’Hugues Le Gallais à l’écrivain français André Gide.35 Un autre lien entre les deux hommes a existé en 1921 lorsque Gide a remis à Hugues Le Gallais le premier tome de l’œuvre complète du ministre allemand des Affaires étrangères, Walther von Rathenau,36 afin qu’il le ramène de Paris chez Emile Mayrisch à Luxembourg. Le 21 janvier 1921, Aline Mayrisch a en effet écrit à André Gide: « J’ai remis à Hugues le 1er volume dédicacé des œuvres complètes de Rathenau en 5 vol!! qui sont arrivées pour vous à Colpach, pour que vous puissiez lui envoyer un mot de remerciement (par moi peut-être). »37

      

      Une année plus tôt, Hugues Le Gallais s’était rendu à Genève où étudiait la fille des Mayrisch-de Saint-Hubert, Andrée dite « Schnucki ».38 De septembre 1919 à janvier 1920, il a en quelque sorte chaperonné celle qui aurait pu constituer un parti idéal, sans que pour autant l’ébauche d’une idylle ne soit perceptible de la correspondance de la jeune fille à sa mère. De cinq ans la cadette d’Hugues, la fille unique des Mayrisch a étudié les sciences naturelles à Genève avant de poursuivre ses études à Londres. Elle habitait dans un pensionnat genevois. Pendant son séjour, Hugues fut également logé dans ce pensionnat mixte. À sa mère, avec qui elle avait une relation complexe, Andrée Mayrisch décrivit le fils unique des Le Gallais et son cousin éloigné comme dépensier mais lui apprenant comment gérer certains aspects financiers, comme les pourboires qu’il était habituel d’accorder.

      Quelques années plus tard, Aline Mayrisch a demandé au journaliste et écrivain germano-français Jean Schlumberger39 d’inviter Hugues Le Gallais aux 2es Décades de Pontigny. Ces réunions intellectuelles avaient été créées en 1910 et ont été animées par Paul Desjardins40 qui avait donné son accord à la présence du jeune Le Gallais.41 Or, le 18 juillet 1925, Aline Mayrisch écrivit qu’elle renonçait à la présence de son jeune protégé qui a quand même pu se mêler aux autres invités, célèbres ou moins connus, s’entretenant et discourant sur des sujets littéraires, philosophiques ou religieux.42 Contrairement aux dires d’Aline Mayrisch, Hugues Le Gallais a assisté aux 2es Décades qui avaient pour thème : « Nous autres Européens. Europe et Asie ».43 Tout un programme et sujet prémonitoire pour la future carrière d’Hugues !44 Belle introduction dans un monde littéraire et intellectuel élitiste où, chaque jour, un écrivain, un universitaire ou un scientifique traitait un sujet choisi et de qualité.

      La relation – qu’on peut qualifier de proche – entre la grande intellectuelle et mécène du Grand-Duché et le jeune Le Gallais a connu des hauts et des bas. En 1930, Aline Mayrisch écrit en tout cas à son ami Schlumberger qu’Hugues est à Luxembourg, « plus cornichon que jamais ».45 C’est dire qu’elle l’estimait, du moins à ce moment-là, imbécile, idiot voire stupide. La raison de ce qualificatif guère flatteur n’a pas été révélée.

      Aline Mayrisch écrit le 10 mai à 1930 Isabelle Rivière, l’épouse de Jacques Rivière, homme de lettres français, directeur de La Nouvelle Revue française de 1919 jusqu’à sa mort en 1925:

      «Il ne me restera que le mois d’août pour préparer mon grand départ de septembre pour l’Extrême-Orient. Je pars avec un jeune ami qui est presque un fils adoptif de mon mari et de moi, et qui réside à Tokyo pour le compte des Aciéries réunies. Je compte y passer l’hiver. »46

      Malgré l’une ou l’autre contrariété, Aline Mayrisch avait apparemment une certaine estime pour Hugues Le Gallais. Dite « Loup », elle appelait son compagnon de voyage Hugues Le Gallais, « Hugo San ». Elle est allée lui rendre visite au Japon, en 1930 et en 1934. Avec Hugues Le Gallais, Aline Mayrisch-de Saint-Hubert a effectué un voyage en Asie de trois mois (7 octobre au 8 janvier) à New York, puis Shanghai et Hong Kong en janvier 1931 pour finalement aboutir à Tokyo.47 De Nara, ville aux œuvres d’art et temples importants à quelques kilomètres de Kyoto et d’Osaka, Aline Mayrisch a décrit à Schlumberger les conditions de vie de Le Gallais, toujours célibataire à presque 35 ans. Nous les reprenons plus loin en décrivant les années 1930, passées dans l’empire nippon du Soleil

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