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Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le menait;

      «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.

      «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état et ses biens.

      «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte intéressante, sera récompensé par une gratification.»

«A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»

      Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique: «Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.

      Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau, maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères d'infortune.

      Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois, à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.

      L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.

      «La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa sœur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»

      Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.

      XIII

      L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la Providence – Menaces dont il est l'objet. – L'autorité le protége. – Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. – Voyage du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis, sa ville natale. – Nouvelles reconnaissances. – Joseph se rappelle une cicatrice de son père. – Il est reconnu par son grand-père, mais sa sœur hésite d'abord. – Une démarche auprès du duc de Penthièvre. – Elle réussit. – Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar. – Le paiement en est bientôt suspendu. – Pourquoi. – Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée. – Le premier semestre de la pension est payé.

      Le signalement du jeune Solar, donné par Mme de Hauteserre, s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise.

      D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au préalable.

      Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph, elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, chez Mlle Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel, conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin, maître maçon, et de sa fille.

      L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec son élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces d'un éclat de bombe.

      A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils.

      De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de Mlle Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue entre les deux enfants, on fait venir Mlle de Solar à Paris de son couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la sœur ne se reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle. On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé de l'abbé de l'Épée, le post scriptum d'une lettre adressée le 8 novembre 1777 par Mlle de Solar, qui venait d'être placée dans une pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau: «Je vous prie de dire mille choses tendres à mon cher petit frère

      Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine, gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une réponse lui sera faite sous quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M. l'abbé Lenoir, chef

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