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son état… Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.»

      Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté, de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400 livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel éclaircissement. Ce dernier lui adressa incontinent la réponse suivante50:

      «MONSIEUR,

      «J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi. C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre un jeune homme qui, après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et par bon nombre de témoins respectables?

      «Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune démarche sous le nom du comte de Solar. Vous me permettrez de vous dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne. Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir.

      «Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme pareillement.

      «Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du défunt, mais seulement le nom de comte de Solar, décédé le 28 janvier 1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait que vous avez reçu, est plus complet.

      «Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit.

      «Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait particulier, mais cela ne change rien à l'estime et au respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

«Monsieur,«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,L'abbé DE L'ÉPÉE.

      «Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à huit heures du soir.»

      Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six derniers mois de l'année 1777!

      XIV

      Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains. – Ses moyens de défense. – Il demande à être transféré, avec le sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire. – Cette requête est jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que le transfert de l'enfant et de sa sœur sur les lieux. – Enfin, une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar, reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous. – Commentaire des juges.

      Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement.

      Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits ici en entier:

      «En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse; j'eus l'occasion de connaître Mme la comtesse de Solar. Cette dame, sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je savais que Mme de Solar avait des relations très-puissantes à Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne serait point inutile à mon avancement et à ma fortune.

      «L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre, et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de l'auberge de l'Écharpe, dans l'une des rues les plus fréquentées de Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar. Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval. Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères.

      »Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à Mme de Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin, époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël, la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint. On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde pas à s'aggraver: un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli, mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la sépulture de ma famille.

      «Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire. Je donne les noms de plus de quarante témoins qui

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<p>50</p>

Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. Moreau de Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, avocat au Conseil, à qui elle était adressée.

Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin qui ont brillé sur la scène du monde.