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La Suisse entre quatre grandes puissances. Dimitry Queloz
Читать онлайн.Название La Suisse entre quatre grandes puissances
Год выпуска 0
isbn 9783039197989
Автор произведения Dimitry Queloz
Жанр Документальная литература
Серия Der Schweizerische Generalstab
Издательство Bookwire
2.5. La concentration
Une fois les états-majors et les corps de troupes mobilisés, il restait encore à réaliser deux opérations avant que l’armée ne fût en mesure de commencer des opérations. Il fallait tout d’abord constituer les grandes unités, puis les concentrer dans la région voulue. Ces activités nécessitaient de nombreux transports par chemin de fer et, par conséquent, une planification détaillée. Si cette dernière était indispensable, elle faisait toutefois courir deux risques. Le premier résidait dans le fait qu’elle était rigide et ne pourrait être adaptée, en cours d’exécution, à des circonstances imprévues. Cette rigidité amenait à ne déclencher la concentration qu’en cas de certitude par rapport à l’ennemi. Le deuxième problème, qui découlait du précédent, tenait au fait que la situation stratégique internationale, une fois la mobilisation terminée, ne serait pas forcément claire. Il n’y aurait peut-être pas d’ennemi déclaré ou de menace directe suffisante. Dès lors, le haut commandement ne serait peut-être pas en mesure de décider contre qui la concentration devrait s’effectuer. Cette incertitude pourrait, par ailleurs, durer des jours, voire davantage. La situation pouvait devenir délicate pour l’armée, car le dispositif de mobilisation ne permettait pas de faire vivre les troupes durant une période relativement longue. Il pouvait aussi être dangereux de rester ainsi, avec des troupes dispersées. Une attaque brusque et imprévue pourrait avoir lieu et prendre par surprise l’armée, avant qu’elle n’ait le temps de se concentrer.
Pfyffer et Keller étaient conscients de ces problèmes et ils ont cherché des solutions. Le premier a établi, en plus des plans de concentration faisant face aux quatre voisins de la Suisse, un plan de concentration intermédiaire («unpräjudizierlichen ersten Aufmarsch»).183 Ce plan était valable tant que l’ennemi n’était pas connu et, comme son nom l’indique, il ne devait pas être préjudiciable à une concentration ultérieure contre quelque adversaire que ce fût. Pour ce faire, Pfyffer voulait adopter un dispositif permettant de couvrir certains secteurs particulièrement vulnérables de la frontière et occuper la position stratégique du St-Gothard, tout en permettant une concentration ultérieure rapide sur l’un des fronts. Il faisait prendre le dispositif suivant à ses huit divisions:
– 1ère Division: canton de Vaud
– 2e Division: canton de Neuchâtel et Jura bernois
– 8e Division: St-Gothard
– 3e, 4e, 5e, 6e et 7e Divisions: région Olten–Brugg–Zurich
Après la mort de Pfyffer, le nouveau chef du Bureau d’état-major changea les modalités de la concentration.184 Jusqu’au début des années 1890, celle-ci s’opérait en concentrant les corps de troupes directement à partir des places de rassemblement de corps. Avec la création des corps d’armée, cette manière de faire n’était plus possible. Désormais, les divisions et les corps d’armée étaient d’abord constitués puis, une fois cette opération terminée, concentrés. Cette nouvelle procédure était beaucoup plus souple que l’ancienne. Les divisions organisaient elles-mêmes leurs transports de concentration. Le Bureau d’état-major ne devait plus s’occuper des documents concernant les nombreux corps de troupes qui les composaient et se limitait à préparer les transports à l’échelon divisionnaire. En revanche, le nouveau système était un peu plus lent que l’ancien. Keller ne voyait cependant pas un inconvénient notoire dans la journée de retard découlant des nouvelles modalités de concentration. Il ne s’attendait en effet pas à devoir faire face à des pénétrations importantes de forces ennemies dans les premiers jours de mobilisation et considérait que les détachements de surveillance seraient suffisants pour faire face à des incursions de petits détachements.
Le nouveau système fut, pour l’essentiel, mis en place assez rapidement. Toutefois, Keller apporta de nombreux changements dans les détails des dispositifs. De plus, il réalisa une distinction entre les modalités de concentration opérée directement avec les divisions ou avec les corps d’armée constitués. Ces derniers ne devaient en effet être rassemblés avant la concentration que si le temps le permettait. Il s’agissait de déplacer certaines troupes des divisions, de manière à accélérer les transports de concentration. Une fois les corps d’armée constitués, l’armée se trouvait dans un dispositif dit de mobilisation («Mobilmachungsaufstellung»). Ces travaux d’organisation des grandes unités devaient être terminés, pour les troupes les plus lentes, au matin du sixième jour de la mobilisation. L’armée pouvait alors soit être concentrée sur l’un ou l’autre des fronts, soit prendre un dispositif de concentration intermédiaire au cas où la menace ne serait pas clairement définie. Ce dispositif de mobilisation, à la fin des années 1890, était le suivant:
– Ier Corps d’armée
Etat-major: Fribourg
1ère Division: région Lausanne–Morges–Echallens
2e Division: région Cerlier –Aneth–St-Blaise
Les bataillons jurassiens: Tavannes–Tramelan
Les Bataillons neuchâtelois 19 et 20: Colombier
Troupes de corps: région Moudon–Morat
– IIe Corps d’armée
Etat-major: Berne
3e Division: région Berne–Münchenbuchsee–Muri
5e Division: région Aarau–Olten–Liestal
Troupes de corps: Berthoud et Wangen
– IIIe Corps d’armée
Etat-major: Zurich
6e Division: région Oerlikon–Winterthour
7e Division: région Wil–Frauenfeld
Troupes de corps: région Altstetten–Uster
– IVe Corps d’armée
Etat-major: Lucerne
4e Division: région Huttwil
8e Division: répartie en 4 groupes à Airolo, Brigue, Biasca et Coire
Troupes de corps: près du lac de Sempach, de Wolhusen et Hochdorf
Par ailleurs, Keller établit de nouveaux plans de concentration intermédiaire.185 Dans la seconde moitié des années 1890, il étudia deux dispositifs qu’il nomma «Armeeaufmarsch Ia» et «Armeeaufmarsch Ib». La réflexion du chef du Bureau d’état-major l’avait conduit à la conclusion qu’un regroupement plus serré de l’armée ne pouvait avoir lieu que dans la région de Lucerne. Cette solution, idéale, présentait toutefois un caractère trop théorique. Elle avait en effet le désavantage d’éloigner l’armée de la frontière. De plus, elle ne tenait pas compte de l’importance relative des menaces, ni des différences géographiques de chacun des fronts. Keller considéra que la frontière est était peu menacée et que celle avec l’Italie était défendue par un terrain très «fort», où les troupes de la 8e Division et celles des fortifications seraient suffisantes. Il ne restait donc plus que deux variantes pour les fronts ouest et nord. Le premier dispositif devait être pris en cas de menace française, hypothèse considérée comme la plus probable («Armeeaufmarsch Ia») et le second si le commandant en chef s’attendait à une attaque allemande («Armeeaufmarsch Ib»). La décision revenait à celui-ci, en fonction de la situation politico-militaire du moment.
Dans la variante Ia, le Ier Corps d’armée restait en Suisse romande. La 1ère Division devait se retirer sur le plateau d’Echallens, le gros de la 2e Division avancer depuis le canal de la Thielle en direction du Val-de-Ruz et les troupes de corps s’installer dans la région de Payerne.