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il y aurait sûrement de l’indiscrétion à vous demander plus que de l’indulgence... Je sens qu’il faut m’arrêter ici pour ne pas tomber encore dans une petite contradiction.

      «Cette longue lettre ne répond, comme vous voyez, qu’à une partie de la vôtre, et je n’ai même dit encore qu’une partie de mes raisons sur les objets dont j’ai parlé. Si vous craignez un second volume, il sera nécessaire que vous me le fassiez savoir bientôt.

      «J’ai l’honneur d’être, etc...»

      «Cette lettre n’est, madame, que la continuation de celle que j’ai eu l’honneur de vous écrire il y a quelques jours, il me semble que votre silence me donne le droit de poursuivre, et j’en profite pour éclaircir les objets qui me restent à traiter avec vous.

      «Je n’ai point prétendu charger Tartuffe d’un désir incestueux; si je n’ai pas désigné Marianne par le mot de cette fille, c’est qu’écrivant sur un sujet si connu, j’étais assuré d’être entendu; c’est de plus que je ne prétendais pas apprécier le péché, mais seulement le procédé. Or l’action considérée sous cette face, et relativement à Orgon, me paraît absolument la même, il n’en est pas moins vrai que l’expression n’est pas exacte; et j’aurais dû dire, de séduire la faveur de l’homme dont il épousait la fille. Je me permets à mon tour une observation sur ce que vous me dites de cette pièce; c’est que Tartuffe n’est point puni par les lois, mais par l’autorité. Je fais cette remarque, parce qu’il me semble que le droit du moraliste, soit dramatique soit romancier, ne commence qu’où les lois se taisent. Molière lui-même m’a paru si bien être de son avis, qu’il a pris soin de mettre à l’abri des atteintes de la loi, jusqu’à la donation irrégulière d’Orgon à Tartuffe. C’est qu’en effet les hommes une fois rassemblés en société, n’ont droit de se faire justice que des délits que le gouvernement ne s’est pas chargé de punir. Cette justice du public est le ridicule pour les défauts et l’indignation pour les vices. La punition de Tartuffe n’est elle-même qu’une suite de l’indignation du prince, et le châtiment est motivé sur d’autres actions que celles qui se sont passées durant le cours de la pièce.

      «Mais combien cette salutaire indignation publique n’est-elle pas utile à réveiller sur les vices en faveur desquels elle semble se relâcher! C’est ce que j’ai voulu faire. Mme de M... et V... excitent, dans ce moment, une clameur générale, mais rappelez-vous les événements de nos jours, et vous retrouverez une foule de traits semblables, dont les héros des deux sexes ne sont ou n’ont été que mieux accueillis et plus honorés; j’ajoute même que je me suis particulièrement privé de quelques traits qui manquent à mon caractère, par la seule raison qu’ils étaient trop récents et trop connus, et que l’honnête homme en diffamant le vice, répugne cependant à diffamer les vicieux.

      «Les mœurs que j’ai peintes ne sont pourtant pas, madame, celles de ces malheureux que la misère réduit à vivre de leur infamie; mais ce sont celles de ces femmes plus viles encore qui savent calculer ce que le rang ou la fortune leur permettent d’ajouter à un vice infâme, et qui en redoublent le danger par la profanation de l’esprit et des grâces. Le tableau en est attristant, je l’avoue, mais il est vrai, et le mérite que je reconnais à travers des sentiments qu’on désire d’imiter, n’empêche pas, je crois, qu’il ne soit utile de peindre ceux dont on doit se défendre.

      «Je ne finirai pas cette lettre sans vous remercier, madame, de l’honnêteté avec laquelle vous avez combattu mon avis, et même encore de la complaisance que vous avez eue de la combattre; et je me félicite d’avoir fixé un moment sur moi l’attention volage du public. C’est particulièrement par l’occasion que j’ai trouvé de faire parvenir jusqu’à vous et de pouvoir vous adresser moi-même, l’assurance et l’hommage des sentiments d’estime et de respect que je vous ai voués pour la vie.

      «J’ai l’honneur d’être, etc.»

      «Avec de l’esprit, de l’éloquence et de l’obstination on a souvent raison, monsieur, ou du moins on réduit au silence les personnes qui n’aiment ni à disserter, ni à soutenir leur opinion avec trop de chaleur. Permettez-moi donc de terminer une dispute dont nos derniers neveux ne verraient pas la fin si elle continuait. Le brillant succès de votre livre doit vous faire oublier ma légère censure; parmi tant de suffrages, à quoi vous servirait celui d’une cénobite ignorée? Il n’ajouterait point à votre gloire. Dire ce que je ne pense pas me paraît une trahison, et je vous tromperais en feignant de me rendre à vos sentiments. Ainsi, monsieur, après un volume de lettres, nous nous retrouverions toujours au point d’où nous sommes partis.

       «J’ai l’honneur d’être votre très humble et obéissante servante,

      «Ce vendredi.»

      Pour contrebalancer des témoignages aussi manifestement partiaux, nous ne connaissons pas de pages plus précises et plus suggestives que celles consacrées par les frères de Goncourt à l’œuvre de Laclos.

      «A mesure que le siècle vieillit, qu’il accomplit son caractère, qu’il creuse ses passions, qu’il raffine ses appétits, qu’il s’endurcit et se confine dans la sécheresse et la sensualité de tête, il cherche plus résolument de ce côté l’assouvissement de je ne sais quels sens dépravés et qui ne se plaisent qu’au mal. La méchanceté, qui était l’assaisonnement, devient le génie de l’amour. Les «noirceurs» passent de mode, et la «scélératesse» éclate. Il se glisse dans les relations d’hommes à femmes quelque chose comme une politique impitoyable, comme un système réglé de perdition. La corruption devient un art égal en cruautés, en manques de foi, en trahisons, à l’art des tyrannies. Le machiavélisme entre dans la galanterie, et il la domine et la gouverne. C’est l’heure où Laclos écrit d’après nature ses Liaisons dangereuses, ce livre admirable et exécrable, qui est à la morale amoureuse de la France du XVIIIe siècle ce qu’est le traité du Prince à la morale politique de l’Italie du XVIe.

      «Aux heures troubles qui précèdent la Révolution, au milieu de cette société traversée et pénétrée jusqu’au plus profond de l’âme, par le malaise d’un orage flottant et menaçant, on voit apparaître, pour remplacer les petits maîtres sémillants et impertinents de Crébillon fils, les grands maîtres de la perversité, les roués accomplis, les têtes fortes de l’immoralité théorique et pratique. Ces hommes sont sans entrailles, sans remords, sans faiblesse. Ils ont l’amabilité, l’impudence, l’hypocrisie, la force, la patience, la suite des résolutions, la constance de la volonté, la fécondité d’imagination. Ils connaissent la puissance de l’occasion, le bon effet d’un acte de vertu ou de bienfaisance bien placé, l’usage des femmes de chambre, des valets, du scandale, toutes les armes déloyales. Ils ont calculé de sang-froid tout ce qu’un homme peut se permettre «d’horreurs», et ils ne reculent devant rien. Ne pouvant prendre d’assaut, dans un secrétaire, le secret d’un cœur de femme, ils se prennent à regretter que le talent d’un filou n’entre pas dans l’éducation d’un homme qui se mêle d’intrigues. Leur grand principe est de ne jamais finir une aventure avant d’avoir en main de quoi déshonorer la femme: ils ne séduisent que pour perdre, ils ne trompent que pour corrompre. Leur joie, leur bonheur, c’est de faire «expirer la vertu d’une femme dans une lente agonie et de la fixer sur ce spectacle», et ils s’arrêtent à moitié de leur victoire, pour faire arrêter celle qu’ils ont attaquée, à chaque degré, à chaque station de la honte, du désespoir, lui faire savourer à loisir le sentiment de sa défaite, et la conduire à la chute assez doucement, pour que le remords la suive pas à pas. Leur passe-temps, leur distraction, dont ils rougissent presque, tant elle leur a peu coûté, est de subjuguer par l’autorité une jeune fille, une enfant, d’emporter son honneur en badinant, de la dépraver par désœuvrement; et c’est pour eux comme une malice de faire rire cette fille des ridicules de sa mère, de sa mère couchée à côté et qu’une cloison sépare de la honte et

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