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n’est pas sans quelque regret qu’on se permet d’en convenir; mais l’expérience le prouve trop bien tous les jours: à en juger par la conduite de beaucoup de gens, il faut bien que le vice ait ses plaisirs comme la vertu; et ce qui constitue décidément le caractère du méchant comme celui de l’homme vertueux, c’est de l’être sans aucun objet d’utilité personnelle et pour le seul plaisir de l’être. La société donne aux hommes tant de besoins, tant d’espèces d’amour-propre à contenter, elle leur laisse tant d’inquiétude, tant d’activité dont on ne sait le plus souvent que faire! Si la bonne compagnie offre assez de gens aimables qui ne trouvent que dans la tracasserie et dans les méchancetés de quoi occuper le vide de leur cœur, l’inutilité de leur existence, pourquoi refuser à Mme de Merteuil, au vicomte de Valmont l’honneur d’avoir été de ce nombre?

      «Pour avoir une juste idée de tout le talent qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître dans l’ouvrage de M. de La Clos, il faut le lire d’un bout à l’autre; il n’y en a pas moins dans l’ensemble que dans les détails. Les caractères y sont parfaitement soutenus; la naïveté de la petite de Volanges est un peu bête, mais elle n’en est que plus vraie, et ce personnage contraste aussi heureusement avec l’esprit de Mme de Merteuil que les vices de celle-ci avec la vertu romanesque de Mme de Tourvel. L’extrême sécurité de Mme de Volanges sur la conduite de sa fille est peut-être ce qu’il y a de moins vraisemblable dans tout l’ouvrage; elle est justifiée cependant autant qu’elle peut l’être et par l’adresse de Mme de Merteuil et par cette confiance qu’une femme dont la vie fut toujours irréprochable prend si naturellement dans tout ce qui l’entoure. On peut croire sans peine que la fille d’une Mme de Merteuil serait, à coup sûr, mieux gardée que ne l’est la petite de Volanges; l’expérience du vice a, sur ce point, de grands avantages sur les habitudes de la vertu.

      «Parmi les épisodes qui enrichissent cette ingénieuse production, on ne peut se refuser au plaisir de citer celui de la fameuse aventure des Inséparables, dans laquelle le joli Prévan, après avoir triomphé glorieusement, dans la même nuit, de trois jeunes beautés, oblige le lendemain leurs amants à lui pardonner cette triple trahison, et à se croire ses meilleurs amis. L’aventure de Mme de Merteuil avec ce même Prévan est peut-être encore plus piquante. Son ami Valmont l’exhorte à s’en défier: «S’il peut gagner seulement une apparence, lui dit-il, il se vantera et tout sera dit; les sots y croiront, les méchants auront l’air d’y croire; quelles seront vos ressources...» Mme de Merteuil lui répond: «Quant à Prévan, je veux l’avoir, et je l’aurai; il veut le dire, et il ne le dira pas, en deux mots, voilà notre roman...» Et ce roman n’en est pas un; car Mme de Merteuil tient parole.

      Voici maintenant les notes, au jour le jour, de Bachaumont:

      «19 avril 1782.—Le livre à la mode aujourd’hui, c’est-à-dire celui qui fait la matière des conversations, est un roman intitulé Les Liaisons dangereuses, en quatre petits volumes. Il est attribué à M. de Laclos; officier d’artillerie, auteur de quelques opuscules en prose et en vers, et surtout de la fameuse Épître à Margot, qui parut en 1773, qu’on attribua à M. Dorat, et où la comtesse Dubarry était désignée sensiblement, ce qui obligeait le poète de garder l’anonymat.

      «Dans son dernier ouvrage, très noir, qu’on dit un tissu d’horreurs et d’infamies, on lui reproche d’avoir fait aussi ses héros trop ressemblants; on assure, d’ailleurs, qu’il est plein d’intérêt et bien écrit.»

      Bien que nous semblions nous éloigner de notre sujet, nous croyons devoir citer cette fameuse Épître à Margot, tant de fois reprochée à M. de Laclos:

       ÉPITRE A MARGOT

      Pourquoi craindrais-je de le dire?

      C’est Margot qui fixe mon goût:

      Oui, Margot: cela vous fait rire...

      Que fait le nom? la chose est tout.

      Je sais que son humble naissance

      N’offre point à l’orgueil flatté,

      La chimérique jouissance

      Dont s’enivre la vanité;

      Que née au sein de l’indigence,

      Jamais un éclat fastueux,

      Sous le voile de l’opulence,

      N’a pu dérober ses aïeux;

      Que sans esprit, sans connaissance,

      A ces discours fastidieux

      Succède un stupide silence:

      Mais Margot a de si beaux yeux,

      Qu’un seul de ses regards vaut mieux

      Que fortune, esprit et naissance.

      Quoi! dans ce monde singulier,

      Triste jouet d’une chimère,

      Pour apprendre qui doit me plaire,

      Irai-je consulter d’Hozier?

      Non, l’aimable enfant de Cythère

      Craint peu de se mésallier.

      Souvent par l’amoureux mystère,

      Ce dieu, dans ses goûts roturiers,

      Donne le pas à la bergère,

      En dépit des seize quartiers.

      Et qui sait ce qu’à ma maîtresse

      Garde l’avenir incertain?

      Margot encor dans sa jeunesse

      N’est qu’à sa première faiblesse,

      Laissez-la devenir catin;

      Bientôt, peut-être, le destin

      La fera marquise ou comtesse.

      Joli minois, cœur libertin,

      Font bien des titres de noblesse.

      Margot est pauvre, j’en conviens;

      Qu’a-t-elle besoin de richesse?

      Doux appas, et vive tendresse,

      Ne sont-ce pas d’assez grands biens?

      Ne sait-on pas que toute belle

      Porte son trésor avec elle?

       Doux trésor, objet des désirs

      De l’étourdi, comme du sage,

      Où la nature, d’âge en âge,

      A su conserver nos plaisirs.

      Des autres biens qu’a-t-elle à faire?

      Source de peine et d’embarras,

      Qui veut en jouir les altère,

      Qui les garde n’en jouit pas.

      De son temps faire un bon usage,

      Voilà la richesse du sage,

      Et celle dont Margot fait cas.

      Margot, en ménagère habile,

      Mêlant l’agréable à l’utile,

      Peut aisément suffire à tout.

      Le travail est fort de son goût;

      Toute

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