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sans naissance et sa fortune,

      On peut être heureux en amour.

      Reste l’esprit: j’entends d’avance

      Nos beaux diseurs, docteurs subtils

      Se récrier. Quoi, diront-ils,

      Point d’esprit! Quelle jouissance!

      Que deviendront les doux propos,

      Les bons contes, les jeux de mots,

      Dont un amant, avec adresse,

      Se sert auprès de sa maîtresse,

      Pour charmer l’ennui du repos!

      Si l’on est réduit à se taire,

      Quand tout est fait, que peut-on faire?

      Ah! les beaux esprits ne sont pas

      Grands docteurs dans cette science.

      Mais voyez le bel embarras,

      Quand tout est fait on recommence,

      Et même sans recommencer,

      Il est un plaisir plus facile,

      Et que l’on goûte sans penser.

      C’est le sommeil, repos utile

      Et pour les sens et pour le cœur,

      Et préférable à la langueur.

      De cette tendresse importune

      Qui, n’abondant qu’en beaux discours,

       Jure cent fois d’aimer toujours,

      Et ne le pense jamais une.

      O toi, dont je porte les fers,

      Doux objet d’un tendre délire,

      Le temps que j’emploie à t’écrire

      Est sans doute un temps que je perds.

      Jamais tu ne liras ces vers,

      Margot, car tu ne sais pas lire.

      Mais pardonne un ancien travers:

      De penser la triste habitude

      M’obsède encore, malgré moi,

      Et je fais mon unique étude

      Au moins de ne penser qu’à toi.

      A mes côtés viens prendre place,

      Le plaisir attend ton retour.

      Viens; et je troque, dans ce jour,

      Les lauriers ingrats du Parnasse

      Reprenons les notes des Mémoires secrets:

      «14 mai 1782.—Le roman des Liaisons dangereuses a produit tant de tentations, par les allusions qu’on a prétendu y saisir, par la méchanceté avec laquelle chaque lecteur faisait l’application des portraits qui s’y trouvent à des personnes connues, il en a résulté enfin une clef générale, qui embrasse tant de héros et d’héroïnes de société, que la police en a arrêté le débit et a fait défendre aux endroits publics où on le lisait, de le mettre désormais sur leur catalogue.

      «L’auteur est fils d’un M. Choderlos, premier commis d’un intendant des finances, il a déjà éprouvé beaucoup de chagrin de la publicité de son ouvrage. Parce qu’il a peint des monstres, on veut qu’il en soit un, fænum habet in cornu, longe fuge. Il est allé à son régiment travailler à une justification.»

      «28 mai 1782.Les Liaisons dangereuses ou Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres, par M. C... de L...

      «Tel est le titre du nouveau roman qui fait tant de bruit aujourd’hui et qu’on prétend devoir marquer dans ce siècle; il est en quatre parties formant quatre petits volumes.

      «Il est précédé d’un Avertissement de l’éditeur, persiflage, où prévenant les allusions qu’on pourrait trouver dans cet ouvrage, il donne à entendre que ce n’est qu’un roman, un roman gauche même, en ce qu’on y a peint des mœurs corrompues et dépravées, qui ne peuvent être de ce siècle de philosophie, où les hommes sont si honnêtes et les femmes si modestes et si réservées.

      «Suit une Préface du rédacteur, qui rend compte de la manière dont il a été chargé de publier cette correspondance. Il annonce en avoir élagué beaucoup de lettres et réservé seulement celles nécessaires, soit à l’intelligence des évènements, soit au développement des caractères. Quant au style, on a désiré que, malgré ses incorrections et ses fautes, il le laissât tel qu’il était, afin de conserver surtout la diversité des styles qui en fait un des principaux mérites.»

      «13 juin 1782.Les Liaisons dangereuses remplissent parfaitement leur titre, et, malgré la réclamation générale élevée contre, on doit regarder ce roman comme très utile, puisque le vice, après avoir triomphé durant tout le cours de l’histoire, finit par être puni cruellement.

      «Il y a certainement beaucoup d’art dans l’ouvrage, à ne l’examiner que du côté de la fabrique, et si le principal héros n’est pas aussi vigoureusement peint encore que le Lovelace de Clarisse, il a des teintes propres, plus adaptées à nos mœurs actuelles; c’est un vrai roué du jour; d’ailleurs il est secondé par une femme non moins unique dans son genre et dont l’auteur n’a point de modèle; c’est une création de son imagination. Tous les autres personnages sont également variés; et un mérite fort rare dans ces sortes de romans en lettres, c’est que, malgré la multiplicité des interlocuteurs de tout sexe, de tout rang, de tout genre, de toute morale et d’éducation, chacun a son style particulier très distinct.

       Voici enfin quelques documents que nous extrayons du dossier donné à la Bibliothèque Nationale par Mme Charles de Laclos, en 1849. Les lettres ci-dessous se trouvent manuscrites dans les feuilles précédant le texte du roman épistolaire. C’est une partie de la correspondance que Laclos échangea, à propos de son livre, avec Mme Riccoboni, avec laquelle il eut l’occasion de collaborer au théâtre.

      Il est facile de voir combien les moralistes outrés, les débauchés révoltés menèrent une campagne violente contre l’ouvrage et l’auteur.

      «Je ne suis pas surprise qu’un fils de M. de Choderlos écrive bien, l’esprit est héréditaire dans sa famille; mais je ne puis le féliciter d’employer ses talents, sa facilité, les grâces de son style à donner aux étrangers une idée si révoltante des mœurs de sa nation et du goût de ses compatriotes. Un écrivain distingué comme M. de la Clos, doit avoir deux objets en se faisant imprimer, celui de plaire, et celui d’être utile; en remplir un, ce n’est pas assez pour un homme honnête. On n’a pas besoin de se mettre en garde contre des caractères qui ne peuvent exister, et j’invite M. de la Clos à ne jamais orner le vice des agréments qu’il a prêtés à Mme de Merteuil.»

      La réponse de Laclos ne figure pas dans le dossier. Suit aussitôt une seconde lettre de Mme Riccoboni:

      «Vous êtes bien généreux, monsieur, de répondre par des compliments si polis, si flatteurs, si spirituellement exprimés, à la liberté que j’ai osé prendre d’attaquer le fond d’un ouvrage, dont le style et les détails méritent tant de louanges. Vous me feriez un tort véritable en m’attribuant la partialité d’un auteur. Je le suis de si peu de choses qu’en lisant un livre nouveau je me trouverais bien injuste et bien sotte si je le comparais aux bagatelles sorties de ma plume et croyais mes idées propres

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