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l’époque où il a placé les événements qu’il publie. En effet, plusieurs des personnages qu’il met en scène ont de si mauvaises mœurs qu’il est impossible de supposer qu’ils aient vécu dans notre siècle; dans ce siècle de philosophie, où les lumières, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnêtes et toutes les femmes si modestes et si réservées.

      Notre avis est donc que, si les aventures rapportées dans cet ouvrage ont un fonds de vérité, elles n’ont pu arriver que dans d’autres lieux ou dans d’autres temps, et nous blâmons beaucoup l’auteur qui, séduit apparemment par l’espoir d’intéresser davantage en se rapprochant plus de son siècle et de son pays, a osé faire paraître sous notre costume et avec nos usages, des mœurs qui nous sont si étrangères.

      Pour préserver au moins, autant qu’il est en nous, le lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d’un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu’il nous paraît victorieux et sans réplique: c’est que sans doute les mêmes causes ne manqueraient pas de produire les mêmes effets, que cependant nous ne voyons point aujourd’hui de demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire religieuse, ni de présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin.

       Table des matières

      J’avais proposé des changements plus considérables et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J’aurais désiré aussi être autorisé à couper quelques lettres trop longues, et dont plusieurs traitent séparément, et presque sans transition, d’objets tout à fait étrangers l’un à l’autre. Ce travail, qui n’a pas été accepté, n’aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l’ouvrage, mais en aurait au moins ôté une partie des défauts.

       On m’a objecté que c’étaient les lettres mêmes qu’on voulait faire connaître, et non pas seulement un ouvrage fait d’après ces lettres; qu’il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j’ai représenté que loin de là il n’y en avait au contraire aucune qui n’eût fait de fautes graves et qu’on ne manquerait pas de critiquer, on m’a répondu que tout lecteur raisonnable s’attendrait sûrement à trouver des fautes dans un recueil de lettres de quelques particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu’ici de différents auteurs estimés, et même de quelques académiciens, on n’en trouvait aucun totalement à l’abri de ce reproche. Ces raisons ne m’ont pas persuadé, et je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu’à recevoir; mais je n’étais pas le maître, et je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre et de déclarer que ce n’était pas mon avis; ce que je fais en ce moment.

      Quant au mérite que cet ouvrage peut avoir, peut-être ne m’appartient-il pas de m’en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu près sur quoi compter, ceux-là, dis-je, peuvent continuer; les autres feront mieux de passer tout de suite à l’ouvrage même: ils en savent assez.

      Ce que je puis dire d’abord, c’est que si mon avis a été, comme j’en conviens, de faire paraître ces lettres, je suis pourtant bien loin d’en espérer le succès; et qu’on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d’un auteur; car je déclare avec la même franchise que, si ce recueil ne m’avait pas paru digne d’être offert au public, je ne m’en serais pas occupé. Tâchons de concilier cette apparente contradiction.

      Le mérite d’un ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, et même de tous deux, quand il en est susceptible; mais le succès, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu’à son exécution, à l’ensemble des objets qu’il présente qu’à la manière dont ils sont traités. Or ce recueil contenant, comme son titre l’annonce, les lettres de toute une société, il y règne une diversité d’intérêt qui affaiblit celui du lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu’on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent même exciter qu’un intérêt de curiosité toujours bien au-dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l’indulgence et laisse d’autant plus apercevoir les fautes qui s’y trouvent dans les détails que ceux-ci s’opposent sans cesse au seul désir qu’on veuille satisfaire.

      Ces défauts sont peut-être rachetés, en partie, par une qualité qui tient de même à la nature de l’ouvrage: c’est la variété des styles, mérite qu’un auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-même, et qui sauve au moins l’ennui de l’uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d’observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent éparses dans ces lettres. C’est aussi là, je crois, tout ce qu’on y peut espérer d’agréments, en les jugeant même avec la plus grande faveur.

      L’utilité de l’ouvrage, qui peut-être sera encore plus contestée, me paraît pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l’exemple de deux vérités importantes qu’on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées: l’une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs finit par en devenir la victime; l’autre, que toute mère est au moins imprudente qui souffre qu’une autre qu’elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe pourraient encore y apprendre que l’amitié que les personnes de mauvaises mœurs paraissent leur accorder si facilement n’est jamais qu’un piège dangereux et aussi fatal à leur bonheur qu’à leur vertu. Cependant l’abus, toujours si près du bien, me paraît ici trop à craindre et loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraît très important d’éloigner d’elle toutes celles de ce genre. L’époque où celle-ci peut cesser d’être dangereuse et devenir utile me paraît avoir été très bien saisie, pour son sexe, par une bonne mère qui non seulement a de l’esprit, mais qui a du bon esprit. «Je croirais, me disait-elle, après avoir lu le manuscrit de cette correspondance, rendre un vrai service à ma fille en lui donnant ce livre le jour de son mariage.» Si toutes les mères de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l’avoir publié.

      Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes et les femmes dépravés auront intérêt à décrier un ouvrage qui peut leur nuire; et, comme ils ne manquent pas d’adresse, peut-être auront-ils celle de mettre dans leur parti les

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