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en priant Dieu, lui dit-elle, car je lui offrirai, avec le mien, un noble cœur pénétré de sa divine bonté!..»

      Ce fut dans ce moment difficile que M. Necker, dont le caractère était sévère et rude à manier, fit dans la maison de la Reine et celle du Roi les réformes les plus fortes28. M. le prince de Condé29 fut atteint lui-même par la main réformatrice. Les plaintes les plus graves arrivaient à M. de Maurepas, qui répondait plaisamment: «Que voulez-vous? ce Genevois est un faiseur d'or; il a trouvé la pierre philosophale.»

      M. Necker, en effet, venait d'ouvrir l'administration provinciale de Montauban, et l'emprunt se faisait.

      «Ainsi donc, disait Sénac de Meilhan à M. de Maurepas, un emprunt est la récompense d'une destruction, car cet homme détruit.

      – Sans doute; il nous donne des millions en échange de la suppression de quelques charges.

      – Et s'il vous demandait la permission de couper la tête des intendants? (M. de Meilhan était intendant de Valenciennes.)

      – Eh! eh! nous le lui permettrions peut-être… mais je vous l'ai dit, trouvez-nous comme lui la pierre philosophale, et vous serez ministre le même jour…»

      Enfin, Monsieur et le comte d'Artois se mirent contre M. Necker!!.. la lutte devait être un triomphe pour les princes: mais la défense du ministre fut noble et digne. Accusé d'aller à la gloire, comme Érostrate, en brûlant la monarchie, M. Necker ne répondit à ces attaques de l'envie impuissante que par le silence; mais dans le mémoire fait par ordre de M. le comte d'Artois, un passage trouva M. Necker vulnérable, et la blessure alla au cœur… ce passage concernait madame Necker!.. On lui reprochait d'avoir été maîtresse d'école dans un village de Suisse; il y avait de la méchanceté à cette action, qui n'avait pour but que de nuire. Peu après venait le parallèle de Law et de M. Necker.

      On offense, on fait du mal… mais l'offensé, quoique bon, peut enfin se venger!.. ce fut ce qui arriva. M. Necker fit accuser M. de Sartines30 de prévarication, et il fut renvoyé dès le jour même du ministère de la Marine, où il était passé de la lieutenance de police.

      Le jour où madame Necker apprit que son mari vengeait son injure en accusant M. de Sartines, elle se jeta à ses genoux.

      «Celui qui se venge, lui dit-elle en pleurant, non-seulement n'est pas chrétien, mais est plus coupable que celui qui commet la faute. Au nom du Sauveur, secourez-le, pour moi!..»

      M. Necker fut inflexible.

      «Il serait coupable à moi, lui dit-il, de faire ce que vous me demandez. Cet homme est coupable… Je dois ne pas laisser subsister plus longtemps dans la rapine et l'audace un homme qui n'est, après tout, qu'un espion revêtu d'un habit noir honorable. M. de Sartines est un misérable et un assassin, le meurtrier de Pezay! Pezay, mon ami, lui si bon, si doux, si inoffensif!.. Il l'a traité comme les hommes de boue de son ministère!.. Non, non… cet homme doit succomber… parce que tout a une fin… le doigt de Dieu l'a désigné.»

      M. de Sartines fut en effet renvoyé avec la honte de l'accusation. M. de Maurepas était à Paris malade de la goutte et souffrait beaucoup en radotant un peu31, parce que, comme disait M. Necker, tout a une fin. M. Necker profita habilement de cette absence et du renvoi de M. de Sartines. Ce fut alors que, par les conseils de madame Necker, il publia son fameux compte rendu. C'est un des événements les plus remarquables du règne de Louis XVI. Ce fut en vain que le comte d'Artois, toujours ennemi de M. Necker, comme de tout novateur, appela ce travail un conte bleu, parce que la brochure était recouverte en papier bleu: ce tocsin, qui devait sonner l'heure du malheur, ne fit rien contre M. Necker dans le même moment. Le Roi était juste; il lut la brochure, et ne fit pas même attention à ce que lui dit son frère contre le directeur-général. Ses affaires prirent même un autre aspect, et mille voix s'écrièrent autour de lui et avec lui: Chute du Mentor!.. car M. de Maurepas, malgré son esprit aimable, et tout homme du monde qu'il était, avait le défaut de vivre trop longtemps dans une place dont tant d'autres voulaient…

      Le parti de M. Necker était nombreux, et comptait dans ses rangs les plus grandes dames et les hommes les plus influents. On y voyait figurer la marquise de Coigny, la princesse de Poix, la comtesse de Simiane, la duchesse de Grammont, la duchesse de Choiseul, le duc de Praslin, presque tous les gens de lettres, madame de Blot, et tant d'autres dont les voix dominaient les autres bruits, dans le temps où le salon d'une femme de bonne compagnie était un tribunal où se jugeait, de l'aveu de tous, une cause comme celle de M. Necker. Les salons alors dirigeaient l'opinion publique.

      Madame Necker fut encore admirable dans ce retour de faveur, parce qu'aux vertus natives et à la religion ordinairement inculquée comme principe, madame Necker joignait l'ardente piété des femmes protestantes… Louis XVI parlait un jour de madame Necker à son mari, et regrettait que son état de santé l'empêchât de tenir à la Cour… Le maréchal de Noailles se trouvait là, ainsi que le chevalier de Crussol et le baron de Bésenval: tant que les deux derniers furent présents, M. Necker garda le silence; mais lorsqu'ils furent sortis, M. Necker dit au Roi:

      «Sire, votre majesté est la seule personne dans sa cour que je juge digne d'entendre prononcer le nom de madame Necker… Le nom de ma femme est connu, sire, et souvent invoqué dans les asiles les plus obscurs et les plus misérables de votre capitale, ainsi que devant quelques amis tels que monsieur le maréchal… mais je crains que ce nom, que les anges ne redisent qu'avec joie devant le trône de Dieu, ce nom ne soit comme un reproche tacite dit en face de ces femmes sans pudeur qui osent rire de ses souffrances32!!! Ces mêmes grands seigneurs qui parlent contre ma vertueuse compagne, sire, devraient se rappeler que madame Necker, ayant appris que depuis VINGT-HUIT ANS M. le comte de Lautrec, capitaine de dragons, était enfermé au château de Ham, et qu'il avait à peine l'apparence de l'espèce humaine, dans le cachot où le malheureux était enseveli, résolut à elle seule, faible femme, de le sauver, ou du moins de le soulager!.. Elle part pour Ham, s'informe de M. de Lautrec, et parvient enfin jusqu'au tombeau où l'infortuné gisait sur la paille presque sans vêtements, n'ayant enfin que ses cheveux et sa barbe pour couvrir sa poitrine et ses épaules!.. Entouré de rats et de reptiles, seuls compagnons de sa captivité, M. de Lautrec était au moment de se détruire, car son état était insupportable, lorsque madame Necker, par ses soins, sa bonté vraiment angélique, parvint à faire adoucir la captivité de M. de Lautrec: il put vivre, du moins, et bénir la femme généreuse qui, lui étant étrangère et parfaitement inconnue, a su le faire sortir de l'enfer où il gémissait.

      «Voilà de ses actions, sire, poursuivit M. Necker en se tournant vers la fenêtre, pour dérober son émotion au Roi…

      – Ah! ne me cachez pas vos larmes! s'écria Louis XVI, fort ému… Je suis digne de les voir, croyez-le bien, et surtout d'apprécier le trésor que Dieu vous a confié.»

      Cette conversation fit du bien au cœur de M. Necker…; c'était bien le Roi dans de pareils moments!.. mais ils étaient malheureusement trop rares… et ceux qui les suivaient détruisaient l'effet que les précédents avaient produit. Un matin madame Necker entra chez son mari avec un visage serein, mais plus solennel qu'à l'ordinaire: «Mon ami, lui dit-elle, voulez-vous toujours lutter contre des factions sans cesse renaissantes? voulez-vous être la cause de la mort d'un homme, vous, à qui le sang chrétien est en horreur? Eh bien! hier une querelle eut lieu dans un bal chez madame de Blot, et les deux antagonistes se sont battus ce matin!.. les oppositions se multiplient… les avez-vous comptées?»

      M. Necker fit un signe négatif.

      «Eh bien! j'ai eu ce courage, poursuivit-elle; et il en reste dix!..»

      M. Necker fit un mouvement d'effroi; sa femme reprit:

      «Les amis de Turgot;

      «Tous les économistes, ayant en tête l'abbé Baudeau33;

      La haute

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<p>28</p>

Les trésoriers de la maison du Roi, et ceux de la Reine; les trois offices de contrôleurs-généraux, ceux des trésoriers de la bouche, ceux de l'argenterie, celui des menus plaisirs, des écuries, et celui de la maison du Roi, etc., etc.

<p>29</p>

Grand-maître de la maison du Roi.

<p>30</p>

Ce fait du renvoi de M. de Sartines est bien curieux. On avait besoin de dix-sept millions pour la guerre d'Amérique; mais on voulait le cacher à M. Necker, qui alors était directeur-général. D'accord avec M. de Maurepas, alors ministre, M. de Sartines augmenta son budget de la marine de trois millions par mois. M. de Maurepas était malade; M. Necker, qui ne savait rien de cet accord entre le Roi, M. de Sartines et M. de Maurepas, accuse M. de Sartines en plein conseil. Le Roi se trouve seul; il n'ose dire: Je sais ce que c'est! M. de Sartines est renvoyé comme coupable. Le Roi dit ensuite qu'il l'avait oublié!.. Le silence de M. de Sartines est bien beau.

<p>31</p>

Il est remarquable combien M. de Maurepas a de ressemblance avec M. de Talleyrand!

<p>32</p>

On avait fait des caricatures représentant madame Necker droite et pâle, se tenant raide et immobile devant son mari tandis que celui-ci dînait, et lui récitant un traité de morale. La maladie de madame Necker était une agitation nerveuse qui l'empêchait de se tenir assise.

<p>33</p>

On l'appelait le père de la science; il était l'élève du docteur Quesnay.