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de la continuer. Alors il voulut établir son crédit, et demanda au Roi de daigner s'arrêter un dimanche, en revenant de la chapelle, devant une travée qu'il désigna et où il devait se trouver. Curieux de connaître enfin son correspondant mystérieux, qui depuis deux ans lui était inconnu, le Roi s'arrêta plusieurs minutes pour causer avec lui, au grand étonnement de toute la cour; mais il redoubla lorsque le Roi, charmé de la bonne tournure, de l'élocution facile, du ton parfait de M. de Pezay, lui ordonna de le suivre dans son cabinet… Là, il causa de confiance avec lui pendant une heure. Au bout de ce temps, il lui dit: «Il faut que je vous fasse connaître à un homme qui lui-même sera ravi de vous voir. Passez un moment derrière ce paravent.» Le marquis obéit, et le Roi fit appeler M. de Maurepas13, qui, alors vieux et presque toujours malade, ne venait que pour satisfaire son ambition en ce qu'il paraissait conserver par là une ombre de grand pouvoir.

      «Mon vieil ami, lui dit Louis XVI lorsqu'il entra dans son cabinet, je vais vous présenter l'auteur de ma correspondance mystérieuse.

      – Que votre majesté n'a jamais voulu me montrer, grommela le vieux ministre d'un ton grondeur.

      – Je ne le pouvais, j'avais engagé ma parole, et vous savez qu'elle est sacrée. Mais je vais vous faire faire connaissance avec l'auteur.»

      Et prenant M. de Pezay par la main, il le présenta gracieusement à M. de Maurepas.

      «Ah! mon Dieu!» s'écria celui-ci, stupéfait à la vue de M. de Pezay.

      Le marquis s'inclina profondément, bien que sa main fût toujours dans celle du Roi.

      «Votre majesté me pardonnera de rendre un hommage de respect aussi profond en sa présence à un autre qu'à elle-même. Mais M. de Maurepas est mon parrain.

      – Votre parrain! s'écria le Roi à son tour dans un extrême étonnement.

      – Son parrain,» répéta M. de Maurepas d'un air si accablé que M. de Pezay et le Roi ne purent retenir un sourire… C'était en effet une chose qui devait surprendre que cet homme, dont la finesse et l'esprit, les manières parfaites, lui donnent une grande ressemblance avec M. de Talleyrand, attrapé, joué par un jeune homme qu'il regardait comme trop enfant pour lui confier la rédaction14 d'un simple rapport. M. de Maurepas dissimula, mais la blessure avait été profonde; il se sentit d'autant plus humilié que M. de Pezay était poëte, et que lui aussi faisait des chansons. Cependant il trouva des sourires et caressa même beaucoup M. de Pezay devant le Roi. Mais lorsque le filleul fut en route avec le parrain pour le remettre chez lui, il s'arrêta tout-à-coup, et regardant le jeune homme ambitieux et favori avec toute la haine impuissante du vieillard ambitieux sans pouvoir, il lui dit: «Vous êtes en relation avec le Roi! vous! vous!»

      Et il joignait les mains en regardant au ciel comme s'il avait cru à quelque chose!

      M. de Pezay, en prenant le parti qu'il suivait si obstinément depuis deux ans, s'était attendu à l'éclaircissement qui venait d'avoir lieu… et s'y était préparé… Aussi eut-il bientôt ramené à lui M. de Maurepas. Il avait une grâce extrême, de la cajolerie même dans les manières, et ce qui nous paraîtrait aujourd'hui ridicule, et même absurde à n'être pas admis, n'était alors qu'un excès de politesse recherchée, trop affectée peut-être et révélant la province; mais après tout l'inconvénient n'allait pas plus loin.

      Ainsi donc, avant d'être au bout de la galerie, M. de Maurepas était ou paraissait apaisé, et le filleul avait persuadé au parrain que tout ce qu'il avait fait depuis deux ans n'était que pour lui-même, M. de Maurepas!.. Mais le vieux renard n'était pas facile à tromper, et une fois sur la voie il devait trouver la trace de la bête lancée. Aussi, quelque temps après, se trouvant chez lui au moment où M. de Pezay discutait un peu plus vivement qu'il n'avait coutume de le faire avec madame de Maurepas, il dit avec aigreur:

      «Eh mais! voilà un jeune homme qui nous gouvernerait, ma femme et moi, si nous le lui permettions.»

      C'est l'influence positive de M. de Pezay qui fit renvoyer du ministère des Finances l'abbé Terray. Ce fut surtout un compte rendu des conversations de Paris dans les salons les plus influents, qui détermina le Roi à en faire une éclatante justice. Louis XVI ne pouvait supporter patiemment que les actes de son règne fussent l'objet de l'attention aussi spéciale du monde appelé beau monde, non qu'il le blâmât, mais cela lui était pénible; et M. de Pezay, en lui racontant minutieusement toutes les conversations du monde élégant de Versailles et de Paris, l'intéressait davantage qu'en lui donnant d'autres relations.

      Ce fut alors que M. le marquis de Pezay commença à recueillir les fruits de son travail. Il fit paraître un ouvrage immense dont la faveur et la protection royale pouvaient seules lui faciliter l'exécution. Il était très-intimement lié avec madame la princesse de Montbarrey, proche parente de M. de Maurepas. M. le prince de Montbarrey, alors au ministère de la Guerre, ouvrit ses portefeuilles, et M. de Pezay fit alors paraître un ouvrage qui est vraiment remarquable par la beauté des cartes et de l'atlas complet, avec le titre de Mémoires de Maillebois. Ce n'est, du reste, qu'une compilation et une traduction de plusieurs ouvrages italiens15, ce qui faisait qu'avant les campagnes d'Italie il pouvait servir, et même utilement; mais depuis ce moment je crois que nous avons fait mieux.

      Dans l'année qui suivit celle où il ouvrit sa correspondance, M. de Pezay défit donc un ministre et en fit deux, M. de Montbarrey et M. Necker… Quant à lui, il obtint une assez belle récompense pour la peine qu'il avait prise en faveur d'un roi de France. Il fut nommé inspecteur-général des côtes, avec un traitement annuel de 60,000 fr., et il obtint le paiement d'une fourniture de vin de 40,000 fr., faite par son père.

      Ce fut alors que M. de Pezay présenta les plans de M. Necker à M. de Maurepas pour la forme, et au Roi pour le fond. Le trésor royal était dans un état de délabrement effrayant, et nul moyen d'avoir de l'argent!.. M. Necker promit à M. de Maurepas de faire ou de se procurer les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses de la guerre si elle avait lieu, et comme elle se fit en effet16. M. de Clugny, alors ministre des Finances, était malade et incapable d'agir; on lui adjoignit M. Necker. Quelques mois après, M. de Clugny mourut, et M. Necker lui succéda; il promit de fournir quarante millions comptant!..

      J'ai montré, je le crois, à quel point j'estime M. Necker; je suis donc bien digne de foi lorsque je lui adresse un reproche, et c'en est un mérité que celui d'avoir été le courtisan de M. de Pezay!.. Au moment où M. de Pezay faisait tant de démarches pour faire nommer M. Necker au contrôle-général, celui-ci allait lui-même apprendre le résultat des démarches du marquis, et, le manteau sur le nez, il se tenait caché sous une remise chez M. de Pezay, attendant mystérieusement son retour de Versailles quelquefois jusqu'au matin.

      À la nouvelle de sa nomination, le clergé jeta les hauts cris; M. de Maurepas répondit froidement à un archevêque scandalisé de la nomination d'un protestant:

      «J'y tiens encore moins que vous, monseigneur, et je vous l'abandonne si vous voulez payer la dette de l'État.» Taboureau des Réaux, ne voulant pas être sous les ordres de M. Necker, donna sa démission, qui fut acceptée17.

      En parlant du salon de madame Necker, il me faudra nécessairement y faire arriver M. Necker; je dois donc aussi le peindre, et je vais le faire d'après les renseignements que j'ai eus sur lui par des personnes qui l'ont beaucoup connu, mais avec impartialité, chose qu'on ne peut trouver dans les ouvrages de madame Necker.

      La figure de M. Necker était étrange et ne ressemblait à aucune autre; son attitude était fière, et même un peu trop. Il portait habituellement la tête fort élevée, et malgré la forme extraordinaire de son visage, dont les traits fortement prononcés n'avaient aucune douceur, il pouvait plaire, surtout à ceux qui sentaient énergiquement; on voyait qu'en lui on trouverait une réponse à une démarche tentée avec force ou bien à un mot de vigueur. Son regard18

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<p>13</p>

M. de Maurepas avait un petit appartement que Louis XVI lui avait donné tout près du sien; il le sonnait comme Louis XV sonnait ses quatre filles. Il sonnait d'abord madame Adélaïde, elle sonnait alors madame Victoire, qui sonnait madame Sophie, et le dernier coup de cloche était pour madame Louise.

<p>14</p>

Malgré l'extrême douceur de ses manières, M. de Pezay ne pouvait retenir un sourire amer lorsqu'il disait que M. de Maurepas avait en effet refusé un jour de lui laisser rédiger le simple rapport de l'incendie d'une ferme royale. Après tout, il n'était qu'un intrigant un peu plus habile et mieux élevé qu'un autre, et voilà tout.

<p>15</p>

On a fondu les cuivres de ces cartes pendant la révolution, ce qui rend les exemplaires restants de la plus grande rareté. L'atlas de cartes géographiques accompagnant les Mémoires de Maillebois est aujourd'hui d'un prix idéal qui n'est surtout pas en rapport avec la valeur intrinsèque de l'ouvrage.

<p>16</p>

Celle d'Amérique pour l'indépendance.

<p>17</p>

À la mort de M. de Clugny, on remarqua qu'il était le premier ministre des Finances depuis Colbert qui mourut en place; il y en avait eu vingt-cinq! – M. de Clugny fut remplacé par Taboureau des Réaux, homme intègre et éclairé, dont la sincère probité et les talents ne purent lutter néanmoins contre les intrigues de M. de Pezay, qui voulait que son protégé fût seul.

<p>18</p>

Madame Necker, en parlant de M. Necker, est tellement exagérée qu'elle en arrive à être ridicule. Ainsi, par exemple, en parlant de M. Necker: «Il a surtout dans le regard je ne sais quoi de fin et de céleste, que les peintres n'ont jamais adopté que pour la figure des anges…» Et plus loin: «Duclos disait: Mon talent, à moi, c'est l'esprit; car il le mettait à la place de tout… M. Necker peut dire: Mon talent, à moi, c'est le génie.»