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en véritable envoyé d'un lieutenant de police, de remplir une double mission et de dire tout haut, devant les gens de M. de Pezay, que le marquis serait enfermé à la Bastille pour crime d'état s'il retournait à Paris… le malheureux, effrayé, jusqu'à la terreur, de ces nouvelles, ne réfléchit pas que, n'étant pas coupable, il n'avait rien à redouter avec Louis XVI, qui était juste et bon… Il fut saisi tout-à-coup d'un frisson qui devait être mortel… Quelques heures après, comme il était assoupi et accablé par la fièvre, un bruit de chevaux le réveille… C'est un courrier de M. Necker… Le malade se soulève… il ne souffre plus… C'est un courrier de M. Necker, de son meilleur ami!.. c'est son rappel!.. Le courrier entre dans sa chambre, lui remet une lettre qui n'est pas de l'écriture de M. Necker… Le marquis ouvre d'une main tremblante et retombe accablé sur son lit! M. Necker lui demandait avec instance de lui renvoyer ou de brûler à l'instant même tout ce qu'il avait à lui en papiers, même insignifiants!.. Deux heures après, un autre courrier entrait dans la cour du château… C'était un envoyé de M. de Sartines qui venait, par ordre du Roi, pour emporter les papiers de la correspondance de M. de Pezay avec le Roi!..

      Ces deux messages rendirent la maladie mortelle en peu d'instants. Cette chute, dont la scène définitive avait lieu dans une province éloignée du Roi, de la Cour et de M. Necker, est un coup de politique vraiment habile, et montre que M. de Maurepas avait peut-être plus que de l'esprit; il avait d'abord une extrême méchanceté qu'il mettait en œuvre quand un homme lui déplaisait assez pour le faire sortir de son caractère habituel, c'est-à-dire de son caractère apparent, qui paraissait être l'indolence… M. de Pezay une fois abattu, le ministre genevois, l'étranger, l'intrus, le ministre romanesque, ne devait pas être difficile à terrasser… M. Necker fut d'abord attaqué par M. de Sartines, qui s'expliquait en public avec assez de véhémence… M. de Vergennes, qui le blâmait le plus, était celui des ministres qui le disait le moins. Quant à M. de Maurepas, il marmottait en ricanant26: «Je doute moi-même de la bonté de mon choix… Je croyais être débarrassé des gens à projets, des ennuyeux à grands mots; et puis quand j'ai éloigné la turgomanie, voilà-t-il pas que je tombe dans la nécromanie!..

      Madame Necker, dont j'ai parlé, mais pas assez pour la bien faire connaître, était un ange de vertu au milieu de cette cour de Versailles, dont le bruit seulement au reste parvenait jusqu'à elle… Son excellent jugement devait lui donner des lumières sur le malheur qui menaçait son mari, et elle le lui montra en perspective, avec cette même fermeté qu'elle aurait apportée à traiter le sujet le plus ordinaire.

      Madame Necker27 était née à Genève, d'un ministre protestant, dans le pays de Vaud, nommé Curchod de Naaz… Il n'était pas riche comme tous les ministres de sa communion en Suisse; cependant, malgré son peu de fortune, il donna à sa fille une éducation qui pouvait lui en servir. Elle fut élevée comme si M. Naaz avait eu un fils; elle apprit le latin, le grec, et devint habile dans les plus fortes études. Lorsque son éducation fut achevée, madame de Vermenoux l'appela auprès d'elle à Paris, pour qu'elle apprît le latin à son fils. C'est dans la maison de madame de Vermenoux que M. Necker fit la connaissance de Suzanne Curchod. Il était lui-même, alors, dans une position qui, certes, n'annonçait pas celle qu'il eut depuis, et même bien avant d'être ministre. Il était dans une maison de banque alors comme commis; je crois, la maison Thélusson. Le mariage se fit tard, parce que les deux fiancés n'avaient pas assez de bien pour se mettre en ménage. Enfin madame de Vermenoux les aida un peu, et le mariage se fit… Madame Necker fut, depuis ce moment, toujours un ange secourable. Lorsque M. Necker fut nommé directeur-général du royaume, elle pleura sur cette responsabilité qu'il prenait devant Dieu pour remettre les affaires d'un peuple qui n'avait pas la même croyance que lui…

      «Nous sommes égaux devant Dieu, mon amie, lui répondit M. Necker!.. Cependant, si tu le désires, je refuserai.»

      Madame Necker demeura quelques instants calme et réfléchie… Puis, relevant sa tête:

      «Mon ami, lui dit-elle, il faut accepter!.. Vous vous devez au bonheur du genre humain, dont vous êtes une des plus belles parties. Accomplissez la mission que Dieu vous a donnée… Rendez les hommes heureux… je tâcherai de glaner après vous…»

      Une fois ce parti adopté, madame Necker remplit la charge qu'elle avait acceptée, avec toute la bonté d'âme, toute la grandeur qu'elle y pouvait mettre. Naturellement bonne, elle voyait chaque jour une foule de malheureux qu'elle soignait et soulageait dans leurs besoins, sans que sa main gauche sût ce que faisait sa main droite… Elle allait, quand elle le pouvait, dans les hôpitaux. Enfin elle fonda elle-même un hospice dans Paris, où elle établit douze malades, et en fit la fondation à perpétuité, donnant, pour cette action noble et grande, une très-grosse somme d'argent!.. Naturellement spirituelle et parfaitement instruite, madame Necker devait avoir une maison charmante… et elle l'eût été, sans une souffrance continuelle qui lui causait une douleur nerveuse dont les effets étaient bizarres; elle était contrainte à demeurer debout, même au milieu de cent personnes… Son agitation presque convulsive l'empêchait de s'asseoir!.. Elle était maigre, grande, blanche, et d'une extrême pâleur. Ce qui prouve, plus que tout ce qu'on pourrait dire, le calme de l'esprit de cette femme remarquable, c'est la gaîté soutenue de son humeur et même de son esprit, avec cette douceur toujours dans elle, toujours sa compagne. Où l'on en trouve la preuve, c'est dans le recueil de ses pensées et de ses traits. Parmi ces derniers, il s'en trouve beaucoup de très-plaisants, presque tous gais, et tous au moins intéressants. Le choix des anecdotes qu'elle cite, remarquable par cette humeur douce et tranquille qui n'a rien de la résignation, c'est-à-dire de ce qui éloigne de celle qui souffre, m'a charmée en lisant ses Souvenirs. Son mari en était fier, et il avait raison…

      Les écrits de madame Necker sont distingués surtout par leur élégance et par le tour heureux des expressions. On lui a reproché d'être trop pesante dans sa diction; sans doute, à côté de sa fille, on lui trouvera un peu de monotonie et une couleur pâle; mais il y a du piquant dans sa manière de raconter, et la chose est visible en lisant ces anecdotes narrées avec simplicité; j'en vais donner un exemple. J'ai déjà dit qu'elle avait une santé déplorable; voici l'extrait d'une lettre qu'elle écrivait à M. de Saint-Lambert, son ami le plus intime:

      «… Ma santé n'a fait aucun progrès en bien: je ne l'ai pas dit à M. de Lavalette; mais vous, monsieur, à qui ma vie est liée, je vous dois compte de votre bien, et j'ai droit de me plaindre du silence que vous gardez sur le mien. Je souffre toujours, mais il me semble, comme dit M. Dubucq, que tout sert en ménage

      Cette dernière phrase est charmante, car elle est d'une simplicité douce, d'une gaîté qui est timide parce qu'elle craint de blesser un ami inquiet. Cette pensée m'a donné de madame Necker l'opinion qu'elle ne pouvait être que très-bonne… Elle dit plus loin dans une autre lettre:

      «Le jour où l'on amena M. de Vaucanson chez madame du Deffant, la conversation fut assez stérile. Lorsque le savant fut sorti: Eh bien! dit-on à madame du Deffant, que pensez-vous de ce grand homme? Ah! dit-elle, j'en ai une grande idée; je pense qu'il s'est fait lui-même.»

      «Deux hommes assis aux deux bouts opposés d'une table prirent querelle l'un contre l'autre. Monsieur, dit le plus irrité des deux, si j'étais auprès de vous, je vous donnerais un soufflet; ainsi tenez-le pour reçu. – Monsieur, lui crie l'autre, si j'étais auprès de vous, je vous passerais mon épée au travers du corps; tenez-vous donc pour mort.»

      Je pourrais en citer beaucoup du même genre, qui prouvent que l'esprit de madame Necker était de cette nature plaisante qui montre qu'on est heureux de la joie d'autrui.

      Une grande affaire, je ne sais plus sur quel sujet, se présenta avant que M. Necker se retirât la première fois du ministère. Attaqué de toutes parts, le directeur-général voulut, pour pouvoir résister, puisque le Roi voulait le garder, être ministre et entrer au conseil; c'était le seul moyen d'avoir de la force; M. de Maurepas, qui vit le Roi au moment de céder, éleva tout de suite un obstacle, celui de la religion. M. Necker était protestant; on lui proposa d'abjurer;

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<p>26</p>

M. de Talleyrand a beaucoup de ressemblance avec M. de Maurepas: il est comme lui railleur, même dans les choses sacrées, et d'une finesse d'aperçu qui tient plus au talent qu'au génie.

<p>27</p>

Suzanne Curchod de Naaz, fille d'un ministre protestant. Elle est née à Genève, quoique son père eût sa cure dans le pays de Vaud.