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anciens favoris du roi;

      Les parlements: le parlement exilé et le parlement Meaupou;

      Les ministres vos confrères;

      Et M. de Maurepas.

      Ajoutez, à ce que je viens de mettre sous vos yeux, votre propre gloire, mon ami, qui vous commande de ne pas la commettre dans de pareils débats, et vous serez d'accord avec moi que votre démission doit être donnée au Roi dans cette même journée… Quittons Paris; retournons à Coppet; là nous aurons encore de beaux jours et de douces heures à nous consacrer mutuellement… Sans doute les cris de ce peuple qui t'aime me vont au cœur!.. Mon bien-aimé, il faut avoir un amour bien profond pour exiger un sacrifice semblable de toi! Mais je sens que je t'aime, et que je t'aime pour toi!! Je sens que tu es mon idole, mon Dieu! Tu le sais, dans tous les temps tu fus le seul objet de toutes mes affections, toi qui ne peux me reprocher d'avoir donné à de vains plaisirs des jours que le devoir et la tendresse t'avaient consacrés! Souffre que je sois auprès de toi l'interprète fidèle de la voix générale … Viens regarder ton image dans un cœur qui ne fut qu'à toi, qui ne fut jamais rempli que par toi, viens y lire le tableau, ineffaçable de tes rares vertus, et le garantir de tes propres inquiétudes!.. Que ce cœur, qui ne t'a jamais trompé, t'apprenne à te rendre justice, et ne permets pas à la calomnie de troubler des destinées que tes éminentes vertus ont rendues si belles.34»

      Madame Necker pensait, avec raison, qu'en France l'opinion publique est une puissance à nulle autre pareille. Cette puissance n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était, et nos enfants eux-mêmes ne la comprennent pas. Nous sommes des reines sans royaume, et nous ne savons plus dire même si nos fronts ont porté couronne…

      À l'époque de madame Necker, l'esprit de société, le besoin de réunion, celui des égards et de la louange réciproques, avaient alors élevé un tribunal où tous les hommes de la société étaient obligés de comparaître. Là, l'opinion publique, comme du haut d'un trône, prononçait ses arrêts et donnait ses couronnes. On marquait du signe réprobateur celle ou celui qui se montrait en faute. L'empire de l'opinion, enfin, était immense, et cet empire était gouverné par une femme. C'était la maîtresse d'un salon qui présidait aux jugements qu'on rendait chez elle; c'était avec son esprit, son bon goût, qu'on les rédigeait, et son cœur, toujours à côté de son esprit, empêchait que celui-ci ne prît une fausse route.

      En France, particulièrement, c'est le grand ascendant de l'opinion publique qui souvent oppose un obstacle à l'abus de l'autorité. Louis XIV la craignait; Louis XV et Louis XVI se faisaient rendre un compte exact des plus petites conversations de Paris pour juger par elles de l'esprit de la ville, de cet esprit qui forme un tout appelé L'OPINION PUBLIQUE!.. Napoléon!.. avec quelle minutieuse exactitude il se faisait rendre compte des moindres paroles… De notre temps, cette opinion publique est moins forte, parce que les sociétés particulières sont détruites et que la société générale est disséminée et sans lien; et cependant, malgré ce désaccord, il existe toujours une sorte de respect pour la parole du monde. On veut se soumettre à sa loi, et son mépris fait couler des larmes, comme sa louange et ses applaudissements font battre le cœur. Grâce à ce pouvoir, le vice, quelque hardi qu'il soit, se croyant bien fort de son impudence, après avoir fait une tentative et levé sa tête, à l'aide de la richesse et de l'apathie apparente du monde, le vice hideux et infâme est contraint de ramper comme toujours dans le silence et la fange du mépris.

      Il est des femmes qui disent que leur conscience leur suffit, et que l'opinion du monde leur est indifférente si elle est injuste. Je ne les crois pas… car la chose est impossible… Il est des hommes qui disent aussi que l'opinion leur est égale… Eh bien! à eux aussi je dirai que cela n'est pas vrai. Nul sous le ciel n'est invulnérable sous un regard de blâme ou de mépris, fût-il injuste même!.. Il y a dans la malveillance un poison pénétrant dont le venin est bien âcre et bien brûlant… et lorsque le cœur d'un homme en est venu à ce point de ne pas sentir la douleur de cette blessure, c'est qu'alors ce cœur est devenu de marbre, et l'homme lui-même n'est plus qu'une pâture indigne de l'insulte.

      À l'époque où M. Necker quitta le ministère pour la première fois, il y eut un mouvement tellement extraordinaire dans toutes les classes, qu'il faut y arrêter son attention pour montrer ce qu'étaient alors nos différentes sociétés. Chacun était agité dans la noblesse, dans la finance, dans le clergé; partout avait sonné la cloche d'alarme, partout le nom du Roi et de la Reine étaient prononcés avec celui de M. de Maurepas et de M. Necker, premier avertissement que le Gouvernement recevait de l'opinion publique.

      Madame Necker, toujours soigneuse de la gloire de son mari, lui conseille alors de donner sa démission, si le Roi ne le fait ministre d'état. Le Roi hésite. M. de Maurepas rassemble tout ce qu'il eut jadis de crédit et d'empire sur un prince faible pour frapper l'homme que lui-même il éleva et que maintenant il veut abattre. Il est victorieux enfin, et l'emporte; M. Necker est renvoyé. M. de Maurepas est vengé de la mystification de M. de Pezay!.. mais il ne l'est pas de ce qu'il appelle les offenses personnelles de M. Necker. Il le mande dans son cabinet, et là il lui annonce, avec la brutalité d'un homme mal appris, lui, le modèle de la politesse exquise, que le Roi lui donne sa démission, et que tous les ministres, M. de Castries excepté, donnent la leur si M. Necker demeure au ministère. M. Necker sort de chez M. de Maurepas, qui est convaincu qu'il l'a insulté, comme s'il dépendait de vouloir insulter pour atteindre quand on est haut placé! M. Necker regarde avec pitié le vieillard, impuissant dans sa haine comme dans son pouvoir d'homme d'état; il lui dit seulement que les coffres sont pleins et qu'il a accompli ses promesses. Et le lendemain, 19 mai 1781, le Roi reçut un petit billet de deux pouces et demi de large sur trois pouces et demi de haut, contenant ce qui suit, sans vedette ni titre:

      «La conversation que j'ai eue hier avec M. de Maurepas ne me permet pas de différer de remettre entre les mains du Roi ma démission. J'en ai l'âme navrée. J'ose espérer que S. M. daignera garder quelque souvenir des années de travaux heureux, mais pénibles, et surtout du zèle sans bornes avec lequel je m'étais voué à la servir.

«Necker.»

      M. Necker reçut des visites de condoléance de M. le prince de Condé et du prince de Conti à Saint-Ouen, et des ducs d'Orléans et de Chartres.

      «Gardez-vous pour des temps meilleurs,» lui dit madame Necker.

      À cette époque de la première retraite de M. Necker, sa fille avait dix-huit ans; mais elle était tellement femme du monde que l'on pouvait déjà prononcer hardiment sur elle le jugement qui la proclamait l'un des esprits les plus lumineux de son temps comme publiciste. Mais je parlerai d'elle plus tard, et en son lieu. Madame de Staël ne doit être en concurrence avec personne; elle éclipse tout là où elle se trouve, et la maison où elle paraît doit être la sienne. Sa mère rend une lumière assez vive pour être admirée seule à côté de M. Necker, soit qu'elle s'y montre son guide sur la mer orageuse des mouvements politiques, soit qu'elle le console dans sa belle retraite de Saint-Ouen.

      Le ministère qui remplaça M. Necker, M. de Fleury35 (Joly), le marquis de Castries36, le comte de Ségur37, M. Amelot38, M. de Vergennes39, cette réunion d'hommes, se comprenant mal, ne s'aimant pas, s'ennuyait et ne faisait rien. On changea encore de ministre, et M. d'Ormesson fut sacrifié à M. de Calonne. À dater du départ de M. Necker, l'anarchie se mit dans le département des finances… et dans tous les autres. Que devenait Louis XVI au milieu de ce conflit de passions personnelles et d'agitation publique?.. Il voyait, sentait le mal, et ne remédiait à rien. Enfin le tumulte en vint au point de ne savoir comment la machine irait encore. Un jour M. de Castries se rappela que M. Necker l'avait fait entrer au ministère, et à son tour le désigna au Roi pour contrôleur-général. Le Roi le voulait bien; hélas! il voulait tout!.. Mais autour de lui que de voix négatives!.. M. de Vergennes voulait tenir M. Necker éloigné du ministère, et encore une fois la Couronne se trouvait

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<p>34</p>

Tout ce qui est en italique est de madame Necker elle-même, et pris d'un portrait de M. Necker. (Voir ses Souvenirs.)

<p>35</p>

Successeur immédiat de M. Necker.

<p>36</p>

Ministre de la Marine, depuis maréchal.

<p>37</p>

Ministre de la Guerre, depuis maréchal, grand-père de l'auteur de l'ouvrage sur la campagne de Russie.

<p>38</p>

De la maison du Roi.

<p>39</p>

Des affaires étrangères.