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en impose50, sans le savoir, et qu'elle ne fait jamais naître que des sentiments dignes d'elle51.

      «Heureuses les femmes qui ont su longtemps cacher leur mérite par la simplicité et la modestie, et qui ont appris leur secret au public avant de le savoir elles-mêmes! Heureuses celles qui ont su se faire aimer avant de faire naître l'envie, et qui ont jugé de bonne heure que l'exemple donné en silence est le plus utile de tous!.. Émilie fait rarement l'éloge de la vertu; car elle entrevoit sans s'en douter que ce serait parler d'elle. Elle craint les regards, les distinctions; elle ne peut suivre la route commune et ne veut point paraître s'en écarter.

      «La grande considération dont jouit Émilie dans un âge aussi peu avancé n'est pas due à la seule vertu; car on trouve des femmes très-honnêtes et qui remplissent bien des devoirs austères, sans qu'elles aient obtenu cette fleur de réputation que possède Émilie… C'est donc à une âme à elle, dont sa physionomie est l'image, qu'elle doit l'estime et les égards dont elle est entourée. Les femmes qui veulent captiver l'opinion cherchent à s'insinuer dans tous les esprits par des propos flatteurs, par des attentions de tous les genres. Émilie, au contraire, n'a jamais montré aux indifférents d'autres sentiments que celui de la bienveillance, et néanmoins elle a réuni tous les suffrages52, comme les corps célestes qui, paraissant rester toujours dans la même place, attirent cependant tous les autres autour d'eux, sans mouvement et sans effort.

      «Cette âme tendre, qui vit au milieu du monde, et comme le monde, semble transformer en actions vertueuses toutes les actions indifférentes, et se trouver, ainsi que Mornay, au milieu des combats, non pour y prendre part, mais pour garantir la vertu, ce maître qu'elle s'est choisi, des coups qu'on veut lui porter. Ce caractère, d'une vertu simple et sans éclat, est le plus rare de tous; car, en général, les femmes ressemblent à ces soldats qui s'étourdissent par leurs propres cris quand ils marchent à la victoire.

      «L'éducation d'Émilie ressemble à la législation de certains peuples qui ne traitait que des fautes légères, pour ne pas donner l'idée des grands crimes: aussi se trouble-t-elle par la crainte de la moindre omission; aussi rougit-elle dès qu'on la regarde53, et rougit-elle de s'être aperçue encore qu'on la regardait. Émilie connaissait bien mieux que personne l'importance des petites choses dans l'exercice de ses devoirs, et rien de ce qui peut contribuer au bonheur des autres, ou augmenter leur affection, ne lui paraît à dédaigner. C'est par un enchaînement de moyens très-délicats, connus ou plutôt devinés par les âmes sensibles, et qu'il leur est plus aisé de pratiquer que d'exprimer; c'est par une constance à toute épreuve qu'Émilie s'est frayé une route vers le bonheur, à travers les circonstances les plus difficiles et les plus cruelles. Pourquoi ne nous est-il pas permis de montrer, dans toutes les situations de sa vie, ce modèle de perfection où les femmes peuvent atteindre, et dérouler toutes les circonstances de cette apparition de la vertu sur notre terre abandonnée?..

      «La religion d'Émilie est une raison éclairée. Elle ne la montre pas par accès, mais par une suite d'actions qui ont entre elles un rapport constant et dérivent toujours des mêmes principes.

      «Ô vous! ange protecteur à qui le Ciel a confié les jours et les vertus de ma chère Émilie, ange qui suivez ses pas au milieu des dangers dont elle est environnée…»

Un Valet de chambre, annonçant

      Madame la comtesse de Blot54!

LA DUCHESSE DE LAUZUN, rapidement et à voix basse à M. Necker, tandis que madame Necker va au-devant de madame de Blot

      Je vous en conjure, monsieur, je vous supplie de ne pas faire continuer la lecture devant madame de Blot.

M. NECKER

      Pourquoi cela? elle est de nos amies. C'est une femme d'esprit, parfaitement agréable, et bien faite, je vous l'assure, pour sentir tout ce que vous valez… Je voudrais, au contraire, que l'on recommençât la lecture pour elle, et si vous étiez complaisante, autant que bonne et charmante, vous nous en laisseriez prendre la licence.

LA DUCHESSE DE LAUZUN, rougissant et très-embarrassée

      Je ne puis, monsieur, vous exprimer toute ma gratitude de la bonté avec laquelle madame Necker veut bien parler de moi; mais… je n'ai pas le courage de braver la censure de madame la comtesse de Blot.

M. NECKER, avec un sourire malin

      Vous êtes prévenue contre madame de Blot, et cela est très-naturel. Je sais pourquoi!

LA DUCHESSE DE LAUZUN, vivement

      Je n'ai nommé personne!

M. NECKER souriant encore

      Oh! personne… positivement… non; mais… vous savez que le regard est souvent plus éloquent que la parole même.

LA DUCHESSE DE LAUZUN, embarrassée

      Je vous assure, monsieur, que…

M. NECKER, la regardant avec un intérêt marqué

      Vous êtes un ange qui ne pouvez rien céler, et surtout qui ne sait rien céler!.. Au reste, la personne qui est en guerre avec madame de Blot est assez hostile envers madame Necker et envers moi pour que je craigne son influence sur vous!..

LA DUCHESSE DE LAUZUN, avec intérêt

      Elle serait nulle, si elle voulait agir contre vous et madame Necker… Madame Necker!.. qui est pour moi, comme l'amie… la mère la plus tendre et la plus éclairée!..

M. NECKER, après avoir hésité un moment

      Eh bien! alors, comment pouvez-vous entendre madame la comtesse de Genlis parler sur ma femme comme elle le fait?..

LA DUCHESSE DE LAUZUN, avec dignité et une sorte d'émotion

      M. Necker, comment vous, qui jamais ne dites une parole légère, pouvez-vous m'en adresser qui me soient presque douloureuses?.. Moi! écouter, entendre dire quelque chose d'offensant sur madame Necker!.. Vous ne le croyez pas!.. Qui m'a accusée de cette faute?.. car vous ne pouvez m'en avoir soupçonné, vous!..

M. NECKER, lui prenant la main avec émotion

      Pardon! pardon!.. mais vous connaissez cette histoire que fait courir madame de Genlis sur le compte de madame Necker?

LA DUCHESSE DE LAUZUN

      Non!.. je n'ai rien appris! Qu'est-ce donc?

M. NECKER, souriant

      Puisque vous l'ignorez, je ne vous l'apprendrai pas, oublions-le; l'oubli de ce qu'ils disent devrait être la vraie punition des méchants.

Un Valet de chambre, annonçant successivement

      M. le comte de Creutz… M. Chénier… Lord Stormont… M. de Grimm… M. Damdhume… M. de Chabanon… Madame la comtesse de Brienne… Madame la comtesse de Châlons… Madame la comtesse de Tessé… M. le marquis de Castries… Madame la duchesse de Grammont… Madame la princesse de Poix… Madame la princesse de Beauvau… Madame la duchesse de Choiseul… Monsieur l'abbé Raynal, etc.

      La conversation devint générale; mais, ainsi que le voulait madame Necker, elle était toujours dirigée par la maîtresse de la maison… Elle voulait aussi qu'aucune des personnes présentes ne sentît qu'elle était sous la dépendance de la présidente du salon… Il faut que le pouvoir agisse invisiblement, disait madame Necker55… Et cela n'était pas toujours…

      Le moment, au reste, l'exigeait impérieusement. On était à cette époque où, après les notables, l'Assemblée Constituante se formait dans l'avenir, et cette association du tiers, que M. Necker espérait enfin faire adopter, causait déjà un mouvement général fort actif. Les amis de M. Necker lui étaient demeurés fidèles… mais cette fidélité subsisterait-elle toujours?.. il y avait une grande épreuve à soutenir… Le moment était critique, car le délire de la liberté américaine existait encore dans toute sa force, et cette liberté se voyait dans tout ce qui offrait un point d'opposition avec la Cour. M. Necker en était presque haï dans cet instant, et cette défaveur suffisait pour lui donner une faveur que peut-être, sans cela, il n'aurait pas eue en France, où tout ce qui fait réussir manquait à M. Necker, la grâce,

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<p>50</p>

Il est étonnant que madame Necker fasse la faute toutes les fois qu'elle se présente.

<p>51</p>

Comme ce portrait ressemble à madame Récamier!

<p>52</p>

Quel inconcevable rapport entre ce portrait et celui qui serait fait pour madame Récamier! Beauté, bonté, agréments, considération, tout ce qui est attachant, ce qui tient à l'estime, au charme, à la renommée, tout ce qui fait aimer et plaire se trouve réuni sur les deux têtes de ces femmes charmantes! Comme on aurait été heureux de les voir toutes deux près l'une de l'autre! leurs destinées sont également brillantes devant les hommes, pures et parfaites devant Dieu!.. Toutes deux belles et vertueuses, toutes deux frappées par le malheur: – mais l'une au moins est demeurée pour donner à ses amis le seul bien que Dieu leur accorde, la présence d'un ange consolateur. Une chose remarquable, c'est que madame de Staël a fait de madame Récamier le même portrait que madame Necker de madame de Lauzun.

<p>53</p>

Cette partie du portrait est surtout admirable et frappante de ressemblance.

<p>54</p>

Madame la comtesse de Blot était dame d'honneur de madame la duchesse d'Orléans.

<p>55</p>

Madame Necker prouvait ici ce qui se voit souvent; c'est que la théorie mise en pratique ne remplit pas toujours le même but. Il y avait chez madame Necker une sorte de froid dans la conversation qui ne se voyait nulle part, et sans qu'il y eût toutefois de l'ennui. Cela venait sans doute de l'état nerveux dans lequel elle était toujours. Elle ne pouvait s'asseoir et n'obtenait de repos que dans le bain.