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se prévalurent de CETTE FAUTE: il fut non pas exilé, mais relégué hors de Paris. J'ai une lettre de Louis XVI, une lettre de trois pages, écrite à M. de Vergennes, dans laquelle il parle de M. Necker d'une manière outrageante!.. Qu'est-ce qu'un roi qui peut traiter ainsi un homme qu'il a jugé digne de sa confiance pendant plusieurs années, surtout lorsque cet homme lui a donné des preuves de son habileté et de son attachement?..

      «Qu'on ne me parle plus de M. Necker, s'écria Louis XVI, ni de M. de Mareuil!»

      En janvier 1785, il disait de M. Necker: «C'est un homme de talent, sans doute, mais un brouillon fanatique qui, dirigé par sa femme, voudrait faire de mon royaume une république criarde comme est leur ville de Genève…»

      Pendant ce temps M. Necker voyait M. de Castries en secret, et tout se préparait pour sa rentrée au ministère. C'est ce moment que j'ai choisi pour peindre madame Necker dans son salon… Elle avait, à cette époque, bien des sentiments qui l'agitaient, et que pouvait-elle faire? Rien comme femme du ministre; tout, comme femme privée, comme souveraine d'un royaume où l'opinion était elle-même une souveraine.

      Des années s'écoulèrent ainsi; par l'histoire de la Révolution, qu'il faut suivre en même temps pour me bien comprendre, on peut voir ce que faisaient à cette époque les sociétés en France, et combien les salons étaient puissants… comment ils pouvaient et comment ils faisaient. M. Necker et M. de Calonne, M. Necker et M. Turgot, en arrivèrent à être eux-mêmes les causes portées devant ce terrible tribunal du monde; il les jugea, comme toujours, sans y entendre grand'chose, parce qu'à l'ordinaire les parties sont absentes. Il y eut des pamphlets écrits, des brochures signées et avouées des auteurs; les choses en étaient arrivées à un point alarmant pour la majesté royale. Louis XVI, qui la voyait en silence s'écrouler tous les jours sans songer à la soutenir d'un bras de souverain, Louis XVI songea cependant à sévir contre les ministres qui, soit en place, soit dans la retraite, troublaient l'ordre public et dérangeaient la société jusque dans ses bases.

      Le 7 avril 1787, un dimanche, le Roi écrivit à M. de Calonne, alors contrôleur-général, pour lui demander sa démission… Il avait fait cette terrible profession de foi à l'Assemblée des Notables!.. et pourtant il n'avait eu peur de rien… M. de Montmorin lui porta la lettre du Roi. La dénonciation de M. de Lafayette donna le coup de grâce à M. de Calonne, qui, au fait, pour être ministre des Finances, dans une aussi terrible crise, n'avait aucune des qualités requises… Il était agréable, mais toujours Robin, et son portrait, fait par madame de Staël, est fort éblouissant: ses amis le comparaient à Alcibiade; mais, s'il lui a jamais ressemblé, c'était probablement pour avoir fait couper la queue à son chien. Le Roi lui envoyait sa démission dans sa lettre le plus gracieusement qu'il pouvait. Le vendredi suivant, le lieutenant de police, M. de Crosne, successeur de M. de Sartines et de M. Lenoir, alla porter lui-même à M. Necker l'ordre qui l'exilait à vingt lieues de Paris, lui laissant le choix du lieu de sa retraite. M. Necker, qui s'attendait à rentrer au contrôle-général, partit à l'heure même avec sa femme; mais il fut contraint de s'arrêter à Marolles, à peu près à dix lieues de Paris, et de là il écrivit que madame Necker étant trop malade pour aller plus loin, il demandait de demeurer près d'elle; ce que le Roi accorda. Il quitta Marolles quelques jours après, et se rendit à Château-Renard, près de Montargis. Mais en partant il avait quitté le lieu du combat en Parthe… en lançant une flèche qui avait porté au milieu du cœur, et la blessure était de telle sorte que la main seule qui l'avait faite la pouvait guérir. Le mal grandissait, la plaie s'envenimait… mais ce fut bien pis lorsque M. de Brienne s'en mêla: le sang français coula par flots; la Seine reçut des cadavres. Enfin la Cour vit le danger; elle fit donner un chapeau rouge à M. de Loménie, et rappela M. Necker. Madame Necker était alors plus malade que jamais, et ne pouvait demeurer dans un même lieu sans que des douleurs très-violentes la fissent aussitôt changer de place. Partout déjà sonnait le tocsin de la révolte; et pour accepter la place de contrôleur-général, il fallait le courage de madame Necker.

      SALON DE MADAME NECKER.

      1787

      Dans une pièce vaste et bien éclairée, dont les fenêtres donnaient sur un jardin, étaient plusieurs personnes autour d'une femme encore assez jeune, grande, élancée, et d'une pâleur qui révélait un état de souffrance habituel. Un mouvement nerveux paraissait agiter tous ses traits, et particulièrement sa bouche, lorsqu'elle gardait le silence. Elle était belle pourtant, si l'on pouvait l'être avec cette pâleur de mort qui couvrait son visage, et dont le regard éternel de ses yeux confirmait la triste vérité. Cette femme, en ce moment, racontait une anecdote à trois ou quatre personnes, qui paraissaient l'écouter avec une grande attention, et cela n'était pas extraordinaire, car cette femme était madame Necker. Le salon où elle se trouvait était celui du contrôle-général. M. Necker avait été nommé au moment où l'ardeur animait chacun pour ramener le calme, ne fût-ce même que pour l'apparence. À peine le retour de M. et madame Necker avait-il été connu, que leurs nombreux amis étaient accourus pour les revoir et leur dire toute la joie qu'on éprouvait de ce retour dans Paris et dans toute la France. Madame Necker souriait doucement en regardant M. Necker, qui, de son côté, renvoyant une partie de ce bonheur à sa femme et à sa fille, voyait doubler pour lui les jouissances de l'amour-propre par celles du cœur.

      Madame Necker avait naturellement un son de voix très-grave, mais aussi parfaitement doux; avantage de femme que n'avait pas madame de Staël, dont la voix était belle, et même pleinement sonore, mais nullement harmonieuse. Quant à madame Necker, son état de maladie rendait son timbre encore plus doux.

      – Madame, vous alliez nous dire une histoire de M. de Malesherbes au moment où M. de La Harpe est entré, lui dit le baron de Nédonchel40; voulez-vous ne pas nous priver de cette bonne chose? Qu'est-ce que M. de Malesherbes pouvait avoir de si curieux à montrer à madame de Pons, lui qui ne trouve rien d'extraordinaire, lui montrerait-on la tour de porcelaine de Pékin?

      Madame Necker sourit.

      – En effet, il s'étonne difficilement, lui qui aime tant à étonner les autres; mais ici la chose n'est pas ce que vous pourriez croire; voici le fait: M. de Malesherbes dit à madame de Pons: J'ai dans mon jardin un cèdre du Liban! – Ah! mon Dieu, dit-elle, que cela doit être beau, un cèdre du Liban!.. allons le voir. Elle cherchait dans les nues, tandis que M. de Malesherbes, qui a la vue basse, comme vous savez, et qui est même myope, cherchait à ses pieds. Enfin il tombe par terre, et touchant ce qu'il cherchait de l'œil et de la main: Le voilà, le voilà! – Quoi donc? – Eh! le cèdre – Et où cela? —

      C'était un arbrisseau à deux lignes de terre!

      Vous jugez des rires de madame de Pons.

      – Y a-t-il longtemps qu'il n'a fait quelque belle surprise, opéré quelque magique étonnement? demanda quelqu'un à M. Suard.

      – Je ne sais; mais il est à remarquer que cette manie qui lui donne un amusement, au reste bien innocent, ne nuisant à personne, n'a encore amené que des résultats heureux, et n'a produit aucun résultat fâcheux, pour lui au moins: pour les autres, je n'en dirai pas autant, et malheur à l'honnête homme si le coquin a offensé M. de Malesherbes!..

      Dernièrement il était à Melun et voulait aller à Vaux. Ses chevaux étant fatigués, il les laisse à l'auberge et part à pied pour Vaux. Il faisait à son départ un temps superbe; mais à peine à moitié chemin, le ciel se couvre, et la pluie tombe fortement. M. de Malesherbes fut contrarié; mais il se résigna, et se mit sous un arbre pour s'abriter, car il n'avait pas même de parapluie. Enfin l'orage, car c'était plus qu'un grain, continuant toujours, il se détermina à gagner le château en recevant toute la pluie. À peine fut-il sur le chemin, qu'un paysan déboucha d'un des grands sentiers qui bordent la route, dans une petite carriole couverte d'une toile verte, et fort bonne en apparence, surtout pour un homme qui recevait pleinement l'orage sur une assez mauvaise redingote de bouracan fort légère. – Voulez-vous me donner une place à côté de vous, mon ami? demanda M. de Malesherbes au paysan; je vous donnerai pour boire.

      Le paysan regarda M. de Malesherbes, et loin de se déranger pour lui

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<p>40</p>

Je dirai, une fois pour toutes, que les histoires que je rapporte sont toutes véritables, ainsi que les noms des personnes que je cite.