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justement, comme seul susceptible de sauver la France, c'était dans cette circonstance qu'il le fallait établir; il fallait des deux parlements n'en faire qu'un: car il était évident qu'une dispute entre ces deux corps, voulant ressaisir et conserver le pouvoir, devait amener une catastrophe. Qu'on approfondisse les causes des combats que se livrèrent ces deux partis: c'était la liberté naissante se heurtant contre le despotisme; la religion contre la philosophie; l'autorité absolue contre l'autorité tempérée; mais il n'est pas donné à tous les esprits de comprendre et de connaître le prix des amalgames politiques. Une telle mesure effraie, et souvent elle aurait tout sauvé.

      Si l'exemple était jamais de quelque utilité, on pourrait, en regardant autour de soi, juger de la vérité de la bonté du système de fusion, surtout après de longs malheurs dans une nation… lorsqu'elle a été frappée tour à tour et du glaive et du feu par tous les partis: alors elle en arrive d'elle-même à cette fusion nécessaire.

      Voyez la Suisse: le résultat de sa guerre de liberté fut de lui donner tous les gouvernements; sa paix intérieure fut la conséquence de cette fusion.

      Voyez l'Amérique: après sa lutte avec la mère patrie pour jouir du repos, elle créa un gouvernement mixte, qui tient de l'aristocratie, de la démocratie, et tout à la fois de la royauté et de la république.

      Voyez l'Angleterre:… que de querelles ont précédé son système de grande fusion!.. Tour à tour gouvernée par des tyrans, de grands chefs, saccagée, pillée, épuisée par tous ces partis, le corps de la nation réunit ses enfants, et tout fut d'accord: c'est à cette transaction peut-être que l'Angleterre doit sa gloire.

      Voyez la France elle-même; voyez Henri IV:… après avoir hésité… il appela dans son conseil des ligueurs et des royalistes, des huguenots et des catholiques; il donna l'édit de Nantes… Que fit Louis XIV en le révoquant?.. Mais à l'époque dont je parle ici, c'est-à-dire dans la première période du règne de Louis XVI, la fusion n'était peut-être possible que pour un homme plus fort que lui. Il fallait donc subir toutes les funestes conséquences du choc journalier de deux partis dont les combattants se trouvaient souvent dans l'intimité l'un de l'autre, quelquefois de la même famille!.. Cette querelle entre les deux partis jette un grand jour sur l'opposition qu'on voyait exister entre la Reine et ses tantes, ainsi que plusieurs autres personnes de la famille royale, et explique, quant à elle, l'inimitié qu'elle portait aux Maurepas et aux Vergennes… qui déjà lui étaient odieux comme ayant cherché à s'opposer à son mariage.

      Quant aux conséquences funestes pour la Reine, les voici.

      M. de Maupeou, qui était à la tête du parti contraire aux parlements exilés, comprit tout ce qu'il avait à craindre d'une association entre le frère du Roi et les premiers princes du sang: il fit aussitôt jouer une contre-mine. Ses moyens furent infâmes, mais efficaces: il fit circuler dans le monde que les rapports de la Reine avec le duc de Chartres n'étaient pas innocents… et cette infernale calomnie s'étendit jusqu'au comte d'Artois… Ce moyen tenté pour la détacher des deux princes ne servit qu'à la priver de la considération de la France!..

      C'était donc avec la haine au cœur et le ressentiment des injures, que ces deux partis vivaient l'un près de l'autre et se voyaient chaque jour. Qu'on juge de l'effet de cette guerre sourde et intestine dans un pays où la société n'avait d'autre lieu de réunion que les salons de cinquante ou soixante maisons qui alors recevaient. Toutefois, on ne s'apercevait jamais d'aucune mésintelligence; le bon goût, les excellentes manières, dominaient encore, et pour longtemps du moins il y avait sécurité pour l'apparence. Par degrés tout s'est effacé; on s'est accoutumé à se dire en face des choses pénibles, et les disputes ont remplacé l'urbanité et la douceur des relations, et surtout cette douce paix, condition la plus positive pour que la vie habituelle puisse être heureuse et légère à porter!

      Madame la marquise de Coigny, jeune et charmante femme un peu maligne, riche, ayant tout ce qui plaît et place convenablement dans notre société française, un beau nom, de la fortune et cette beauté sinon régulière, au moins de celle qui plaît, et chez nous cela suffit pour mettre à la mode (c'était le genre de célébrité alors de plusieurs femmes); madame de Sillery9, madame de Simiane, madame de Condorcet, une foule de personnes jeunes, jolies, spirituelles, virent alors le moment de faire revivre ce temps de la Fronde où Anne de Gonzague, madame de Longueville et mesdames de Chevreuse dirigeaient d'un coup d'œil et d'un signe de main les opérations les plus importantes. Madame de Polignac, à la tête de la faction dont la Reine était la protectrice, et soutenue de sa faveur, avait de son côté son salon, qui était le rendez-vous des personnes dévouées à la cause de la Cour et spécialement à la Reine. Ce salon, dans lequel on soupait tous les soirs et que la Reine présidait elle-même, était le rival de celui de madame de Coigny, qui chaque jour était plus à la mode et plus aimée de tout ce que la Cour avait de plus jeune et de plus spirituel, comme M. de Narbonne, MM. de Lameth, l'abbé de Montesquiou, l'abbé de Périgord, et une foule d'hommes et de femmes dont l'esprit et la grâce toute française faisaient de son salon un lieu charmant de causerie, car on tenait encore à l'urbanité des manières et à la grâce du langage10.

      J'ai donc commencé ma galerie de la Cour par celui de madame Necker, celui de madame Rolland, et par les deux oppositions si tranchées de madame de Coigny et de madame la duchesse de Polignac. J'ajoute celui de M. de Juigné, parce que l'opposition religieuse fut d'un grand secours à ceux qui mirent le trouble en France, avant que les affaires ne fussent en état de recevoir le changement nécessaire qu'elles devaient éprouver.

      Les querelles de M. Necker avec M. Turgot et M. de Calonne furent encore un motif de disputes et de conversations animées. Le parti de M. Necker, défendu par M. de Maurepas, avait surtout dans l'origine un homme plus intelligent peut-être qu'habile, mais habile dans son intrigue et parfaitement secondé par les conseils de sa sœur, ce qui, à une époque où les femmes avaient un crédit et un empire qui leur donnaient encore une sorte de puissance apparente, si elle n'existait pas au fond, était d'une assez grande importance. Madame de Cassini, jadis maîtresse de M. de Maillebois, directeur de la Guerre, et militaire assez distingué, madame de Cassini, dont Louis XV avait rejeté le nom comme intrigante lorsqu'elle avait demandé à être présentée à la Cour, était sœur du marquis de Pezay, dont le nom est presque inconnu à beaucoup de gens aujourd'hui, et qui pourtant fut d'une haute importance dans nos affaires politiques, puisqu'il est positif que ce fut lui qui nous donna M. Necker. Ceci doit être rapporté maintenant pour donner une idée des premières années du règne de Louis XVI, dont je ne parlerai avec détail qu'à la seconde époque de mes Salons.

      Louis XVI était le plus honnête homme de sa cour; depuis sa première jeunesse il aimait à s'isoler ou bien à demeurer seul avec la Reine… Il n'aimait pas le monde, il s'en éloignait même, et lorsqu'il devint roi, il aurait cependant voulu parler à chaque personne qu'il rencontrait, mais sans en être connu, pour savoir d'elle l'opinion de chacun sur son règne et prendre son avis. Lorsque Louis XVI monta sur le trône, on afficha sur la statue de Henri IV: Resurrexit! «Quelle belle parole!» dit-il, les yeux pleins de larmes…

      Ce désir de s'instruire dans un roi ne peut être que bon, mais cependant il doit avoir des limites. Les avis ne sont pas toujours donnés par une bouche amie, et souvent la haine est le premier motif de l'empressement de ceux qui avertissent, afin de mettre le trouble dans l'âme au lieu de donner la paix.

      C'était dans le but de s'instruire et de tout connaître que Louis XVI lisait les journaux étrangers. Il savait parfaitement l'anglais, qu'il avait appris pour lire les journaux écrits dans cette langue, s'étant aperçu qu'on lui faisait une traduction infidèle pour lui dérober une partie des injures qu'écrivaient alors les journalistes anglais sous la direction de M. Pitt; car à cette époque le fameux traité de commerce11 de M. de Vergennes n'était pas encore fait, et M. Pitt ne croyait pas encore autant à notre tendre et constante amitié. Louis XVI voulait régner par lui-même… Ses intentions étaient admirables enfin!.. Que n'avaient-elles plus de force!

      Un ami de Dorat, nommé Masson, jeune

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<p>9</p>

Madame de Genlis.

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Ce n'est pas par la douceur de sa voix et de son timbre que madame de Coigny donnait l'exemple chez elle, car elle avait un son de voix rauque le plus désagréable du monde.

<p>11</p>

M. Fox attaqua vivement M. Pitt dans le Parlement pour ce traité: chose étrange! parce que c'était nous qui étions froissés et perdus par ses clauses… Un jour M. Fox dit en plein parlement: «Il est étrange que M. Pitt croie aussi facilement à l'amitié de gens qui ont aidé l'Amérique à se soulever et à nous échapper. En vérité, ajouta-t-il, c'est comme ceux qui prennent pour positif: «Monsieur, j'ai bien l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur.» En même temps, il se tournait, avec un air ironique, du côté de M. Pitt. – «Et dont on l'est si peu, qu'on se bat avec lui le lendemain,» répondit froidement M. Pitt.