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Le monsieur au parapluie. Jules Moinaux
Читать онлайн.Название Le monsieur au parapluie
Год выпуска 0
isbn 4064066087258
Автор произведения Jules Moinaux
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Et un caporal?
—Non, et quarante-trois femmes; elles ne peuvent pas rester chez elles. Vous croyez, peut-être, que madame Benoîton est une exception; non, monsieur, c'est la généralité.
Ses nerfs un peu soulagés par cette violente satire sur le besoin de confortable chez d'autres que chez lui, Marocain regarda à sa montre, s'aperçut qu'elle était arrêtée et se mit à entreprendre les horlogers.
—Et l'horloger qui me l'a vendue, dit-il, dans un rire ironique, m'a affirmé qu'elle ne bougerait pas.
—Eh bien, elle ne bouge pas, observa Bengali.
—Ah! grinça l'homme à la montre, si, dans ma position déplorable, le rire m'était possible, je me tordrais.
—Je vous le conseille, c'est ce qu'on fait toujours au linge mouillé.
—Et il ne passera pas un marchand de parapluies! s'écria Marocain; sur ce, il se mit à entreprendre les marchands de parapluies ambulants que l'averse fait sortir comme des escargots; mais il n'y a pas de danger qu'il en passe; naturellement! il serait disposé à lui en acheter un... ça n'arrive qu'à lui, ces choses-là.
L'idée de Bengali, de se procurer un parapluie, fut réveillée en lui par les imprécations de Marocain:—Oh! se dit-il, tout à coup, le concierge n'est pas là, il doit y avoir un parapluie dans sa loge.
Et il entra dans la loge.
Un fiacre vide passa, notre grincheux héla le cocher.—Six francs! cria celui-ci.
Il tombait bien; il reçut la réponse qui illustra le héros de Waterloo, et le nouveau Cambronne allait reporter ses nerfs sur les cochers, quand l'arrivée, par l'escalier, d'un locataire de la maison, changea subitement son humeur; l'arrivant, qu'il connaissait personnellement, avait un parapluie! C'était un petit homme d'une cinquantaine d'années, à la moustache jadis rousse, ayant pris un air de blond sale, par le mélange de poils blancs. Chose bizarre! il portait, sur sa poitrine, une croix de la Légion d'honneur, grand modèle, bien qu'il fût couvert d'un costume étranger à l'armée. Il se nommait Jujube, mais comme il était peintre de portrait—et comme ce nom était ridicule pour un artiste, il l'avait espagnolisé et se faisait appeler Jujubès, à la grande satisfaction de sa femme et de sa fille, jeune personne de vingt ans pour qui il rêvait un mariage, sinon opulent, au moins flatteur pour sa vanité et, pour celle de madame Jujube.
La vanité de cette famille dont l'ostentation avait à lutter contre une misère relative, et qui voulait représenter quand même, dût-on mettre les couverts au Mont-de-Piété pour donner une soirée (ce qui, d'ailleurs, était déjà arrivé); cette vanité se manifestait depuis l'énumération de ses relations avec des gens riches ou titrés, dont on disait, aux amis pauvres: «Nous n'avons que des connaissances comme cela», jusqu'à l'étalage, par la fille, de fausses fleurs portées par telle dame riche qui, n'en voulant plus pour elle-même, les lui avait données, et mademoiselle Jujube de dire aux admiratrices de ces fleurs: «Elles viennent de telle maison», la maison renommée, bien entendu.
Habile portraitiste, saisissant admirablement la ressemblance tout en sachant corriger un nez difforme, diminuer une bouche trop grande, agrandir des yeux trop petits, dissimuler les salières des dames, exagérer les avantages des hommes, sachant enfin flatter ses modèles, Jujube s'était fait une réputation de grand artiste, dans la haute bourgeoisie qu'il recevait et chez qui il était reçu. En réalité, il était incapable de concevoir et d'exécuter une composition; un jour, cependant, l'idée lui vint de faire un tableau. Il choisit Jeanne d'Arc comme sujet, mais les modèles coûtent cher: quarante séances à 10 francs chacune, cela fait 400 francs. Heureusement il trouva, dans sa maison, une belle fille qui consentit à poser si l'artiste voulait la—tirer en portrait.—Le modèle était une nourrice, il est vrai, il n'en fit pas moins une pucelle d'Orléans; c'est même ce qu'il y avait de plus original dans son tableau. Le jour où il fut terminé, notre artiste changea ses cartes de visite et fit mettre, sur les nouvelles: Jujubès, peintre d'histoire. Il exposa, dans son salon, sa toile, magnifiquement encadrée, donna une grande soirée à laquelle il invita tous ses amis et connaissances; on qualifia la Jeanne d'Arc de chef d'œuvre, un ami de notre peintre, en relations avec la presse, obtint l'insertion, dans un journal très lu, du compte rendu de la soirée de l'éminent peintre Jujubès, y compris le succès du tableau, et, à l'aide de cette réclame, l'auteur de la Jeanne d'Arc nourrice obtint, à ses soirées, le concours de chanteurs et d'instrumentistes à leurs débuts, désireux de se faire connaître. Malheureusement, outre ces artistes aussi prônés par la famille Jujube qu'inconnus du public, on entendait aussi mademoiselle Jujube que, dans l'intimité, son père traitait de grue, de dinde, de buse, et giflait même, pour en faire une pianiste, et on entendait aussi des romances composées, paroles et musique, par le maître de la maison, qui voulait cumuler tous les talents, y compris l'art du chant; de sorte qu'il faisait entendre ses productions, de sa petite voix aussi grêle que convaincue. C'était là le vilain côté des soirées de la famille Jujube.
Un jour, un monsieur influent dont il avait fait le portrait fut tellement satisfait de la ressemblance, qu'il obtint la décoration pour son peintre. Jujube faillit en devenir fou et, à partir de ce jour, il cessa à peu près complètement de travailler. Il partait le matin, rentrait pour déjeuner, repartait sitôt la dernière bouchée avalée, rentrait dîner, allait ensuite passer sa soirée dans un théâtre et, le lendemain, recommençait sa promenade; tout cela pour montrer son ruban rouge.
Cependant, sa satisfaction n'était pas complète. Il était convaincu que dans les rues, au théâtre ou dans les omnibus tout le monde le regardait, mais il avait beau passer devant des factionnaires et tourner vers eux sa boutonnière enrubannée, ils ne se mettaient jamais au port d'arme. Il apprit enfin que, depuis les honneurs militaires rendus à des garçons coiffeurs ou des calicots décorés d'un œillet rouge arrangé de façon à simuler l'insigne de la Légion d'honneur, l'autorité militaire avait interdit le salut au simple ruban. Voilà comment Jujube s'était attaché, sur la poitrine, une grande croix d'honneur et allait la promener, quelque temps qu'il fit, à preuve, le jour où nous sommes, par une pluie battante.
—Eh! c'est notre grand artiste Jujubès! s'écria Marocain, en allant à lui; car notre vaniteux personnage, à qui l'encens ne donnait pas la migraine, se laissait donner du grand artiste, comme s'il eût fait la Transfiguration ou le Naufrage de la Méduse. Et comment allez-vous, cher maître?
—Très bien, merci... et mon élève?
—Votre....
—Oui, à qui j'ai appris à peindre des éventails.
—Ah! la filleule de ma femme?
—Mademoiselle Georgette, oui; elle a donc beaucoup de travaux?
—Oh! autant qu'elle en peut faire.
—C'est pour cela sans doute que nous la voyons si rarement; ma fille l'adore et se plaint de ne pas la voir.
—Je le lui dirai, cher maître, et elle va bien, votre demoiselle?... et madame votre épouse? donnez-moi donc de leurs nouvelles.
—Elles vont très bien, merci. Montez donc, vous allez les trouver; ma fille étudie son piano.
—Si j'avais le temps, ça serait avec grand plaisir.
—Eh bien, je vous enverrai une invitation pour ma prochaine soirée; vous y entendrez des célébrités qu'on ne voit que chez moi.
Car c'était une affaire entendue: on n'avait nulle part que dans la famille Jujube les artistes, poètes et savants dont elle régalait ses invités: un amateur chantait-il une chansonnette comique, il ne fallait pas le comparer à Berthelier ou à Paulus qui étaient des grotesques; l'amateur, lui, disait les mêmes choses, mais avec une distinction, un bon goût ignoré