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      Au même instant, il vit une masse débouler à ses pieds, trébucher et se retenir au mur. Un bicorne roula sur les marches de l'escalier.

      Le chef reconnut le gardien des Diamants de la Couronne.

      —Parlez, qu'y a-t-il, mais parlez donc, animal!

      Le pauvre garçon ne parvenait qu'à proférer un son rauque qui sortait de sa gorge, continûment:

      —O... ô... ô... oh!

      Et son doigt tendu montrait la galerie d'Apollon...

      Interloqué, le gardien-chef vint à ce malheureux qui tremblait et le secoua rudement par les épaules.

      —Mais parlez donc, s'écria-t-il, qu'est-ce qu'il y a?... qu'avez-vous vu?

      L'autre regardait le supérieur de ses grands yeux hagards..., ses lèvres remuaient, mais il n'en sortait que des sons inintelligibles!...

      A la fin, cependant, des mots se précisèrent:

      —Il y a... il y a... balbutia-t-il.

      —Quoi donc?... bon Dieu!

      —Il y a... chef... qu'on a volé...

      —On a volé!... Qu'est-ce qu'on a volé?

      —Le... le... «Régent», chef..., oui... le... Régent!...

      Et le gardien s'effondra sous le poids de cet aveu.

      La face déjà congestionnée du chef devint pourpre..., la surprise, l'émotion, la colère le suffoquaient.

      Il se mit à crier à tue-tête:

      —Vous êtes fou!... volé!... volé!... le Régent!... vous êtes fou!... fou, vous dis-je.

      Mais tout en se rassurant de la sorte, il n'en prenait pas moins le subalterne par le bras, le poussait devant lui, et, son falot dans la main droite, se ruait vers la galerie d'Apollon.

      Alors, le malheureux gardien montra la vitrine où sont exposés les Diamants de la Couronne:

      —Là!... là!..., fit-il.

      Il n'en dit pas davantage, mais le spectacle qui se présentait en ce moment aux yeux du supérieur en disait plus long que tous les commentaires.

      Il rugit, serra les poings:

      —Ah! vingt Dieux de vingt Dieux!... les misérables!...

      Un rectangle, juste assez grand pour livrer passage à une main, était nettement découpé dans la glace de la vitrine. Le morceau enlevé était posé tout à côté; un petit amas de mastic où se voyaient encore des empreintes de doigts, occupait le milieu de ce carré de verre. Et, à la hauteur de l'ouverture béante, le fin support d'argent sur lequel le célèbre joyau se présentait naguère, libre de tout contact, en pleine lumière, ce support se courbait à sa place habituelle comme un point d'interrogation, tendant ironiquement sa griffe vide!

      C'était fou, en effet, invraisemblable, inadmissible!...

      Et pourtant, le fait était là...

      On avait volé le Régent, en plein musée du Louvre, à la barbe de son gardien!

       Table des matières

      QUELQUES TRAITS DE LUMIÈRE SUR LE MYSTÈRE

      Oui, on avait volé le Régent!

      Et j'en puis ici fournir la certitude avec quelques preuves à l'appui, puisque le voleur... c'était Moi!

      Bien qu'assez réservé de ma nature, j'estime que le moment est peut-être venu de me présenter.

      Je me nomme George-Edgar Pipe, sujet anglais, cambrioleur professionnel, et jouissant, en la matière, de quelque autorité. Certes, mon nom n'a point d'éclat; il n'a figuré sur aucune manchette de journal, bien que mes «exploits» aient, durant cinq années, défrayé les chroniques des Deux-Mondes.

      La raison de cette obscurité?... elle est bien simple; jamais je ne me suis laissé prendre.

      Le cas me paraît assez exceptionnel pour que j'en fasse ici mention; il explique, au surplus, comment, si mes actions sont devenues célèbres, mon nom est demeuré parfaitement ignoré.

      Je ne taxerai pas à ce propos le Destin d'injustice, à l'exemple de certains auteurs de mémoires. Cette obscurité me plaît... Je suis modeste.

      Toutefois, l'heure est venue de sortir de ma tour d'ivoire, d'abord parce que, retiré des affaires, j'ai désormais quelques loisirs et, ensuite, parce que la prescription m'est acquise et que ma liberté n'aura pas à souffrir des aveux que je pourrai faire.

      Donc, on s'est beaucoup occupé de moi sans me nommer jamais. Néanmoins, mes «exploits» offrent tous un trait caractéristique auquel il est aise de les reconnaître.

      Ce trait est justement leur anonymat.

      Tous les grands vols, cambriolages et autres coups d'audace dont l'auteur est demeuré inconnu, tous ceux-là sont de moi.

      Je peux bien le dire aujourd'hui, puisque la justice ne me fera plus l'honneur de s'occuper de mon humble personne.

      Je me ferai cependant un devoir d'exposer par le détail mes façons de procéder.

      Cette relation sera, je l'espère, de grand enseignement, car ne s'improvise pas cambrioleur qui en a fantaisie.

      C'est mieux qu'un métier, c'est un sacerdoce. Ses fidèles sont de grands méconnus. Le cambrioleur n'est-il point, comme l'a si bien dit Stevenson, le seul aventurier qui nous reste ici-bas?... Songez donc à la lutte incessante qu'il livre, un contre tous, seul contre la société civilisée tout entière. Et le courage donc? Avouez qu'il en faut une jolie dose pour s'introduire la nuit dans une maison, crocheter une serrure, forcer une porte sans savoir ce que l'on trouvera derrière... Ah! on paye souvent bien cher, vous pouvez me croire, les quelques bénéfices que l'on retire de telles expéditions.

      La suite de ce récit me donnera raison ou tort, mais j'ai conscience d'accomplir une œuvre de justice en réhabilitant un art que trop de maladroits ont compromis et que l'aveuglement des masses a taxé stupidement d'infamie.

      Mais, m'objectera-t-on, pourquoi vous, un sujet anglais, êtes-vous venu vous faire la main en France?

      L'explication est des plus simples.

      J'avais, depuis longtemps, formé le projet d'enlever, non point de ces objets de pacotille que tous les bourgeois ont chez eux, mais une pièce rare, unique, qui eût un nom, une histoire et représentât une fortune. Les pierreries célèbres, celles qu'ont portées les rois, me semblaient répondre à mon dessein.

      Pour quelle raison, alors, suis-je venu en France?

      Sans doute, nous avons des diamants, de célèbres diamants comme ceux de la couronne d'Angleterre, par exemple; mais, je le déclarerai tout net: ils sont mieux gardés que chez vous. La France apparaît aux étrangers comme un vrai pays de cocagne, et cela est particulièrement vrai pour les gentlemen qui s'adonnent au cambriolage.

      Ici, point de ces promiscuités fâcheuses avec des surveillants d'éducation précaire... on n'est jamais obligé de se colleter avec des malappris... Tout vous est largement ouvert... On est chez soi... Il n'y a qu'à se baisser pour prendre, si le cœur vous en dit.

      La France est, avant tout, le pays du savoir-vivre.

      Autre motif: si l'on est pris—car il faut tout prévoir—si l'on est pris, cela devient sérieux en Angleterre et désobligeant au possible: dix ans de hard labour pour la moindre des peccadilles, autant dire la mort civile et naturelle par surcroît.

      Inversement,

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