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les deux gardiens tombèrent d'accord sur ce point qu'il était abusif, à l'heure où tous les vivants s'amusent, de condamner deux fonctionnaires à garder trois ou quatre personnages, défunts depuis des siècles.

      —Que l'on veille sur les diamants, dit Bartissol, je comprends; sur les tableaux, passe encore, mais supposer que quelqu'un aura jamais l'idée d'enlever une vieille dame comme cette reine-là...

      —Des fois..., répliqua Logarec.

      —Et que veux-tu qu'on en fasse?

      —Toi ou moi, rien, pardi! mais un savant, un collectionneur! ces gens-là n'ont pas des idées comme tout le monde... Avoue que c'est drôle tout de même, ces antiquités... Je trouve que ça vous a quelque chose d'impressionnant...

      Et, tout en parlant, Logarec, rêveur, contemplait la glace qui recouvrait le sarcophage dans lequel était enfermée la pauvre reine Tia.

      La tête et le haut du buste de la momie étaient dégagés des bandelettes, ainsi que ses mains, ramenées sous le menton. Ce masque de mort sévère, de couleur sombre, aux traits profondément accentués, paraissait de bronze. On l'eût pu prendre pour une figure sculptée en haut-relief, n'eût été une sorte d'humidité persistante entre les deux bords des paupières.

      Le gros œil de cyclope de la lanterne sourde posée sur la glace éclairait le visage en dessous et rebroussait de bas en haut toutes les ombres.

      Attiré, malgré lui, Bartissol regardait aussi.

      —Non, vois-tu, fit Logarec, tu diras ce que tu voudras, mais ces morts-là ne sont pas comme les autres... Te figures-tu bien ce que nous serons, toi et moi, cinq ans seulement après qu'on nous aura enterrés?...

      —En voilà des idées... non, mais t'es pas un peu «marteau», mon pauvre Logarec?

      Bartissol avait la voix puissante et, dans le grand vide des hautes salles, les échos de cette voix répercutée par les caissons résonnaient étrangement.

      Il s'en aperçut, sans doute, car il continua, baissant le ton:

      —Satané «nigousse»! va! Il finirait par vous donner la tremblote.

      Puis haussant les épaules:

      —Ces Bretons! tous superstitieux comme des vieilles femmes.

      Et, pour se donner une contenance, le Méridional, plus impressionné qu'il ne voulait le paraître, repoussa de dépit la lanterne qui glissa sur la glace du sarcophage.

      Les ombres se déplacèrent violemment, bouleversant les traits de la momie et, subitement, le visage de la reine Tia changea d'expression.

      Bartissol tourna le dos.

      Quant à Logarec, il coulait un regard furtif vers ce masque mystérieux qui l'attirait étrangement.

      Tout à coup, il tressaillit.

      —Qu'as-tu donc? demanda Bartissol en faisant lui-même un mouvement involontaire.

      —Moi... rien... répondit Logarec.

      Le Méridional fit claquer ses doigts.

      —C'est toutes tes histoires aussi... Secouons-nous. Bon Dieu... Tiens, entends-tu comme on chante dans la rue... A Pézenas, on est gai comme cela... pas de fête sans chansons. Crier à pleine gorge, voilà qui vous chasse les idées noires... mais on n'en a pas chez nous. Aussi, on chante toujours... Je me rappelle, l'année où j'ai tiré au sort...

      Brusquement, Bartissol se sentit saisir par le bras.

      Logarec fixait sur lui deux yeux agrandis par la peur.

      —Tu as entendu?... souffla-t-il.

      —Quoi?... les «réveillonneurs» qui chantent?

      —Non... là... je ne sais pas... Quelque chose a craqué!...

      —Bah!... c'est une lame de parquet...

      —Je ne crois pas... c'était comme qui dirait dans l'air...

      —Tu ne vas pas croire que c'est le Korrigan... je suppose...

      —Ne ris pas, Bartissol, je te dis que quelque chose a craqué...

      —Eh oui... c'est le parquet... parbleu!

      —Non... Cela sonnait le creux...

      —Le creux!... le creux!... tu ferais devenir les gens fous, ma parole... Tu sais pourtant bien que le parquet est mauvais, qu'il y a un tas de lames qui fléchissent... même qu'on a déjà fait trente-six enquêtes pour le réparer... mais avec l'administration!...

      —Tu crois? interrogea Logarec anxieux...

      —Quand je te le dis... tiens, prends la lanterne, tu vas voir... je vais te montrer l'endroit où...

      Bartissol n'acheva pas...

      Un craquement bien distinct cette fois, sonore, indéniable, venait de se faire entendre et, comme l'avait dit le Breton, il paraissait s'être produit en l'air, à hauteur d'homme.

      —Hein? balbutia Logarec, tu vois bien que ce n'est pas le parquet?...

      —Ça vient des portes, alors, jeta Bartissol en se hâtant vers la sortie.

      Logarec, tenant en main la lanterne sourde, rejoignit son compagnon.

      Ils examinèrent successivement les deux portes de dégagement, placées vis-à-vis l'une de l'autre.

      Elles étaient d'ailleurs fermées.

      —Ça a pu craquer tout de même, hasarda Bartissol.

      —Ici, peut-être...

      Et Logarec désignait la grande vitrine qui fait face aux fenêtres.

      Ils s'approchèrent.

      Le rayon projeté par la lanterne sourde fit scintiller les dorures d'un autre sarcophage vide, celui-là, et placé debout à gauche de la baie.

      A l'instant même où la projection mettait en lumière l'effigie du personnage égyptien qui avait été enseveli dans cette haute boîte, un nouveau craquement retentit... Et celui-là sonnait le creux... il provenait sûrement du sarcophage!...

      Les deux gardiens s'arrêtèrent et, d'un même mouvement, se montrèrent le couvercle sommé d'une face grimaçante et surchargé de lamelles d'or.

      Le sourire figé du Pharaon semblait rivé sur eux!

      Puis, ce sourire s'effaça... les yeux d'émail brillèrent et parurent glisser comme des yeux vivants qui suivent la fuite d'une image...

      C'était maintenant un grincement continu... la figure virait à gauche d'une seule pièce...

      Et les gardiens n'avaient conscience que d'une chose... c'est que le sarcophage allait s'ouvrir!...

      De son mouvement lent et régulier, le couvercle continuait de tourner.

      Cela ne dut pas en réalité durer plus de quelques secondes, mais, dans l'état de surexcitation où se trouvaient les deux témoins de cet effarant spectacle, ces secondes-là valaient une éternité.

      J'ai déjà expliqué que le sarcophage était placé debout sur le côté gauche de la porte vitrée qui fait communiquer les deux salles...

      D'ailleurs tous les visiteurs du Louvre qui ont traversé ces galeries avant leur réinstallation, se rappellent certainement cette gaine oblongue, habillée de haut en bas de signes polychromes et terminée par une effigie de roi mort qui vous regarde de façon inquiétante. Pour peu qu'ils veuillent prendre, à cette heure nocturne, la place de mes deux gardiens, ils conviendront sans peine du tragique de la situation.

      Logarec n'avait pas lâché la lanterne, et le tremblement qui agitait son bras faisait courir sur le mur, au-dessus du sarcophage, à sa droite, à sa gauche, des ombres fantastiques...

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