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que cela n'a rien d'exagéré, sachez qu'en 1883, un astronome qui observait, à Boston, une pluie d'étoiles, les a assimilées à la moitié du nombre de flocons qu'on aperçoit dans l'air pendant une averse de neige ordinaire; en un quart d'heure, et, bien qu'il eut limité son observation au dixième de l'horizon, il n'en compta pas moins de six cent cinquante, ce qui, pour tout l'hémisphère visible, donnait un total de huit mille six cent soixante, soit, pour une heure, trente-quatre mille six cent quarante étoiles... le phénomène ayant duré plus de sept heures, c'est donc deux cent quarante mille étoiles qui se montrèrent à Boston.

      —Mais, monsieur Fricoulet, demanda Séléna, sait-on, au juste, ce que c'est qu'une étoile filante?

      —Tout d'abord, on prétendait que c'était un corps gazeux, une sorte de nébuleuse; mais on a été amené à conclure que, pour avoir la force de pénétrer dans notre atmosphère, il fallait que ce corps fût solide.

      —By God! s'exclama l'Américain, et vous croyez que cent quarante-six milliards de corps solides peuvent ainsi tomber sur la terre sans occasionner aucun dégât?

      —Permettez-moi de vous demander, sir Jonathan, ce qui arriverait d'un essaim de moucherons traversé par un boulet de canon?

      Farenheit se contenta de rire en haussant les épaules.

      —Il n'y aurait pas à craindre, n'est-ce pas, que le boulet de canon fût endommagé... de même, si un éléphant s'amusait à piétiner sur une fourmilière; ce n'est assurément pas la vie du pachyderme qui vous inspirerait aucune crainte... Eh bien! ces deux comparaisons sont la meilleure réponse que je puisse faire à ce que vous venez de dire.

      —Cependant, objecta Gontran, sans vouloir pousser, comme sir Jonathan, les choses à l'extrême, la rencontre de la Terre avec une étoile filante doit lui occasionner un choc quelconque.

      —Quand je parle de la Terre, j'entends la Terre et son atmosphère; or, lorsqu'une étoile pénètre dans notre atmosphère, sa vitesse est telle que, son mouvement se transformant en chaleur, elle s'enflamme, se volatilise pour ainsi dire, et n'arrive à la surface du sol que sous forme de poussière.

      —Comment peut-on savoir alors, demanda Séléna, que les étoiles sont des corps solides?... car, tout à l'heure, vous m'avez dit que c'étaient des corps solides.

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      —Et je ne m'en dédis pas, mademoiselle, car c'est la vérité; mais ce phénomène d'inflammation et de volatilisation se produit seulement pour les astéroïdes minuscules; ceux, au contraire, dont le poids varie de quelques hectogrammes jusqu'à des milliers de kilos, ceux-là résistent; mais sous l'influence de la chaleur, leur surface se fond et se couvre d'une couche de vernis et cette même chaleur les retardant dans leur course, ils n'arrivent sur Terre qu'avec une vitesse insignifiante.

      —Mais cela doit finir par augmenter le volume de notre planète natale, fit observer Séléna.

      —Oh! si peu et surtout si lentement; songez qu'en donnant à tous ces astéroïdes une dimension moyenne de un millimètre cube environ, nos quarante-six milliards d'étoiles annuels, représentent 146 mètres cubes et 8,760 kilos; en une série de cent siècles, cet accroissement de volume serait de 1,460,000 mètres cubes, lesquels, répandus à la surface de notre globe qui ne mesure pas moins de 510,000 kilomètres carrés, formeraient une couche de 1 centimètre d'épaisseur... vous voyez que ce n'est vraiment pas la peine d'en parler.

      Il se tut et se prit à considérer les rayons lumineux qui recommençaient à zébrer le manteau sombre de la nuit.

      Gontran, qui se trouvait à côté de lui, se pencha à son oreille.

      —Pourquoi donc, tout à l'heure, en te frappant le front, t'es-tu écrié que ce devait être aujourd'hui, sur Terre, le 24 novembre?

      —À cause de cette pluie d'étoiles...

      —Elle se produit donc à dates fixes?

      —Parbleu!... tu n'avais jamais remarqué cela?

      —Je dois t'avouer que non... jusqu'à ce que je fisse la rencontre de M. Ossipoff, toute mon attention était portée vers la diplomatie, et le concert européen...

      —... T'intéressait beaucoup plus que l'harmonie des mondes: je conçois cela. Mais, pour le moment, bénis Ossipoff que ses études astronomiques maintiennent cramponné à son télescope; autrement, tu peux être certain qu'il t'aurait déjà poussé une «colle».

      —Au lieu de m'adresser ce petit discours, fit Gontran d'un ton maussade, tu ferais bien mieux de me donner quelques explications.

      —Eh bien! en deux mots, voici la chose: jusqu'en ces dernières années, on attribuait aux étoiles filantes une origine planétaire; c'est-à-dire qu'on supposait qu'elles formaient des anneaux circulant autour du Soleil avec une vitesse presque égale à celle de la Terre et suivant des orbites à peu près circulaires... mais tout récemment, Schiaparelli, frappé de leur vitesse analogue à celle des comètes, soupçonna que, comme ces dernières, elles devaient avoir une vitesse parabolique et, conséquemment, appartenir à un système céleste étranger à notre système solaire; en outre,...

      Gontran, qui écoutait son ami avec une profonde attention, l'interrompit brusquement.

      —Si je te comprends bien, dit-il, ce serait une façon de comète dont le noyau, au lieu d'être comme celui de la comète de Halley, Biéla et autres, formé d'un corps unique, considérable, serait composé par la réunion d'infinités de corpuscules, détachés les uns des autres et circulant de conserve dans l'immensité?

      Fricoulet secoua la tête.

      —Tu n'y es pas, répondit-il; la théorie de Schiaparelli établit que cette agglomération de corpuscules forme une chaîne non interrompue qui court, suivant une forme parabolique, dans un plan perpendiculaire à celui dans lequel se meut la Terre...

      —Mais alors, s'écria Gontran dont le visage exprima tout à coup une agitation extrême, il arrive un moment où la Terre traverse cette chaîne?

      —Parfaitement logique; cette sorte de fleuve corpusculaire est même si considérable, que la Terre, bien que le traversant perpendiculairement, met quatre ou cinq jours à s'en dégager.

      M. de Flammermont poussa un cri de joie qui fit accourir Farenheit et Séléna qui, voyant les deux jeunes gens causer à voix basse, s'étaient retirés un peu à l'écart.

      —Ah! ma chère Séléna, dit le jeune comte en pressant dans les siennes, les mains de la jeune fille, le vœu que vous avez formé tout à l'heure va peut-être pouvoir se réaliser.

      —Que voulez-vous dire? exclama Mlle Ossipoff en attachant sur son fiancé un regard plein de curiosité.

      —Je veux dire que la Terre nous reverra sans doute plus tôt que nous le pensions.

      L'Américain ne trouva pas d'autre moyen, pour manifester sa joie, que de jeter en l'air sa casquette de voyage.

      —Hurrah! s'écria-t-il, hurrah pour le comte de Flammermont.

      Séléna regarda Fricoulet pour lui demander s'il comprenait quelque chose au langage de son ami; mais le jeune ingénieur, secouant la tête, mit son index sur son front, pour indiquer qu'il n'était pas sans concevoir des doutes sérieux concernant la raison de Gontran.

      Celui-ci aperçut le geste de l'ingénieur et souriant d'un sourire indéfinissable.

      —Non, dit-il, je ne suis pas fêlé... mais avant de vous exposer le plan qui vient de se former soudainement dans mon cerveau, j'ai besoin de coordonner mes idées et c'est à quoi je vais employer la nuit.

      Sur ce, il souhaita le bonsoir à Mlle Ossipoff, serra la main de Farenheit et se retira dans le logement qu'il partageait avec Fricoulet.

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