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d'utilité pour son fils, elle ne s'y opposa pas, mais elle pleura en le voyant partir. Le frère Nicolo, à qui étaient confiés les embellissements du jardin monastique, et qui avait une affection particulière pour Jean, fut chargé de l'accompagner. Il monta sur une petite mule blanche qui servait aux frères quêteurs du couvent, assez fringante pour les mener d'un bon pas, et assez douce pour les conduire sans danger. Jean, après avoir embrassé ses parents, sauta en croupe derrière Fra Nicolo, et ils prirent ainsi la route de Modène.

      L'enfant avait caché dans son pourpoint la lettre que son oncle lui avait donnée pour le docteur Lulle, et il avait mis dans un sac attaché à sa ceinture toutes les thèses de théologie qu'il avait écrites; il savait qu'en les relisant attentivement avant de soutenir celle qui lui serait proposée par le docteur, il pourrait résoudre hardiment toutes les questions; son intelligence précoce avait épuisé la science de la théologie comme toutes les autres. Plein de sécurité sur ce qu'il aurait à répondre, il fit son voyage gaiement et en se livrant à toutes les distractions de l'enfance; car, chose remarquable; il joignait au plus grand savoir tous les goûts de son âge. Dieu lui avait donné un génie qui pénétrait tout facilement, et Pic, studieux sans effort, n'était pas vieilli d'avance par le travail.

      Chemin faisant, il se livra à mille joies folles: souvent, sous prétexte de soulager sa monture, il mettait pied à terre, et, s'élançant alors à travers champs, il allait cueillir des fleurs nouvelles pour son herbier, ou demander aux vendangeurs quelques-unes de ces belles grappes de raisin dont les ceps, couverts de feuilles, se suspendent aux arbres en guirlandes vertes. Il rapportait toujours à Fra Nicolo la moitié des fruits qu'on lui donnait, et il s'amusait à remercier les vendangeurs en arabe ou en hébreu, ce qui faisait beaucoup rire ces bonnes gens qui ne le comprenaient pas. D'autres fois, prenant l'avance sur la mule paresseuse, il courait sur la route à perte de vue; puis, se cachant derrière un platane, il se dérobait aux regards de Fra Nicolo, qui, pour l'atteindre, avait donné de l'éperon à sa pauvre mule. Lorsqu'il avait bien joui de l'embarras de son guide, Pic reparaissait tout à coup, et Fra Nicolo, après une douce réprimande, l'aidait à grimper sur la monture, qui reprenait son petit trot.

      Dès qu'ils furent arrivés à Modène, Jean, accompagné de Fra Nicolo, se présenta chez le docteur Lulle; celui-ci prit la lettre du prieur sans regarder l'enfant qui la lui présentait, et la lecture de cette lettre le disposa d'abord en sa faveur; mais quand il leva les yeux et qu'il vit cette jeune tête de treize ans, il crut que Fra Rinaldo avait voulu se moquer de lui en lui parlant de Jean comme de l'écolier le plus célèbre de l'Italie; cependant la lettre était si précise, et le porteur y était si bien recommandé, qu'il se décida à lui adresser quelques questions pour le mettre à l'épreuve. Jean y répondit avec tant de netteté et de profondeur que le docteur en fut tout confondu et l'admit aussitôt au concours; les candidats devaient soutenir une thèse de théologie en présence des magistrats de la ville et de tous les savants de l'Italie.

      Ce jour, si vivement attendu par Jean, arriva; et, au moment où il entra dans l'amphithéâtre, il sentit une force d'esprit surnaturelle: Dieu semblait avoir doublé son intelligence pour la faire triompher.

      Le podestat de Modène était assis sur un fauteuil couvert de pourpre, d'où il dominait toute l'assemblée. Parmi les hauts seigneurs qui l'entouraient, Jean reconnut tout à coup Bonacossi, l'ennemi de sa famille; sa présence l'enflamma d'une nouvelle ardeur, et il résolut de rendre au nom de son père l'éclat dont on l'avait dépouillé.

      La salle était remplie; on se pressait dans les tribunes, et le docteur Lulle, couvert de sa longue robe noire bordée d'hermine, était monté dans sa chaire. En face de lui se tenaient debout les six élèves qu'il allait interroger; ils étaient aussi vêtus de robes noires, mais sans hermine. Parmi eux, le jeune Pic de La Mirandole attirait tous les regards et excitait l'étonnement. C'était un spectacle extraordinaire, en effet, que de voir cet enfant à la chevelure blonde, aux joues roses et fraîches, aux yeux vifs et candides, couvert d'une robe doctorale et prêt à soutenir une thèse de théologie. L'enfant, un peu embarrassé par tous ces regards, tenait la tête baissée et écoutait attentivement les réponses que les autres élèves faisaient aux argumentations du docteur. Quand leur examen fut fini, et que son tour arriva, Pic leva les yeux avec assurance sur le docteur Lulle qui l'interrogeait, mais, dans ce mouvement, son regard se porta vers une des tribunes publiques, et il fut près de laisser échapper un cri en reconnaissant sa mère au milieu de la foule, sa mère qui avait deviné, puis arraché la vérité à Fra Rinaldo sur l'absence de son fils, et qui était accourue à Modène pour mourir avec lui, s'il était reconnu par leur ennemi. Le jeune savant comprima l'émotion qui l'avait saisi, et il répondit avec une éloquence entraînante à tous les points de science posés par le docteur. Celui-ci, étonné d'une pareille supériorité, tâchait de prendre en défaut cette haute intelligence; mais il multiplia vainement les subtilités de la scolastique; l'enfant semblait s'y jouer, et Lulle, enfin entraîné lui-même par l'enthousiasme de l'assemblée, le déclara digne de la récompense promise à celui des six candidats qui soutiendrait sa thèse avec le plus d'éclat.

      Jean, conduit par le docteur, s'avançait vers les gradins où étaient assis les magistrats et les princes, quand tout à coup une voix s'éleva: c'était celle du seigneur Bonacossi, de l'ennemi de sa famille. «Le nom! demandez le nom de cet enfant!» criait-il au podestat de Modène; car son regard haineux venait de reconnaître le fils du comte de La Mirandole. A ces paroles qu'elle a comprises, la mère, pleine d'effroi, fend la foule et s'élance auprès de son fils; elle l'entoure de ses bras, comme pour le défendre de tout danger. Mais l'enfant intrépide se dégage de son étreinte, et, se plaçant devant le podestat, il lui dit d'une voix forte: «Je me nomme Jean Pic de La Mirandole, fils du seigneur de La Mirandole, comte de Concordia; je sais que ma famille est proscrite et que nul de nous ne peut rentrer dans ces murs. Je vous livre ma tête, seigneur Bonacossi; mais je vous demande à vous, podestat de Modène, la récompense qui m'est due. Vous le savez, le choix de cette récompense m'est laissé. Eh bien! accordez-moi la grâce de ma famille, rendez à mon père ses biens, ses honneurs et sa patrie; puis faites-moi mourir, si vous trouvez cela juste!»

      Mille voix s'élevèrent pour l'applaudir; tous les coeurs étaient attendris, des larmes coulaient de tous les yeux, toutes les mains battaient; le podestat lui-même, ému comme les autres, embrassa le merveilleux enfant et lui accorda sa grâce avec celle de sa famille. Bonacossi fut contraint de restituer au comte de La Mirandole les domaines de ses ancêtres, et cet héritage, perdu par les armes, fut reconquis par l'éloquence de la parole.

      Pic de La Mirandole devint l'homme le plus savant de son siècle; il voyagea dans toute l'Europe; les universités les plus célèbres furent pleines de son nom: celle de Paris lui accorda de grands honneurs, et le roi de France Charles VIII l'appela son ami.

       D'UN GRAND CAPITAINE

       Table des matières

       Table des matières

      Bertrand du Guesclin, connétable de France, naquit en Bretagne dans le château de Motte-Broon, près de Rennes, en 1314. C'était un enfant intraitable: les menaces et les châtiments le rendirent plus farouche encore. Il était presque difforme; il avait la taille épaisse, les épaules larges, la tête monstrueuse, les yeux petits, mais pleins de feu: «Je suis fort laid, disait-il, jamais je ne serai bienvenu des dames, mais je pourrai me faire craindre des ennemis de mon roi.»

      A l'âge de seize ans, il s'échappa de la maison paternelle; il se réfugia à Rennes, et se réconcilia quelques mois après avec son père par ses brillants faits d'armes dans un tournoi. C'est cet épisode de sa vie, raconté par les mémoires contemporains,

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