Скачать книгу

êtres[30]. Ainsi le veulent et les lois de l'analogie et le principe de continuité.

      [Note 29: LEIBNIZ, Réplique aux réflexions de Bayle, p. 185.]

      [Note 30: LEIBNIZ, Syst. nouv. de la nature, p. 124-125, 3.]

      Le propre du Moi humain est d'envelopper «une multitude dans l'unité[31]». Or telle est aussi la fonction essentielle de «ces forces primitives» auxquelles on aboutit par l'analyse métaphysique de la réalité. Elles doivent donc avoir, elles aussi, «quelque chose d'analogique au sentiment et à l'appétit[32]». De plus, comme le monde a pour auteur un être souverainement parfait, il faut qu'il soit le meilleur possible; et, comme la bonté s'achève dans la beauté, il faut aussi qu'il soit le plus beau possible. La nature est un poème immense où tout varie par degrés insensibles et dans l'unité, où tout se tient et se déploie dans la continuité. Or cette homogénéité fondamentale n'est pas expliquée, si, comme l'a fait Descartes, on oppose radicalement l'essence de l'esprit à l'essence de la matière. Il faut, pour la rendre intelligible, se représenter l'univers entier comme la réalisation différenciée à l'infini d'un seul et même principe qui est la pensée. Les choses alors acquièrent «une simplicité surprenante, en sorte qu'on peut dire que c'est partout et toujours la même chose, aux degrés de perfection près[33]».

      [Note 31: LEIBNIZ, Monadol., p.706, 14; Epist. ad Wagnerum, p. 466, III.]

      [Note 32: LEIBNIZ, Syst. nouv. de la nature, p. 124-125, 3.]

      [Note 33: LEIBNIZ, Théod, p. 602, 337; N. Essais, p. 305.]

      Le monde est donc plus qu'une machine. La machine est ce qu'on voit; mais ce qu'on voit n'est qu'une apparence. Au fond, il y a l'être qui est force, vie, pensée et désir. Le monde entier, y compris son Créateur, est un système d'âmes qui ne diffèrent entre elles que par l'intensité de leur action. En ce point capital, Leibniz ne contredit plus Aristote. Le grec et l'allemand ont la même théorie. Pour l'un et pour l'autre, c'est l'amour qui meut tout; et, par conséquent, l'un et l'autre admettent aussi la prédominance des causes finales sur les causes efficientes. C'est le finalisme qui l'emporte de nouveau. Ni Descartes, ni Hobbes, ni Spinoza n'ont réussi à le détruire pour tout de bon.

      Les agrégats corporels se composent de monades, c'est-à-dire de principes simples dont l'essence consiste dans la perception. Et l'objet de cette perception enveloppe toujours d'une certaine manière l'être tout entier; car, les choses allant d'elles-mêmes au meilleur, il n'y a pas de raison pour qu'il contienne telle portion de la réalité à l'exclusion de telle autre[34].Chaque monade a quelque représentation de l'infini; et c'est là qu'elle puise ses idées distinctes. Chaque monade, aussi, a quelque représentation de l'univers; et c'est de là que lui viennent ses idées confuses[35]. Les substances sont autant «de points de vue», d'où l'on aperçoit d'une façon plus ou moins explicite et la nature immense et l'Être éternel qui l'imprègne de toutes parts[36].

      [Note 34: LEIBNIZ, _Réplique aux réflexions de Bayle, _p. 187b; Monadol., p. 709b, 58, 60.]

      [Note 35: LEIBNIZ, _N. Essais, _p. 222a, 1.]

      [Note 36: LEIBNIZ, _Monadol., _p. 709b, 57; Syst. nouv. de la nature, p. 126b, 11.]

      Toutefois, cet Être éternel possède le privilège de n'avoir que des

       idées distinctes: l'Infini seul est pensée pure[37].

      [Note 37: LEIBNIZ, Epist. ad Wagnerum, p. 466b, IV; _Monadol., p.708a, 41.]

      Quant aux autres monades, elles contiennent, avec «leur entéléchie primitive», un obstacle également interne qui les entrave dans leur élan vers la perfection[38].

      [Note 38: LEIBNIZ, _Théod., _p. 510a, 20; _Monadol., _p. 708b, 47.]

      Les anciens ont parlé de la matière seconde et de la matière première: et leur distinction n'est pas vaine, bien qu'il faille modifier quelque peu leur manière de l'entendre. La matière seconde est d'ordre phénoménal: elle vient toujours d'un agrégat de monades, mais elle n'existe que dans la pensée et s'y traduit sous forme d'extension. Au contraire, la matière première est d'ordre réel: c'est un principe que chaque monade porte au-dedans d'elle-même, qui fait partie de son essence, et dont l'effet naturel est de communiquer à ses perceptions de provenance extérieure leur caractère extensif[39]. Mais l'étendu, c'est aussi du confus[40]. Et, par conséquent, la matière première, voilà ce qui limite l'action des substances créées; voilà ce qui les arrête, à des étapes différentes, dans leur ascension vers la lumière des «idées distinctes». «Autrement toute entéléchie serait Dieu[41].» Et de là une hiérarchie infiniment variée d'êtres qui se ressemblent par leur fond. Tout est pensée; mais la pensée dort dans le minéral et la plante, sommeille dans l'animal, s'éveille en l'homme et trouve en Dieu son éternel et plein achèvement. Encore y a-t-il, entre ces degrés divers, une multitude incalculable et de différences et de nuances; car la nature ne fait pas de bonds: c'est par un progrès insensible qu'elle passe du moins au plus[42]. «Rien de stérile ou de négligé, rien de trop uniforme, tout varié, mais avec ordre, et, ce qui passe l'imagination, tout l'univers en raccourci, mais d'une vue différente dans chacune de ses parties et même dans chacune de ses unités de substance[43].»

      [Note 39: LEIBNIZ, Lettre II au P. des Bosses, datée du 11 mars 1706, p. 436b; Lettre VII au même, datée du 16 octobre 1706, p. 440b; _Lettre XIII au même, _datée du 3 juillet 1709, p. 461b; Comment. de anima brutorum, p. 463a, I-II; Epist. ad Wagnerum, p. 406a, II. Dans cette dernière lettre, l'auteur paraît préoccupé, non de distinguer la matière première de la matière seconde, mais de déterminer au juste en quoi consiste la passivité de la matière generalim sumpta par opposition à l'activité de la forme; et son effort n'est pas stérile: il aboutit à des notions plus précises. La matière a bien quelque activité, tant il est vrai que rien n'est puissance pure: mais cette activité n'est que résistance. Au contraire, l'activité de la forme est vie, perception et effort.]

      [Note 40: LEIBNIZ, Lettre II au P. des Bosses, p. 436b; Lettre XIII au même, p. 461b; _Théod., _p. 607, 356;Monadol., p. 709b, 60.]

      [Note 41: LEIBNIZ, Réplique aux réflexions de Bayle, p. 187b; Lettre VII au P. des Bosses, 440b; Epist. ad Wagnerum, p. 466b, IV.]

      [Note 42: LEIBNIZ, _Syst. nouv. de la nature, _p. 125b, 5; Comment. de anima brutorum, p. 465b, XIII; Epist. ad Wagnerum, p. 466-467, V; Syst. nouv. de la nature, p. 125b, 7; Lettre VI au P. des Bosses, datée du 4 octobre 1706, p. 439-440; N. Essais, p. 224b, 12; Monadol., p.709b, 38.]

      [Note 43: LEIBNIZ, _N. Essais, _p. 2O5b.]

      Bien que composées de deux principes constitutifs, dont l'un est forme et l'autre matière, les monades n'en demeurent pas moins absolument simples. Car la matière première n'est qu'un principe d'étendue, et la matière seconde, qui est l'étendue elle-même, se fonde bien au dehors sur des agglomérais de monades; mais, considérée en soi, non plus dans sa cause, elle ne se produit qu'au dedans: elle est «toute mentale[44]». Et de là une nouvelle approximation de la notion de substance.

      [Note 44: LEIBNIZ, _N. Essais, _p. 238b, 7. V. aussi: Lettre II au P. des Bosses, p. 436b; _Lettre XIV au même, _p. 462b; Lettre XXIV au même, p. 689a.]

      D'abord, «les monades n'ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir». Et, par là même, «les accidents ne sauraient se détacher, ni se promener hors des substances, comme faisaient autrefois les espèces sensibles des scolastiques[45]». En second lieu, les monades n'ont point de surface extérieure. Et, par conséquent, elles ne présentent aucun point d'appui, à l'aide duquel on puisse ou les modifier, ou les mouvoir[46]. Chaque monade est à la fois close et intangible et demeure, de ce chef, essentiellement indépendante de toute influence dynamique externe. C'est en elle-même et par elle-même qu'elle agit et pâtit: sa vie est tout intérieure. Et c'est sans doute dans ce recueillement absolu que Leibniz a puisé la raison principale pour laquelle il conçoit

Скачать книгу