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La monadologie (1909) avec étude et notes de Clodius Piat. Gottfried Wilhelm Freiherr von Leibniz
Читать онлайн.Название La monadologie (1909) avec étude et notes de Clodius Piat
Год выпуска 0
isbn 4064066086695
Автор произведения Gottfried Wilhelm Freiherr von Leibniz
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
L'essence de la matière demande quelque chose de plus que «la philosophie corpusculaire[13]».
[Note 13: LEIBNIZ, _Correspondance avec Arnauld, _p. 632, Ed. P.
Janet, Paris, 1886.]
L'expérience nous apprend que les corps sont divisibles. Et, par conséquent, il faut qu'antérieurement à toute division ils aient déjà des parties actuelles; car la division ne crée pas, elle ne fait que compter. Les corps sont donc des composés. Or tout composé se ramène à des éléments ultimes, lesquels ne se divisent plus. Supposé, en effet, que l'on y puisse pousser le partage à l'indéfini; on n'aurait toujours que des sommes, et jamais des unités: ce qui est contradictoire[14]. De plus, ces éléments ultimes ne peuvent être étendus, comme l'ont imaginé les atomistes; car, si petites que l'on fasse les portions de l'étendue, elles gardent toujours leur nature; elles demeurent divisibles: c'est encore une pure multitude. Et la raison déjà fournie conserve toute sa force.
[Note 14: Ibid., pp. 631, 654, 655; _Syst. nouv. de la nature, _p. 24{b}, 3; Monadol., p. 705{a}, 2.—L'argument de Leibniz suppose que tout ce qui est divisible contient nécessairement des parties actuelles, antérieurement à toute division. Or ce principe ne parait pas suffisamment établi. Pourquoi la théorie aristotélicienne du continu ne serait-elle pas conforme à la réalité des choses? Quelle raison de croire que la division n'est pas, au moins en certains cas, un vrai passage de la puissance à l'acte?]
Ainsi le mécanisme, quelque forme qu'il revête, n'est que «l'antichambre de la vérité[15]». La conception de Descartes et celle d'Épicure laissent l'une et l'autre l'esprit en suspens. Une détermination donnée de l'étendue n'est pas plus une substance «qu'un tas de pierres», «l'eau d'un étang avec les poissons y compris[16]», «ou bien un troupeau de moutons, quand même ces moutons seraient tellement liés qu'ils ne pussent marcher que d'un pas égal et que l'un ne pût être touché sans que tous les autres criassent». Il y a autant de différence entre une substance et un morceau de marbre «qu'il y en a entre un homme et une communauté, comme peuple, armée, société ou collège, qui sont des êtres moraux, où il y a quelque chose d'imaginaire et de dépendant de la fiction de notre esprit[17]». Et l'on peut raisonner de même au sujet des atomes purement matériels[18]. En les introduisant à la place du continu, l'on ne change rien qu'aux yeux de l'imagination. Au fond, c'est métaphysiquement que les corps s'expliquent[19]; car «la seule matière ne suffit pas pour former une substance». Il y faut «un être accompli, indivisible»: substantialité signifie simplicité[20].
[Note 15: LEIBNIZ, Lettre I à Remond…, 702{a}.]
[Note 16: LEIBNIZ, Correspondance avec Arnauld, p. 830; N. Essais, p. 238{b},7.]
[Note 17: LEIBNIZ, _Correspondance avec Arnauld, _p. 631.]
[Note 18: LEIBNIZ, _Syst. nouv. de la nature, _p. 124b, 3.]
[Note 19: LEIBNIZ, _Lettre I à Remond…, _p. 702a.]
[Note 20: LEIBNIZ, _Correspondance avec Arnauld, _p. 631; v. aussi pp. 619, 630, 639, 654, 655; _N. Essais, _p. 276a, 1; Monadol., p. 705a, 1-3.]
En quoi consistent au juste ces principes indivisibles? quelle est la nature intime de ces «points métaphysiques», qui constituent les éléments des choses et qui seuls méritent le nom de substance? Sont-ils inertes, comme l'a cru Descartes? En aucune manière; et c'est là que se trouve la seconde erreur du mécanisme géométrique.
Lorsqu'un corps en repos est rencontré par un autre corps en mouvement, il se meut à son tour. Il faut donc qu'il ait été actionné de quelque manière; et, par conséquent, il faut aussi qu'il ait agi lui-même; car «tout ce qui pâtit doit agir réciproquement[21]». Ainsi chaque mouvement, si léger qu'il soit, accuse la présence d'une source d'énergie et dans le moteur et dans le mobile qu'il suppose; et ce même principe d'activité se manifeste également dans la manière dont les corps se choquent les uns les autres.
[Note 21: LEIBNIZ, _Si l'Essence du corps consiste dans l'étendue, _p. 113a.]
«Nous remarquons dans la matière une qualité que quelques-uns ont appelée l'_inertie naturelle, _par laquelle le corps résiste ea quelque façon au mouvement; en sorte qu'il faut employer quelque force pour l'y mettre (faisant même abstraction de la pesanteur) et qu'un grand corps est plus difficilement ébranlé qu'un petit.» Soit, par exemple, la figure:
[Illustration: A] [Illustration: B]
où l'on suppose que le corps A en mouvement rencontre le corps B en repos. «Il est clair que, si le corps B était indifférent au mouvement ou au repos, il se laisserait pousser par le corps A sans lui résister et sans diminuer la vitesse, ou changer la direction du corps A. Et, après le concours, A continuerait son chemin et B irait avec lui de compagnie en le devançant. Mais il n'en est pas ainsi dans la nature. Plus le corps B est grand, plus il diminuera la vitesse avec laquelle vient le corps A, jusqu'à l'obliger même de réfléchir, si B est beaucoup plus grand qu'A[22].» Et rien ne prouve mieux que l'inertie à laquelle on s'arrête n'est que de l'énergie déguisée.
[Note 22: LEIBNIZ, _Si l'essence du corps…, _p. 112{a et b}.]
On peut remarquer aussi qu'il y a dans les corps comme une tension perpétuelle, une sorte d'élan continu vers quelque autre chose que ce qu'ils sont déjà. Les blocs énormes qui couronnent les pyramides tombent d'eux-mêmes, dès qu'on enlève la base qui les soutient; un arc tendu part tout seul, lorsqu'on en délivre la corde[23]; et nous avons dans notre organisme une multitude indéfinie «de ressorts» qui se débandent à chaque instant, sans que nous l'ayons voulu et même à l'encontre de notre vouloir[24]. La nature corporelle implique un effort incessant. Or l'effort n'est plus seulement de la puissance; c'est aussi de l'action. «Omnis autem conatus actio.»
[Note 23: LEIBNIZ, De Vera Methodo…, p.111b.]
[Note 24: LEIBNIZ, _De Vera Methodo…, _p. 111b.]
Et cette conclusion ne s'impose pas seulement au nom de l'expérience; elle se fonde aussi sur les exigences de la raison. On veut que l'être n'enveloppe que des puissances à l'état nu. Et l'on n'observe pas que c'est «une fiction, que la nature ne souffre point». On ne remarque pas qu'une simple faculté n'est qu'une «notion incomplète», «comme la matière première» séparée de toute forme; «une abstraction» vide de réalité, «comme le temps, l'espace et les autres êtres des mathématiques pures[25]». Il est bon de supprimer une telle équivoque et de donner des choses une notion plus compréhensive et plus exacte. Le vrai, c'est que tout est déterminé: le vrai, c'est que chaque substance «a toujours une disposition particulière à l'action et à une action plutôt qu'à telle autre»; «qu'outre la disposition», elle enveloppe «une tendance à l'action, dont même il y a toujours une infinité à la fois dans chaque sujet»; et que «ces tendances ne sont jamais sans quelque effet[26]». Tout être est une force qui se bande, un «conatus» qui passe de lui-même au succès, «si rien ne l'empêche»: toute substance est action et tendance à l'action[27]. Et de là une interprétation nouvelle du devenir. D'après Aristote, tout se meut par autre chose. Au gré de Leibniz, tout se meut par soi-même. Chaque être est gros de sa destinée et la réalise en vertu d'un principe qui lui est interne. C'est le règne de l'autonomie, qui se substitue à celui de l'hétéronomie.
[Note 25: LEIBNIZ, N. Essais, p. 222b, 2 et p. 223b, 9.]
[Note 26: Ibid.; v. aussi p. 248a, 4.]
[Note 27: LEIBNIZ, Théod., p. 526b, 87; _Syst. nouv. de la nature, _p. 125a, 3.]
L'effort, qui fait le fond de la substance, n'est pas purement physique. Il enveloppe toujours quelque degré de perception; il est produit et maintenu par la connaissance: c'est une véritable appétition[28].
[Note 28: LEIBNIZ, Monadol., p. 706, 14-15; Epist. ad Wagnerum, p. 466, II.]
«L'expérience interne»