Скачать книгу

inspiré un si vif intérêt, il souleva le loquet de la petite porte et s'aventura au milieu des citrouilles, des concombres et des melons qui y croissaient négligemment en abondance; il arriva è un petit berceau rustique fait en planches, autour duquel on avait taillé une vigne sauvage qui formait une couverture d'une délicieuse verdure. Geneviève y était avec son «éternelle broderie,» ainsi que de Chevandier avait stigmatisé son travail. Il aurait préféré la trouver mélancolique et rêveuse: cependant il entra avec son air aimable ordinaire, en offrant ses lettres de créance sous forme des livres et journaux qu'il avait apportés avec lui. Geneviève ne pouvait faire autrement que de le remercier de sa politesse; d'ailleurs elle éprouvait un grand plaisir de voir les noms et les gravures des lieux et des choses qui lui étaient si familières.

      Pendant qu'elle examinait le frontispice illustré d'un de ces volumes, il prit l'ouvrage qu'elle venait de déposer.

      --A qui, lui demanda-t-il en souriant, destinez-vous ce monument d'industrie et de patience féminine que je tiens à la main?

      --C'est une paire de pantoufles pour mon mari, répondit-elle.

      Lorsque de Chevandier se représenta cet honnête Paul chaussé de grosse bottes de campagne enjambant à travers le fumier de sa cour, puis en voyant cet assemblage de perles et de soie qu'on lui destinait, une expression de piquante ironie passa sur ses traits: il plissa les lèvres et ajouta involontairement:

      --M. Durand est un homme heureux et saura, comme de raison, apprécier ce cadeau de fée. J'apprends tous les jours qu'il est un excellent fermier, et qu'il s'y entend parfaitement en fait de tout ce qui concerne la charrue, les égouts, les bêtes-à-cornes et autres horreurs du même genre.

      Geneviève regarda son interlocuteur: quoique novice en ces sortes de persiflages, elle devina le mépris qu'il cachait sus les compliments à moitié ironiques qu'il faisait de Paul, et tenant constamment ses yeux fixés sur lui, elle reprit:

      --Mon mari est non-seulement un excellent fermier, mais encore il est honorable et intègre, à tel point, que la plus indifférente des épouses ne pourrait s'empêcher de le respecter et de l'aimer.

      Il y avait quelque chose de grand dans cette expression franche et hardie de ses sentiments, surtout chez une personne aussi réservée et aussi timide que Geneviève Durand; et pendant que le coeur de Chevandier lui en rendait secrètement hommage, il éprouva en même temps un sentiment d'une irritation jalouse contre l'homme qui en était l'objet. Il comprit aussi qu'il devait s'abstenir de prononcer en présence de la jeune femme un seul mot qui pût être interprété comme incivil envers Paul; il s'empressa donc de réparer sa maladresse en faisant sur Durand quelques remarques amicales et respectueuses avec ce tact et cette délicatesse dans lesquels il était passé maître.

      Geneviève reprit son ouvrage, et pendant que ses doigts allaient avec une agile habilité, de Chevandier parlait ou lisait à haute voix quelques courts passages des journaux qu'il avait apportés avec lui. Le jour baissait, lorsque tout-à-coup la jeune femme se leva et le pria de l'excuser, vu que peut-être on pouvait avoir besoin de ses services à la maison. Il l'accompagna jusqu'à la porte.

      Tandis qu'il lui disait quelques mots d'adieu, deux figures épiaient en cachette leurs mouvements: c'était Manon, la fille qui avait reçu le capitaine de Chevandier d'une manière si caractéristique, et Olivier Dupuis, la plus mauvaise langue du village.

      --Et vous me dites, reprit lentement ce dernier en secouant la tête d'une façon qui était de mauvais présage, que ce charmant gentilhomme de la ville vient ici tous les jours, et passe de longues heures avec Madame (en appuyant dédaigneusement sur le mot), et cela lorsque le mari est absent! Bien, bien, Paul Durand, est-ce que tu ne pouvais pas faire comme les autres, prendre pour ta femme une fille vive et alerte de notre village, au lieu d'aller au loin choisir un pareil bijou? Ah! nous verrons, nous verrons! Quand pensez-vous que Paul sera de retour?

      --Demain, je crois.

      --Eh! bien, bonjour Manon, et si jamais vous vous mariez ne marchez pas sur les traces de votre maîtresse.

      --Vous pouvez, père Dupuis, garder votre conseil jusqu'à ce qu'il vous soit demandé. Lorsque je serai mariée, je ferai comme je voudrai.

      Et ils se séparèrent sur ce salut amical.

      Le lendemain la pluie tomba toute la journée par torrents, et de Chevandier fut obligé d'abandonner le projet qu'il avait formé de retourner chez sa charmante voisine, de peur qu'une visite par un pareil temps le rendit ridicule. C'est pourquoi dans un accès de mauvaise humeur il descendit au salon, et là il tua le temps à tourmenter les livres de M. de Courval qui traitaient presque tous d'agriculture, et à jurer, tempêter et donner des coups de pieds à la demi-douzaine de chiens qui égayait la demeure de son ami, vieux garçon.

      De son côté, Geneviève se trouvait aussi heureuse qu'il lui était possible de l'être. Grâce à ses efforts réunis à ceux des servantes, la maison reluisait de propreté, tandis que Manon, par une coïncidence extraordinaire, avait fait d'excellents pâtés et avait réussi une fois en sa vie à sortir du four du pain qui ne fût pas brûlé en-dessus et cru en-dedans.

      Les merveilleuses pantoufles qui étaient heureusement achevées pour l'occasion étaient orgueilleusement étendues sur le fauteuil de Paul, qu'on avait eu soin de tirer dans son coin favori, près de la fenêtre remplie de bouquets. Puis Geneviève entra dans sa chambre, et après avoir jeté un regard inquiet sur la pluie qui tombait à verse et à laquelle son mari devait, en toute probabilité être exposé, elle se mit en frais de se faire aussi gentille et charmante que possible. La tâche pour elle n'était pas difficile: toujours jolie, elle l'était doublement en ce moment car le plaisir que lui faisait éprouver l'espérance de l'arrivée prochaine de son mari après cette première séparation illuminait ses yeux et imprimait à ses joues un vif incarnat.

       Table des matières

      Pendant qu'elle attend ainsi, nous retournerons de quelques heures sur nos pas, à la rencontre de Paul qui s'en revenait chez lui. Il allait rapidement, cahoté en tous sens, sans se soucier ni de la boue des chemins ni de la pluie qui l'inondait si généreusement mais tout entier à l'heureuse perspective de se trouver bientôt avec sa chère Geneviève, au souvenir des excellentes affaires qu'il avait faites à Montréal et dont il rapportait des preuves par de jolis présents destinés à sa femme.

      Tout-à-coup, il rencontra le bonhomme Olivier Dupuis qui cheminant à pied, de son côté, le long de la route, sans paraître plus soucieux de la pluie qu'il ne l'était lui-même. Il va sans dire que Paul arrêta son cheval, et offrit au voyageur une place à ses côtés, proposition qui fut acceptée par ce dernier avec d'autant plus d'empressement qu'il avait plus d'une raison pour le faire.

      Une fois repartis, après quelques paroles échangées entr'eux à propos du temps, Paul dit assez vivement:

      --Ah! père Dupuis, ça fait du bien et ça raccourcit merveilleusement la longueur de la route, que de savoir qu'au bout il y a une femme bonne et fidèle pour nous recevoir!

      Olivier poussa un gros soupir, et secoua la tête en signe de doute. Supposant que cette boutade pleine de tristesse était de la part de Dupuis une allusion secrète à son propre état de veuvage, Paul, bien que ce fût la première fois qu'il le vit se chagriner à ce sujet, lui dit avec bonté:

      --Courage Olivier, tous ont leurs épreuves en ce monde, dans un temps ou dans un autre; et vous avez une assez bonne santé, assez de joyeuse humeur pour suppléer à la solitude de votre foyer.

      --Quant à cela, Paul Durand, répondit aigrement Olivier, je me trouve bien moins à plaindre sans femme que beaucoup d'autres qui en ont une.

      Le ton, plus encore que les paroles, était particulier, et Paul attacha un regard scrutateur sur son compagnon.

      --Oui, regardez moi bien; je voudrais seulement

Скачать книгу