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Armand Durand; ou, La promesse accomplie. Mrs. Leprohon
Читать онлайн.Название Armand Durand; ou, La promesse accomplie
Год выпуска 0
isbn 4064066084547
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Oubliant la bienveillance et la considération que son maître lui avait toujours accordées, les cadeaux et les privilèges qu'il lui avait distribués d'une main très-libérale, elle s'était persuadée qu'on la traitait avec la plus noire ingratitude et qu'elle figurait dans la maison un personnage réellement sacrifié.
--Ah! s'était-elle dit en le laissant par un «bonjour, M. Durand» auquel celui-ci avait répondu avec froideur, ah! mon beau mari, je vous verrai bientôt me supplier de revenir ici; mais je ne ferai pas cela avant que vous et votre femme m'ayez longtemps et vivement sollicitée, et quand je reviendrai, je vous apprendrai à tous deux à respecter la mère Niquette.
Mais la bonne vieille dame s'était trompée: ni le maître ni sa femme revinrent la troubler de nouvelles supplications. Bien qu'ayant demeuré longtemps chez Durand, elle n'avait pu encore pénétrer entièrement son caractère.
Ainsi que nous l'avons dit en commençant, les femmes dans la famille Durand avaient toujours été de remarquables ménagères, et pendant le long règne de la dernière qui avait porté ce nom, la maison de Paul avait été la mieux conduite, la plus proprement tenue de toutes celles du village, tandis que les produits de sa laiterie étaient également renommés pour leur quantité et qualité. Cet état de chose satisfaisant ne s'était que peu ou point détérioré pendant l'administration de madame Niquette qui--nous devons lui rendre cette justice--avait veillé d'aussi près que sa maîtresse au confort de Paul et aux intérêts de l'établissement. Hélas! sous le régime nouveau, les choses étaient très différentes, et il était heureux pour le repos d'esprit de la défunte madame Durand qu'elle n'eût pas connaissance de ce qui se passait sous le soleil et surtout des détails qui concernaient le ménage de son fils.
Celui-ci aimait la bonne table et y avait été toujours habitué; maintenant la soupe était souvent ou brûlée ou trop liquide, le pain sûr et chargeant, digne du mauvais beurre destiné à être mangé avec lui; et puis les crêpes friables, les beignets et les délicieuses confitures qui avaient autrefois si bien orné sa table, n'étaient plus qu'un souvenir du passé. Cependant, avec toute la générosité d'un noble caractère, il ne se plaignait ni ne murmurait mais se contentait de temps en temps de faire en riant quelque remarque sur le sujet, évitant toutefois toute allusion de ce genre lorsque sa femme paraissait ennuyée ou embarrassée. La pauvre Geneviève faisait souvent des efforts surnaturels pour tâcher d'acquérir une petite parcelle des précieuses connaissances dans lesquelles elle faisait un défaut aussi absolu; mais les résultats en étaient toujours des échecs décourageants, et elle en vint graduellement à la conclusion fatale qu'il lui était tout-à-fait inutile d'essayer. Pour comble de malheur, la soeur de Paul qui avait récemment perdu son mari, venait d'envoyer une lettre dans laquelle elle annonçait que sa santé, ébranlée par les chagrins et la fatigue qu'elle avait éprouvés durant la maladie de son époux, avait besoin d'un changement d'air, et elle terminait en se disant assurée que son frère et sa nouvelle soeur la recevraient avec bonté pendant quelques semaines.
Oh! combien l'honnête Paul redouta cette visite! comme il s'émut en songeant que les maladresse de sa pauvre petite femme seraient soumises au regard perçant de sa soeur, un modèle de ménagère! Quant à Geneviève, elle compta les jours et les heures, comme le criminel suppute le temps qui le sépare de l'époque fixée pour l'exécution de sa sentence. Son incertitude ne fut pas de longue durée, car trois jours après sa lettre, madame Chartrand arriva. Malgré son deuil tout récent qu'elle sentait en réalité très-profondément, malgré sa santé quelque peu délabrée, cette dernière fut alarmée, presque terrifiée, en voyant l'état de chose qui se faisait remarquer dans la maison de son frère. De vagues rumeurs sur l'inhabilité de sa belle-soeur étaient bien parvenues jusque'à ses oreilles, mais entièrement occupée par son mari qui avait été confiné dans sa chambre pendant trois ou quatre mois avant sa mort, elle y avait à peine prêté attention. Elles es présentèrent alors devant elle dans toute leur affreuse réalité, et peut-être n'aurait-elle pu trouver de plus grande distraction à son légitime chagrin que le nouveau champ de regrets qui s'ouvrit devant elle.
--Comment, se disait-elle intérieurement, comment puis-je trouver le temps de pleurer Louis quand je vois sur la table de mon frère du pain aussi méchant et du beurre immangeable? Comment puis-je m'absorber à déplorer mon veuvage quand je vois ces misérables servantes de mon frère s'amuser avec leurs cavaliers pendant que le dîner brûle sur le poële et que la crème se perd dans la laiterie? Ah! c'est désolant!
C'était en effet bien distrayant, car madame Chartrand n'avait pas été huit jours dans la maison, qu'elle avait oublié ses peines et son deuil, dans l'Étonnement profond où l'avait jetée un examen plus attentif des gaspillages et de la mauvaise administration du ménage. Elle n'eut pour Geneviève d'autre sentiment que celui d'une pitié dédaigneuse, et un vif regret que Paul eût commis une aussi grave erreur dans le choix d'une épouse. Cette femme robuste et active, habituée dès le berceau au ménage, ne pouvait comprendre la langueur maladive et le découragement auxquels sa délicate et nerveuse belle-soeur était si souvent en proie, et plus d'une fois elle l'accusa intérieurement d'affectation.
Les choses ne pouvaient pas rester longtemps dans ce état sans fournir à quelqu'un l'occasion de se décharger le coeur, et un dimanche après-midi qu'elle avait sous un prétexte quelconque refusé d'accompagner Geneviève aux vêpres, madame Chartrand entra dans la chambre où Paul fumait sa pipe dans une calme solitude. Celui-ci ne se méprit pas sur la détermination qui se lisait dans les yeux aussi bien que dans la solennité des allures de sa soeur, et il se prépara à une scène; mais comme un habile tacticien, il attendit l'attaque en silence.
--Paul, s'écria-t-elle brusquement, déposes là ta pipe et écoutes-moi. Je vaux avoir un entretien avec toi.
--Un entretien! et sur quel sujet? répondit-il d'un ton bref.
--Sur quel sujet! dis-tu. Peut-il y en avoir d'autre que la manière déplorable dont est conduit ton ménage?
--Je crois que c'est une affaire qui ne regarde que Geneviève et moi, répondit-il sèchement en reprenant sa pipe qu'il avait momentanément déposée sur la table.
--Ceci est une réponse digne tout au plus d'être faite à un étranger, mais ce n'est pas celle que tu devrais faire à ta soeur aînée et unique qui, en te parlant ainsi, n'est mue que par un affectueux intérêt pour toi. Accordes-moi un peu de patiente attention, je ne t'en demanderai pas davantage. Laisse-moi te dire maintenant sans réserve tout ce que j'ai sur le coeur, et puis si tu le désires, je garderai ensuite le silence.
Pensant qu'il y avait quelque vérité dans ce que sa soeur lui disait, Durand inclina la tête, et elle reprit:
--Du temps de notre pauvre mère, bien que tu n'eusses pas plus de vaches dans tes pâturages qu'il y en a maintenant, et peut-être moins puisque tu as ajouté trois belles génisses à ton troupeau, il y avait toujours rangés dans ta cave plusieurs quartauts de bon beurre bien fait, attendant que les prix fussent satisfaisants pour être transportés au marché; toujours il y avait sur tes tablettes des rangées de fromages et des paniers d'oeufs. Et aujourd'hui? il n'y a rien à vendre pour le présent et rien pour plus tard. Dans un coin de la laiterie malpropre un quartaut d'une certaine substance rance que nous devons appeler beurre parce qu'elle ne répondrait à aucun autre nom, une douzaine d'oeufs peut-être sur une assiette fêlée, et un peu de crêpe moisie: voilà toute ta richesse de laitage. L'état des choses est-il meilleur