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bien, Paul, si tu le désires toi-même.

      --Non, ma petite femme, non! il n'en sera pas ainsi. Je ne permettrai à personne de s'interposer entre toi et moi; nous nous tirerons d'affaire seuls. J'ai déjà dit à soeur Françoise ce qu'il en est, et la responsabilité du refus ne retombe que sur moi.

      Oh! comme les beaux yeux lustrés de Geneviève surent bien le remercier, pendant que ses mignons petits doigts, pressant doucement sa main, le ramenaient par leur muet langage à l'affection qu'avaient pu lui faire perdre les remontrances impitoyables de madame Chartrand.

      Cette dernière fut fidèle à sa détermination, et le lendemain matin, au moment même où le soleil commençait à illuminer l'Orient de ses feux, elle montait dans une élégante petite charrette à ressort dans laquelle son frère la ramenait chez elle. Si Paul avait éprouvé quelque remords de conscience d'avoir refusé l'offre si pleine de bonne intention de sa soeur, la vue du visage gras et dodu, des joues pleines et vermeilles de celle-ci qu'il fit intérieurement contraster avec la frêle enveloppe et la délicate figure de sa femme, le réconcilia bientôt avec lui-même.

      Après le départ de madame Chartrand, une des deux servantes incapables fut renvoyée, et on se procura une excellente ménagère qui pouvait faire presque toute chose d'une manière aussi satisfaisante que la soeur de Paul elle-même. Mais hélas! elle avait un caractère terrible, et sans la moindre provocation, elle s'abattait comme une tigresse sur l'innocent agneau qu'elle avait pour maîtresse. Connaissant sa valeur cependant, Geneviève souffrait tout en silence; mais une après-midi que Marie donnait libre carrière à sa mauvaise humeur en faisant des remarques insolentes et demandait pourquoi certaines personnes ont été mises dans le monde puisqu'elles ne pouvaient pas même aider une pauvre servante écrasée d'ouvrage, son maître, qu'elle croyait très-occupé dans la cour, était entré sans qu'elle s'en fût aperçue, et après avoir écouté un instant ses diatribes, il la prit par le bras, et lui ordonna de faire de suite son paquet et de partir.

      Il s'en suivit naturellement une tempête. Geneviève courut chercher un refuge dans sa chambre où elle écouta, avec une alarme nerveuse, le bruit qui se faisait dans la cuisine, le fracas de la vaisselle, le cliquetis des couteaux, les mouvements spasmodiques des chaises, des bancs et des seaux qu'on renversait. Le vacarme finit par cesser, et le mari et la femme se sentirent tous deux soulagés quant la porte se referma sur leur habile mais redoutable servante--Paul remerciant pieusement mais d'une manière quelque peu obscure, la Providence «de la paix qui leur était maintenant accordée, quant même ils devraient retomber dans le chaos où ils étaient auparavant», voulant probablement faire allusion à l'irrégularité générale et à la confusion d'où l'activité de Marie avait retiré sa maison.

       Table des matières

      La société continuait toujours son va-et-vient chez M. de Courval, car les bois aux teintes claires et les épais nuages couleur d'ambre du mois d'octobre, outre l'abondance de l'excellent gibier que l'on trouvait dans les environs, rendaient la campagne aussi attrayante qu'elle l'avait été pendant la belle saison.

      Il passait fréquemment devant la porte de Durand des messieurs armés de fusils et suivis de lurs chiens, les uns à cheval, les autres à pied; mais Geneviève ne les voyait pas. M. de Courval avait souvent invité et d'une manière pressante les nouveaux mariés à venir visiter le Manoir, mais comme Paul ne s'en souciait évidemment pas tandis que des étrangers s'y trouveraient, Geneviève demeurait tranquillement chez elle.

      Une après-midi qu'elle était debout devant la porte de sa maison et qu'elle admirait dans le lointain les magnifiques coteaux embrasés par les rayons dorés qu'offre une superbe journée de cette belle saison qu'on appelle Été de la St. Martin, M. de Courval passa à pied accompagné de deux de ses amis. Ils paraissaient tous trois exténués de fatigue, car ils marchaient depuis une heure fort matinale, et lorsque Geneviève, que M. de Courval avait abordée avec sa politesse ordinaire, leur offrit d'entrer un instant pour se reposer,--chose qu'elle ne pouvait manquer de faire sans violer les règles de la plus commune courtoisie, attendu que M. de Courval se plaignait de la fatigue,--ils acceptèrent avec joie son invitation. Il lui présenta ses deux amis, le premier un M. Caron, homme d'un âge mûr, le second un jeune et charmant officier de cavalerie, du nom de de Chevandier, qui venait d'arriver de France pour passer quelque temps en Canada.

      Ce dernier parut à la fois surpris et frappé de la beauté et des manières gracieuses de leur hôtesse, qui était occupée à placer devant eux des verres et une cruche d'excellent cidre, qui, nous n'avons pas besoin de le dire, n'était pas de manufacture domestique.

      Cependant, Geneviève ne s'aperçut pas de l'attention particulière dont elle était l'objet de la part du Capitaine de Chevandier, qui aurait été extrêmement affligé s'il eut su qu'elle n'avait seulement pas remarqué l'abondance de ses cheveux lissés, sa belle moustache, ou la classique régularité de ses traits.

      Sur ces entrefaites arriva Durand qui s'empressa de leur offrir l'hospitalité, et il le fit avec une aisance et une politesse exquise. Les préjugés aristocratiques de de Chevandier furent en quelque sorte choqués par l'arrivée sur la scène de cet hôte roturier; mais ses airs de grand seigneur produisirent aussi peu d'effet sur le mari que ses regards d'admiration en avaient fait sur la femme. Quant nos trois amis se furent reposés et rafraîchis, ils prirent leur congé, et en revenant notre Adonis militaire s'abandonna à d'amers regrets sur ce que «cette charmante petite créature avait pour destinée de passer toute sa vie au milieu des vaches, des volailles et autres choses semblables.»

      Aussitôt qu'ils furent partis, Durand annonça à sa femme qu'il pensait aller à Montréal pour y acheter des épiceries et autres articles de nécessité, ainsi que pour voir le marchant à qui il avait coutume de vendre la plus grande partie des produits de sa ferme, et il lui demanda si elle aimerait à l'accompagner.

      --Quoique nous n'ayons cette année ni beurre, ni volailles à vendre, je puis, ma petite femme, te donner quelques piastres, que tu pourras dépenser en rubans, dans les beaux magasins,--ajouta-t-il en souriant, car il s'attendait à ce que Geneviève accepterait son offre avec empressement: attendu qu'un voyage à la ville, même sans la perspective d'avoir à y dépenser quelques dollars, était alors considéré par les femmes d'Alonville comme un insigne privilège.

      Elle réfléchit un moment, hésita, puis, à la surprise et au désappointement de son mari, elle refusa, alléguant pour raison qu'elle ne savait pas comment elle agirait avec les Lubois. Elle pensait que si elle allait à la ville sans leur faire une visite, pour remercier madame Lubois du grossier bijou à l'ancienne mode qu'elle lui avait envoyé comme cadeau de noces, la famille la taxerait peut-être d'ingratitude, et que d'un autre côté, si elle se présentait avec son mari à leur résidence, renommée par ses exclusions, on les considérerait peut-être comme de désagréables visiteurs. Donc, pour sortir de ce dilemme, elle avait résolu de rester à la maison, d'autant plus que Paul ne devait être absent que quelques jours.

      Le lendemain du départ de son mari, Geneviève, qui aimait beaucoup le grand air, et qui ne pouvait imaginer de plus douces jouissances que celle de s'asseoir pendant quelques heures sur un banc dans le jardin ou à l'ombre du grand orme qui ombrageait si agréablement sa demeure, à écouter les ramages des oiseaux et des insectes, prétexta un ouvrage de couture, et s'enfuit derrière le grand arbre dont le tronc la dérobait aux regards des passants et dont le feuillage la protégeait contre les rayons du soleil.

      Elle avait été élevée dans une ville sombre et malpropre de France, (car quoique l'on dise, l'on rencontre des villes sombres et malpropres dans cette partie favorite du globe); il n'y avait donc rien de surprenant ue la campagne fût pour elle un monde inexploré, aussi délicieux que nouveau. Comme elle jouissait de sa fraîcheur, de sa beauté, de ses parfums! comme chaque nouvelle phase de cette vie faisait naître en elle une admiration qu'elle n'osait exprimer hautement, de crainte de paraître ridicule! Cette prédilection était peut-être la cause du

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