Скачать книгу

l'air pur et frais du dehors, le bruissement des branches au-dessus de sa tête; et elle pensait en elle-même, non sans soupirer, combien elle préférerait un morceau de pain et une tasse de lait au milieu d'un si délicieux repos, aux somptueux banquets apprêtés avec tous les soins et l'habileté de l'art culinaire.

      N'ayant que peu de choses à faire dans son ménage, elle avait célébré le premier jour de l'absence de Paul, en prenant son dîner des mets que nous venons de mentionner, chose qui convenait bien à ses servantes qui, passionnées elles aussi pour fair la dolce far niente, étaient bien aises de se sauver de l'ouvrage en se servant des mêmes mets pour leur dîner et en y ajoutant un morceau de viande froide. Puis elle prit une paire de pantoufles qu'elle brodait pour en faire présent à son mari, assurée qu'elle était qu'il les trouverait aussi utiles que belles, et s'installa dans son coin au pied du vieil orme.

      Il faisait un temps délicieux. Souvent elle s'arrêtait dans son ouvrage pour promener ses regards des belles collines pourprées qui se trouvaient dans le lointain aux superbes couleurs des bois d'automne, des nuées mélangées d'or et d'azur qui se déroulaient au-dessus de sa tête aux lames rejaillissantes du beau et majestueux Saint-Laurent. Un calme parfait régnait dans la nature. Les oiseaux avaient déjà pris leur essor vers des climats qui leur offraient un autre été, et le silence n'était rompu que par le bruissement des feuilles qui tombaient de temps à autre.

      Tout-à-coup, cependant, le bruit d'un pas qui approchait lui fit lever les yeux, et elle aperçut près d'elle le capitaine de Chevandier, la casquette à la main, un sourire engageant sur les lèvres. Ses manières étaient courtoises, sans affectation. Geneviève écouta, sans se déranger, quelques observations qu'il fit sur la température, la campagne et la chasse. Le temps s'écoula d'une manière si agréable que lorsqu'il partit, elle ne s'aperçut pas qu'il y avait près d'une heure qu'ils étaient en conversation.

      Le lendemain, il faisait un temps aussi charmant que la veille, et après avoir pris un léger repas, elle se hâta de prendre son canevas et ses laines, et se rendit au jardin, cette fois à l'ombre d'un pommier tout tordu et recourbé, car une espèce d'instinct lui disait qu'elle s'y trouverait moins sur le chemin de M. de Courval et de ses visiteurs qu'au pied de l'orme.

      Pendant qu'elle travaillait avec ardeur à son ouvrage, afin de terminer son petit cadeau avant l'arrivée de son mari, elle entendit une voix claire et cultivée lui demander: «Comment se porte madame Durand?» Levant aussitôt les yeux, elle aperçut le capitaine de Chevandier qui la regardait de par-dessus la petite porte du jardin.

      Quoique Geneviève fût loin d'être satisfaite de cet incident, elle était trop bien-élevée pour laisser percer la contrariété que lui inspirait cette nouvelle visite; aussi lui rendit-elle poliment son salut, mais il y avait tant de réserve dans ses manières, que de Chevandier ne savait comme continuer: il chercha des inspirations autour de lui. Par bonheur, il aperçut une plate-bande de magnifiques dahlias aux couleurs variées et nuancées; alors feignant une grande admiration pour leur éclatante beauté, il demanda la permission de les examiner de plus près et d'en cueillir un. Elle acquiesça d'une manière indifférente à ce qu'il demandait. Tout en discourant avec l'air d'un connaisseur sur les riches nuances et la beauté particulière des échantillons qu'il avait devant lui, il essaya de faufiler un gracieux compliment à la charmante maîtresse du jardin sur son bon goût et sur les succès qui avaient couronné ses efforts.

      --Capitaine de Chevandier, lui dit-elle, vous me donnez plus de crédit que je n'en mérite: vous devez présenter vos louanges à la vieille ménagère qui tenait la maison de mon mari avant son mariage.

      De Chevandier se mordit les lèvres, et il se félicita en lui-même de ce que ses spirituels et caustiques compagnons d'armes n'eussent pas été témoins de sa déroute; mais se remettant aussitôt, il reprit:

      --N'importe, cela ne m'empêchera pas de cueillir ces deux cramoisis-là, avec la permission de madame.

      Et il joignit l'action à la parole, puis, en parlant de fleurs, il était naturel que la conversation tombât sur la campagne, et par une transition très-juste, sur la France. Enfin il avait donc trouvé un lien entr'eux, et de Chevandier ne fut pas lent à le saisir. Quoique né à Paris, il y avait peu d'endroits de son beau pays qu'il n'eût pas visités; il connaissait même la petite ville malpropre où Geneviève était née; une fois, il y avait été retenu par le mauvais temps une longue journée, pendant laquelle il avait tout le temps maugréé contre cette place qu'il considérait et qualifiait comme le point le plus insupportable, le plus petit et le plus pauvres de la surface du globe. Cependant, aujourd'hui, ses sentiments étaient tout différents, et l'admiration avec laquelle il parlait de sa modeste église, de la tranquillité de son petit cimetière, en faisait presque venir les larmes aux yeux de Geneviève.

      --Ah! madame Durand, s'écria-t-il avec vivacité après un moment de silence, combien vous devez vous trouver malheureuse, transplantée de votre cher pays sous ce climat étranger! Que sommes-nous ici, nous enfants de la France, que de pauvres exilés?

      Malgré l'amour qu'elle professait pour le sol de ses pères, Geneviève n'était pas prête à aller si lin, et levant ses yeux qui n'avaient pas faibli devant le regard rempli d'admiration et de sentiment qui était fixé sur elle, elle reprit:

      --Malheureuse! dites-vous; vraiment, M. de Chevandier, vous vous trompez: j'ai goûté, depuis quelques mois, plus de vrai et paisible bonheur que je n'en ai connu pendant toute ma vie. La France m'est chère, sans doute, comme souvenir; mais toutes les affections de mon coeur et toutes les espérances dont je puisse me bercer sur cette terre sont concentrées ici, en Canada.

      Soit qu'il fût incapable de se relever de ce nouveau coup, soit qu'il jugeât par les manières de Geneviève que son séjour chez elle avait été assez prolongé, il se leva, et après avoir prononcé quelques mots sur le même ton de politesse et de respect dont il se serait servi avec une dame de la plus haute société, il se retira. Mais en fermant la porte sur lui, il ne put s'empêcher de se dire:

      --Quel prude et gênée petite créature, mais aussi quels yeux incomparables, quels doigts effilés! certainement que son imbécile de mari doit s'attendre à ce qu'elle en fera de drôles en fait de traire les vaches et de fabriquer le beurre. Ah! je crains fort, mon cher Durand, que tu t'aperçoives un peu tard que tu t'es énormément fourvoyé dans ton choix.

      Il s'en revint lentement chez M. de Courval, portant sur ses traits, d'ordinaire insouciants, les traces d'une profonde pensée.

      Le jour suivant de Chevandier fit sa toilette avec un soin tout minutieux, et après s'être muni de journaux et de revues qu'il avait tout récemment reçus de France, il s'achemina, à la même heure, vers la résidence de Durand: et il vit que Geneviève ne se trouvait pas sous le pommier, non plus que sous l'orme. Il devenait évident qu'elle ne voulait plus avoir d'entrevue avec lui. Mais de Chevandier, qui n'était pas homme à se décourager pour si peu, frappa résolument à la porte avec une badine qu'il portait, et il demanda à la servante aux allures gauches et hébétées qui lui ouvrit si madame était è la maison?

      --Elle est quelque part dans le jardin, répondit-elle sèchement.

      Et persuadée qu'elle s'était acquittée de tout ce qu'elle avait à fair dans la présente conjoncture, elle poussa brusquement la porte, laquelle se referma avec un tel fracas que notre visiteur en recula.

      --Quels sauvages! se dit-il; mais je ne me rendrai pas: il faut que je la cherche dans le jardin.

      Si on avait demandé au capitaine de Chevandier pourquoi il s'acharnait ainsi à Geneviève et quels étaient ses desseins en lui portant de telles attentions, il aurait répondu sans hésiter qu'il ne lui voulait pas de mal. Madame Durand était une femme aussi jolie que charmante, et il pensait qu'un commerce d'amitié sentimental et innocent avec elle contribuerait puissamment à rendre son séjour au Manoir moins monotone et plus agréable. Malgré tout cela, ç'aurait été un malheur pour Geneviève si, confiante comme elle était, elle l'eut sans arrière-pensée écouté et encouragé, car aucun principe religieux ne le guidait, la seule influence qui eût sur lui quelqu'empire étant le

Скачать книгу