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toujours plusieurs qui réussissent à se délivrer de la vie pour éviter tout ce qu'ils se figurent d'affreux dans l'esclavage.

      Au lieu de perdre le tems à visiter d'autres Habitations Hollandoises qui ne nous auroient rien offert que nous n'eussions déja vû dans la première, nous proposâmes à notre Interpréte de nous conduire le lendemain dans quelque canton habité par des Nègres. Il consentit à nous en faire voir un qui n'étoit qu'à quatre lieuës de Delpht, dans une gorge de la Montagne que nous avions traversée. Nos chevaux étoient assez bons pour nous faire espérer de revenir commodément avant la fin du jour. L'intention du Capitaine, en proposant ce Voyage, étoit de se familiariser plus que jamais avec les signes & les usages des Nègres, pour nous faciliter le grand dessein auquel ses méditations se rapportoient continuellement. Il promit à l'Angloise de se charger d'elle à notre retour, & lorsque je lui demandai sérieusement à quoi il la destinoit, il me dit qu'elle pourroit être utile, en qualité de Servante, à ma femme & à mes enfans. Mais croyant pénétrer ses vûës, je le priai d'abandonner un projet qui blessoit la bienséance, & j'obtins de lui qu'il ne favoriseroit point le libertinage d'une femme qui étoit lasse apparememt de son mari.

      Les Nègres, dont nous visitâmes l'Habitation, étoient de la race des Hotentots, les plus sales & les plus grossiers de tous ces Peuples barbares. Le voisinage des Hollandois les avoit accoutumés à les voir sans effroi, & nous fûmes fort satisfaits de l'accueil qu'ils nous firent. Ils nous offrirent du lait & de la chair qui n'avoit pas mauvaise apparence, avec une espéce de pain composé d'une racine dont le goût approche fort de celui de la noisette. Ils ont pris des Hollandois l'usage de se couvrir d'une sorte d'habits, qui ne sont que de simples peaux de Mouton, avec la laine, préparées avec de l'excrément de vache & une certaine graisse, qui les rend aussi insuportables à la vûë qu'à l'odorat. Le centre de leur Nation est beaucoup moins civilisé. Elle habite la Côte orientale & méridionale. Les Hotentots sont agiles, robustes, hardis & plus adroits que les autres à manier leurs armes, qui sont la zagaye & les fléches. Ils vont même servir chez les autres Nations en qualité de Soldats. Leur exercice principal est la chasse. Ils tuent fort adroitement avec des armes empoisonnées des élephans, des rhinoceros, des élans, des cerfs; & ce qui est extrêmement singulier, c'est, dit-on, qu'à les entendre parler des Hollandois, lors même qu'ils les servent pour en obtenir un peu de pain, de tabac & d'eau-de-vie, ils les regardent comme des misérables, qui viennent cultiver avec beaucoup de peine les terres de leur Païs, au lieu d'y vivre en repos, ou de s'occuper comme eux à la chasse. Mais quelque bonne opinion qu'ils aient d'eux-mêmes, rien ne peut représenter les horreurs de la vie qu'ils menent. Ils sont d'une saleté qui surpasse l'imagination, comme s'ils mettoient leur étude à se rendre affreux & dégoûtans. Ils se frottent le visage & les mains de la suie de leurs chaudieres, ou d'une graisse noire qui les rend puants & hideux. Ils s'en graissent aussi la tête, ce qui joint leurs cheveux en petites toufes, ausquelles ils attachent des pièces de cuivre ou de verre. Les plus considérables parmi eux portent aussi de grands cercles d'yvoire, qu'ils passent dans leurs bras, au-dessus & au-dessous du coude. Les femmes s'entourent les jambes de petites peaux taillées exprès, ou d'intestins d'animaux, & se font des colliers avec de petits os de différentes couleurs. Mais quoique cette Nation soit horrible à la vûë, elle n'approche point, pour la férocité & la barbarie, de celle des Caffres, dont notre Interpréte nous fit des relations presqu'incroyables. Ma méthode dans ce Journal ayant toujours été de ne m'attacher qu'aux choses que j'ai vûës par mes yeux, je me suis contenté dans ces occasions d'écrire seulement les principaux traits que j'ai pû recueillir des discours d'autrui. Les Hollandois ne donnent point au Païs des Caffres moins d'onze ou douze cens lieuës d'étenduë. Il est borné dans les terres par une longue chaîne de Montagnes. Les Portugais ont nommé Picos Fragosos celles qui s'avancent du côté du Cap de Bonne Espérance. Le mot de Caffre signifie sans Loi, il vient du mot Cafir ou Cafiruna, que les Arabes donnent à tous ceux qui nient l'unité d'un Dieu, & qu'on a cru convenable aux Habitans de ce Païs, parce qu'on a prétendu qu'ils n'avoient ni Princes, ni Religion. Ils ignorent eux-mêmes que nous leur donnions le nom de Caffres, qui leur est inconnu. Mais on a sû depuis, par diverses Relations, qu'ils ont plusieurs Rois, tels que ceux de Malemba, de Chicanga, de Sedanda, de Quietava, de Cefala & de Metavan. Ces Peuples sont noirs, brutaux & cruels. Il s'y trouve des Antropophages. On comprend dans le Païs des Caffres le Royaume de Sofala, qui produit tant d'or & d'élephans, qu'on a douté si ce n'étoit pas l'Ophir de Salomon. Les Portugais y ont la Forteresse de Sofala ou de Cuama, vis-à-vis de Madagascar. Mais les Caffres les mieux connus sont ceux qui demeurent vers le Cap de Bonne Espérance, & qu'on distingue par différens noms: les Cochoquas, les Cariguriques, les Hosaes, les Chainouquas, les Sonquas, les Brigoudis, les Namaquas, & les Goringhaiconas, &.

      Ces derniers, que les Hollandois appellent Watermans, c'est-à-dire, Hommes d'eau, sont à peu de distance du Cap, sous la conduite d'un Chef. Ce fut leur Habitation que nous visitâmes. Les Garachouquas, sur-nommés Voleurs de tabac, ont aussi leur Capitaine, & n'ont pas moins de quatre ou cinq cens hommes capables de porter les armes. Les Gorinhaiques, ou gens du Cap, autres voisins des Hollandois, portent ce nom, parce qu'ils s'attribuent la proprieté du Cap de Bonne Espérance. Les Cochoquas sont quatre ou cinq cens familles qui occupent quinze ou seize Villages à vingt-sept lieuës du Cap vers le Nord-Ouest. Ce sont ceux qui ont, comme je l'ai déja remarqué, plus de cent mille bêtes à cornes. Leurs moutons, au lieu d'une laine frisée, ont le poil long, moucheté & de diverses couleurs. Les Chainouquas sont situés à plus de trois mois de chemin du Cap, & n'ont été connus que par l'infortune de quelques Voyageurs qui se sont égarés dans cette immense contrée. Les Cobinas sont au-delà de ceux-ci, & passent pour des Antropophages, qui rotissent vifs ceux dont ils peuvent se saisir, sans épargner les gens mêmes de leur Nation. Ils sont les plus noirs des Nègres, & portent les cheveux fort longs. En 1713. ils dévorérent six Hollandois, que l'espérance de recueillir de l'or avoit fait pénétrer jusques dans leur canton. Les Sonquas habitent sur de hautes Montagnes. Les deux sexes y font également leur occupation de la chasse, & ne vivent que de la chair cruë des bêtes qu'ils peuvent tuer avec leurs fléches & leurs zagayes. On trouve dans leur Païs des chevaux & des ânes sauvages, qui sont mouchetés de plusieurs couleurs très-vives. Les chevaux y sont bien formés. Ils ont ordinairement le dos & le ventre tachetés de jaune, de noir, de rouge & d'azur; mais la peau des ânes sauvages est marquée de blanc & de couleur de noisette. En 1662. les Sonquas portérent quelques-unes de ces peaux au Cap de Bonne Espérance, & les donnérent pour du tabac aux Hollandois, qui en remplirent une de paille & la suspendirent dans la salle du Château, où ils nous la firent voir encore. Ces Caffres sont voleurs de profession, & tout le bétail qu'ils peuvent enlever est regardé parmi eux comme une partie de leur chasse. Ils se couvrent, dans certains tems, de peau de buffles, dont ils se font une espéce de manteau. Leurs femmes portent autour de la tête un parasol, fait de plumes d'autruches. Les Namaquas se tiennent à plus de cent cinquante lieuës, & quelquefois à deux cens lieuës du Cap de Bonne Espérance; car c'est une Nation vagabonde, quoiqu'elle soit une des plus nombreuses & les plus guerrieres. Ils ont la taille belle, & se couvrent quelquefois le corps de peaux de bêtes, embellies de grains de verre qu'ils achetent des Portugais, pour des Brebis & des Chèvres. Les hommes portent une plaque d'yvoire au bas du ventre, & les femmes se couvrent cette partie d'une belle peau; elles ont le reste du corps nud. Ces Caffres reconnoissent l'autorité d'un Chef. Lorsqu'ils virent pour la première fois des Hollandois parmi eux, ils les reçurent avec une troupe d'Instrumens, qui souffloient chacun dans un roseau, dont le son imitoit celui de la Trompette Marine. Leur Chef les régala de lait & de chair de Mouton; & les présens des Hollandois furent de l'Eau de vie, du Tabac, des grains de Corail, & quelques morceaux de cuivre. Les Housaquas demeurent fort loin, au Nord-Ouest du Cap; on n'a jamais pénétré dans leur Pays, on en voit seulement quelques-uns qui viennent sur la Côte avec le Chef des Chainouquas, pour faire trafic de bétail. Outre la qualité de Pasteurs, ils font gloire de s'exercer à l'Agriculture. Ils cultivent particulierement une certaine racine qu'on nomme Dacha, & qui étant infusée dans l'eau, enyvre comme le vin le plus fort. On dit qu'ils tendent des piéges pour prendre des Lions, qu'ils les apprivoisent, & les rendent aussi dociles que des chiens, jusqu'à les rendre capables

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