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le nôtre. Il se nommoit le Georges.

      Le bruit de ma disgrâce s'étant déja répandu au Cap, avec des circonstances d'autant plus avantageuses pour moi, qu'elles avoient été confirmées par le Ministre même des fureurs de M. Sprat, je trouvai de la compassion & de la bonté dans les Officiers de la Compagnie Hollandoise & dans tous les Habitans. Ils ne me croyoient pas riche, parce qu'ils avoient sçû que le seul motif de mon Voyage avoit été de réparer ma fortune. Ils me proposerent d'abord d'acheter mes Marchandises, en me faisant entendre qu'ils m'y feroient trouver autant de profit que si je les eusse transportées aux Indes. Mais j'avois déja formé d'autres vûës pour lesquelles je les croyois nécessaires. D'ailleurs, en confessant à ces généreux Hôtes que mes affaires étoient fort dérangées, je ne voulois pas qu'ils me crûssent dans la nécessité, & j'étois bien aise au contraire de les mettre dans l'opinion que les restes de ma fortune me laissoient encore le pouvoir de former quelque entreprise.

      L'inclination qu'ils avoient à me secourir devint beaucoup plus vive, lorsqu'ayant commencé, moi & toute ma famille, à étudier leur Langue, ils purent nous parler & nous entendre. Ma fille aînée étoit aimable. Je ne fus pas long-tems sans recevoir pour elle des propositions de mariage. Un Marchand établi depuis vingt ans au Cap, où il avoit amassé de grandes richesses, & veuf depuis six mois, me fit offrir de la prendre sans dot. Je ne rejettai point absolument ses offres. Mais quoique mon Capitaine ne se fût lié à moi que par une promesse vague dont je l'avois même dispensé, la reconnoissance que je devois à son amitié m'avoit fait prendre la résolution d'attendre effectivement son retour. Mon intention d'ailleurs étant bien éloignée de me fixer au Cap, j'aurois eu trop de regret d'y laisser ma fille, au risque de ne la revoir jamais. Cependant, pour le dessein que j'avois de m'instruire dans toutes les méthodes de Commerce, & de jetter les fondemens de quelque entreprise avant le retour du Capitaine, je gardai des ménagemens qui pouvoient faire croire aux Hollandois que je pensois à profiter de leurs bontés. Je n'alléguai que l'extrême jeunesse de ma fille, & je demandai qu'on lui laissât du moins le tems d'apprendre mieux la Langue. Ayant pris une maison au Cap, je cherchai par degrés à m'insinuer dans la confiance de mes Voisins; je me mêlai insensiblement dans leurs assemblées & dans leurs affaires. Je parvins bientôt à n'être plus regardé comme un Étranger.

      Ma femme, qui avoit de l'esprit & du courage, entra merveilleusement dans les projets que je lui avois communiqués. Elle se fit aimer universelment dans l'Habitation, & l'habitude des mœurs Hollandoises ne lui coûta rien à former. Nous raisonnions souvent ensemble sur les desseins que je méditois, lorsqu'il arriva de Hollande trois Vaisseaux qui alloient à Batavia. Cet incident me fit suspendre une résolution que je me croyois à la veille d'éxécuter. Je pensai qu'avant que de me livrer à des idées trop hautes, je ne ferois pas mal de saisir une si belle occasion de m'instruire. La confiance des Hollandois croissant pour moi de jour en jour, je ne doutai point qu'ils ne m'accordassent la liberté de faire le Voyage de Batavia, surtout lorsque je leur laisserois des gages aussi chers que ma famille. Je commençois à parler fort bien leur Langue. Il ne me manquoit qu'un prétexte pour leur faire agréer mon dessein. Le hazard me l'offrit heureusement par la mort d'un Facteur de quelques Marchands de Londres, qui avoit obtenu de la Compagnie de Hollande la permission de faire le Voyage à bord d'un de leurs trois Vaisseaux. S'étant trouvé fort mal en arrivant, il avoit appris avec joie qu'il y avoit au Cap un Anglois dont on y estimoit la probité, & dans ses derniers momens, il me proposa de me charger de ses Lettres & de ses Mémoires, pour les faire remettre à Londres, ou pour exécuter moi-même sa Commission. Elle regardoit la Cargaison d'un Vaisseau Anglois, qui avoit péri près de l'Isle de Java l'année précédente en revenant de la Chine. Les Hollandois de Batavia avoient sauvé une partie considérable des richesses qu'il apportoit; mais après de longues discussions, qui n'avoient pû se terminer à Amsterdam, les Marchands Anglois avoient pris le parti d'envoyer un de leurs Facteurs aux Indes, & la Compagnie ne s'y étoit pas opposé.

      La facilité que je ne pouvois manquer de trouver à revenir de Batavia au Cap, me fit espérer qu'après avoir fini les affaires des Marchands de Londres, je serois de retour assez-tôt pour prévenir M. Rindekly, mon ancien Capitaine. S'il continuoit son Voyage jusqu'en Angleterre, je me proposois de le charger du rapport de ma conduite & des pièces ou des effets que je devois retirer de Batavia. Avec cette vûë, j'avois celle de mortifier M. Sprat, lorsque tous les Marchands de Londres apprendroient de la bouche de mon ami, & peut-être par le succès de ma négociation, que je ne méritois pas le tort qu'il avoit fait à mon honneur en m'ôtant les emplois qu'il m'avoit confiés. Enfin, quelque parti que M. Rindekly pût prendre après sa course, je ne devois pas douter que s'il s'arrêtoit au Cap pour épouser ma fille, celui à qui il remettroit la conduite de son Vaisseau jusqu'à Londres ne fût digne de ma confiance autant que de la sienne.

      Il n'y eut personne au Cap qui n'applaudit à ma résolution. Ma femme ne l'approuva pas moins, & ce fut elle qui me conseilla de prendre avec moi l'aîné de mes fils. J'embarquai une partie de mes Montres & de mes ouvrages d'Orféverie, avec le quart de mes lingots que je voulois une fois convertir en argent monnoyé pour m'assurer de leur juste valeur. Nous partîmes le 17. de Juillet, à bord du Dauphin, Vaisseau de Middlebourg. Notre navigation fut heureuse jusqu'à la hauteur du Cap de Bruining, éloigné d'environ cent lieuës de celui de Bonne Espérance. Mais un vent impétueux nous ayant fait perdre de vûe les deux autres Vaisseaux, nous passâmes quatre jours entiers sans les revoir. Enfin, lorsque nous commencions à perdre l'espérance de les rejoindre, nous les apperçûmes à l'ancre, & nous découvrîmes, à mesure que nous en approchions, qu'ils avoient été plus maltraités que nous par la tempête. Le Zuyderzée, qui portoit quarante pièces de canon, avoit perdu deux de ses mâts, & se trouvoit ouvert de tant de côtés, que dans le danger pressant où il étoit, on avoit déja transporté une partie de sa carguaison dans l'autre. Quoiqu'on eut apporté une diligence extrême à fermer toutes les voies d'eau, il s'en formoit de nouvelles à tous momens; ce qu'on ne pouvoit attribuer qu'au choc violent de quelque rocher, qui avoit ébranlé toute la charpente, sans qu'on s'en fût apperçu dans l'agitation de la tempête; & le péril étoit ainsi d'autant plus terrible, que renaissant sans cesse, on ne savoit où le reméde devoit être porté pour le prévenir. Les trois Capitaines ayant tenu conseil sur un si malheureux accident, conclurent à faire passer le reste de la carguaison, ou du moins ce qu'elle contenoit de plus précieux, sur le Bord où j'étois. Il ne resta dans le Zuyderzée que l'artillerie, l'équipage & les vivres. Mais ce qui servoit à le soulager nous devenoit si incommode, qu'au lieu de continuer notre route, tous nos vœux furent pour trouver quelque Côte où nous pussions nous délivrer de cet embarras. Nous profitâmes à toutes voiles d'un vent qui nous poussoit vers le Continent, & l'ayant eu deux jours entiers de la même force, nous apperçûmes la terre au troisiéme jour. Le rivage étoit uni; & plus loin dans les terres, nous découvrions quantité de bois qui nous firent prendre une bonne opinion du Païs; mais il nous étoit inconnu, & nous n'appercevions ni Habitations, ni Port qui pussent servir à diriger notre course. La sonde ne nous faisoit plus trouver que dix-huit brasses. Nous mîmes à l'ancre, & n'étant guéres qu'à trois ou quatre lieuës du rivage, nous prîmes le parti de détacher la Chaloupe pour observer plus particulierement la Côte.

      Dans l'ardeur qui me faisoit chercher toutes les occasions de m'instruire, je me mis au nombre de ceux qui sortirent du Vaisseau. Nous n'eûmes pas avancé l'espace de quatre ou cinq milles, que nous sentant repoussés par les flots dans une Mer assez tranquille, nous ne doutâmes point que nous ne fussions fort proches de l'Embouchure de quelque grande Rivière. Cette espérance nous causant beaucoup de joie, nous continuâmes d'avancer à force de rames, & nous distinguâmes enfin si clairement le courant & la différence des eaux, que nous retournâmes aussi-tôt au Vaisseau pour y porter cette agréable nouvelle. Les trois Capitaines ne balancérent point à prendre sur le champ la même route. Notre rapport se trouva fidéle. La Rivière se retrécissant à mesure que notre vûe pouvoit s'étendre dans les terres, nous crûmes qu'avec un tems fort doux, il n'y avoit aucun péril à nous avancer la sonde à la main. La profondeur de l'eau se trouva presque égale depuis l'extrêmité de la Côte, jusqu'au lieu où l'Embouchure commençoit à se retrécir; & le rivage paroissant assez commode sur la gauche, nous jettâmes l'ancre

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